IMPLICATIONS MANAGERIALES ORGANISATION ET APPARITION DE LA FIGURE
Dans ce chapitre, nous faisons apparaître un modèle général de gestion des projets de science citoyenne. Ce modèle comporte six étapes : 1) Définir la problématique, 2) animer la foule, 3) coordonner la production, 4) évaluer et réintégrer les résultats dans le processus scientifique, 5) piloter le transfert d’informations entre projets, 6) Systématiser l’apprentissage entre projets. La réalisation des étapes nécessite la présence de figures d’acteurs capables de gérer cette logique et de conduire à un pilotage de la productivité. Notre étude nous conduit à définir que l’efficacité des projets de science citoyenne au sein dans les organisations scientifiques pourrait être assurée avec l’aide d’une figure comme « le gestionnaire de foules inventives ». Nous pouvons le rapprocher de la figure du manager de projets ou du manager de portefeuille de projets. Cet acteur n’est pas nécessairement expert dans la discipline scientifique, mais il doit être capable de définir la problématique soulevée par l’organisation et la transcrire sous la forme d’un projet de science citoyenne : il doit isoler la tâche du reste du processus, formuler la problématique, mais également définir et fournir les outils et les dispositifs nécessaires à mettre en place dans le cadre du projet, ainsi que de décider les formes de collaboration entre les participants (compétitif, collaboratif, hybride), et de maîtriser les pertes de production durant l’exécution de la tâche. Il est également responsable d’animer la communauté durant le projet et de gérer les systèmes de motivation. Ensuite, dans le cas où le projet s’étale sur plusieurs épisodes, il doit être capable de cartographier l’exploration des espaces réalisée par les participants basée sur une fonction de valeur, tout en étant capable d’identifier l’apparition de nouvelles dimensions de la valeur en fonction de la production. Enfin, il est garant de ce qui est produit par les participants et donc de réintégrer la ce qui est produit dans le processus scientifique.
STRUCTURE ORGANISATIONNELLE ET ROLE MANAGERIAL
En outre, cette figure managériale partage certaines des étapes avec le scientifique. En effet, la cartographie de la valeur suffit à piloter l’exploration et ne nécessite pas la connaissance théorique caractéristique du rôle du scientifique. En fait, le scientifique a essentiellement un rôle de garant final et d’évaluateur de l’intérêt scientifique avéré du projet. De la même manière que nous avions observé une remise en cause de la place du scientifique dans notre analyse historique, la fonction du scientifique au sein du processus de production de connaissance évolue : il est demandé au scientifique d’être capable d’identifier la valeur scientifique des hypothèses formulées par d’autres acteurs. C’est le rôle notamment des comités scientifiques que nous avons pu voir dans le programme Epidemium. Enfin, nous suggérons qu’il y a plusieurs avantages à ce que les projets de science citoyenne soient gérés par des structures intermédiaires. Dans cette forme d’organisation, le gestionnaire des foules inventives n’est pas un employé de l’organisation scientifique mais un des acteurs de la structure intermédiaire. La relation entre scientifique et gestionnaire des foules inventives peut s’apparenter à une relation entre un client et un fournisseur : le scientifique attend des résultats de la part de la structure intermédiaire tandis que le gestionnaire des foules inventives assure la performance de la délégation à la foule.
Comme indiqué dans la partie 1, cette thèse détermine les moyens de gestion à mettre en œuvre dans les organisations scientifiques éphémères, à savoir les projets de science citoyenne, pour piloter la performance des projets et s’assurer de minimiser les pertes durant le processus. Les résultats de la thèse révèlent que la gestion des projets de science citoyenne nécessite de s’intéresser à un nouveau type de tâche non encore pris en compte dans les modèles de science citoyenne, la tâche couplée, pour étudier la génération des hypothèses basées sur les données. Ce modèle de tâche est basé sur l’exploration couplée de deux espaces en même temps. Nous construisons donc un modèle basée sur quatre types de tâches qui peuvent être extraites du processus scientifiques pour être déléguées à la foule : tâche élémentaire, recette, résolution de problèmes, tâche couplée. En suivant ce modèle, nous montrons que la gestion de la performance est relativement bien traitée dans les tâches de type élémentaire et recette, notamment en favorisant une capitalisation par agrégation de la production durant le projet et la mise en place de retours d’expériences entre les projets. Cependant, la résolution de problèmes et les tâches couplées inventives demande une exploration des espaces pour trouver des solutions pour laquelle la stratégie n’est pas claire. Nous montrons que la question de la capitalisation durant et entre la tâche est critique pour s’assurer de l’efficacité de la délégation des projets à une foule pour ce type de tâche. Afin d’étudier ces formes de capitalisation, nous introduisons deux notions, la capitalisation croisée et la capitalisation séquentielle, dont l’objectif est de maximiser la réutilisation de ce qui est produit. Par la suite, nous étudions les effets de la capitalisation croisée sur la performance de la tâche et son lien avec la diversité. Nous étudions également la notion de capitalisation séquentielle pour les tâches couplées inventives. Les résultats révèlent plusieurs choses : d’abord un modèle de performance lorsqu’il y a capitalisation croisée durant le processus. Nous montrons notamment l’effet de la diversité dans les solutions sur la performance des projets. Ensuite, nous montrons que les tâches couplées inventives ne peuvent que difficilement se résoudre en un projet mais nécessitent de mettre en place une succession de projet dont les transitions sont gérées par capitalisation séquentielle.