Implication des mutations du Cytochrome b dans l’évolution des tumeurs bénignes du sein chez les femmes sénégalaises

Approche « génétique des populations » dans l’étude des tumeurs

Le processus mutation-sélection propre à notre évolution étant celui qui régit les cancers, et que l’instabilité génétique tumorale conduisant à une grande diversité (Bénard & Larsen, 2013), la génétique des populations se propose d’abord d’évaluer l’importance de cette diversité. Au-delà de cette estimation, elle se propose aussi de dégager des lois permettant de rendre compte du maintien ou de l’évolution dans le temps et dans le microenvironnement tumoral de cette diversité génétique. Partant toujours du postulat que l’évolution des tumeurs est, en dernière analyse, celle de leur patrimoine génétique, la génétique des populations apparaît alors comme le noyau dur obligatoire de toute théorie de l’évolution. Les différences génétiques entre cellule saine et tumorale, autrement dit le polymorphisme génétique des tissus, sont alors conçues comme un patrimoine, un capital adaptatif, un gage de survie de la cellule aux variations du microenvironnement tumoral selon le principe darwinien de la «survie du plus apte»; ce qui suppose évidemment l’existence préalable de telles différences génétiques entre les cellules. Par ailleurs, le développement des tumeurs implique l’accumulation de diverses altérations génétiques, qui sont présents à la fois dans le génome nucléaire, ainsi que dans le génome mitochondrial (Preston-Martin et al., 1990).

Organisation du génome mitochondrial humain

Le génome mitochondrial humain est une molécule d’ADN double brin circulaire de 1656 paires de bases (Anderson et al., 1981) localisée dans la matrice cellulaire où elles pourraient être liées à la membrane interne, présentes en plusieurs copies dans une mitochondrie et par centaines de copies dans une cellule. Le brin «lourd» H (Heavy) est riche en guanine, quant au brin «léger» L (Light), il est riche en cytosine. La molécule d’ADN mitochondrial (ADNmt) humaine comprend 37 gènes codant pour 13 polypeptides de la chaîne respiratoire mitochondriale (le complexe I de la NADH déshydrogénase, le complexe III du Cytochrome b, le complexe IV du Cytochrome c oxydase et le complexe V des ATP synthases 6 et 8), ainsi que pour 22 ARN de transfert (ARNt) et 2 ARN ribosomiaux (ARNr) nécessaires à la synthèse de ces polypeptides dans la mitochondrie3 . Une autre particularité de l’ADNmt humain est l’absence d’introns; toutes les séquences codantes sont contiguës (Anderson et al., 1981; Wallace, 1992). Le seul segment non codant est la région de contrôle: D-Loop de 1121 pb contenant l’origine de réplication du brin H et les promoteurs de transcription des brins H et L. Normalement, ces copies ont toutes la même séquence nucléotidique, constituant ainsi une homogénéité décrite sous le nom d’« homoplasmie ». Dans diverses situations, cependant, une proportion variable de molécules d’ADNmt présente des mutations et l’on parle alors d’«hétéroplasmie» en raison de l’hétérogénéité des génomes mitochondriaux rencontrés au sein d’une même mitochondrie et, par conséquent, d’une même cellule (Schon et al., 1997).

Diversité génétique du génome mitochondrial

Le génome mitochondrial humain souligne une grande diversité génétique au niveau tissulaire (Jeronimo et al., 2001; Parrella et al., 2001), due à différents types de polymorphisme génétique. Ce dernier correspond à des variations naturelles d’une séquence d’ADN au niveau tissulaire. Ces variations de séquences sont dues à des mutations successives au cours de l’évolution (Ha et al., 2002) et qui rendent compte de la diversité inter-tissulaire. Dans le cadre de la génétique des populations, ces polymorphismes nous renseignent sur les différents processus d’ordre génomique et sélectif qui sont à la base de la variabilité génétique inter-tissulaire (Vasseur & Quintana-Murci, 2013). Ces polymorphismes sont d’une grande importance dans la génétique des cancers, puisqu’ils pourraient modifier certaines voies physiologiques responsables de la résistance ou la susceptibilité à la malignité de certaines tumeurs encore bénignes. Ainsi, la génétique des populations s’efforce de comprendre quelles sont les différentes forces à la base de cette variabilité. Celles-ci peuvent agir à différents niveaux: génomique (mutations), et sélectif (microenvironnement tumoral). Il est désormais bien établi que ce sont des mutations somatiques de l’ADNmt qui sont observées dans les différents types de tumeurs (Alonso et al., 1997; Fliss et al., 2000).

Mutations somatiques de l’ADN mitochondrial

Le génome mitochondrial est particulièrement exposé aux mutations somatiques dont les taux à ce niveau sont environ dix fois supérieurs à ceux constatés au niveau de l’ADNn (Wallace, 1994; Marcelino & Thilly, 1999). Les plus fréquentes des mutations rapportées aux tumeurs correspondent à des substitutions de bases, des délétions et des insertions d’une ou de plusieurs paires de bases pouvant survenir dans diverses régions du génome mitochondrial, impliquant soit des gènes codants, soit la région non codante de la D-Loop. Cette mutagenèse mitochondriale est, selon certains auteurs le fait, d’une exposition particulière de l’ADNmt aux ERO (Wallace, 1992; Richter, 1995; Kowaltowski & Vercesi, 1999), des systèmes de réparation de l’ADNmt moins développés et moins efficaces qu’au niveau de l’ADNn (Bassing et al., 2002), des erreurs de réplication induites par l’ADN polymérase γ mitochondriale (Celeste et al., 2003) et de l’absence d’histones au niveau de l’ADNmt (Bassing et al., 2003; Downs & Jackson, 2003). Cependant, le rôle exact de ces mutations somatiques de l’ADNmt dans le développement et la progression des tumeurs n’est pas clairement élucidé. Néanmoins, elles sont à l’origine des différences phénotypiques inter-tissulaires qui ne sont qu’une conséquence des mutations survenues au niveau du génome.

Conséquence des mutations

Les mutations sont classées selon leurs conséquences phénotypiques. Elles sont dites dynamiques lorsqu’elles correspondent à l’augmentation du nombre de certains triplets sur plusieurs générations. Par contre, elles sont dites ponctuelles lorsqu’il s’agit de la modification d’un nucléotide.
Certaines mutations ponctuelles se traduisent par la substitution d’un nucléotide par un autre. Lorsqu’une mutation apparaît dans la séquence codante d’un gène, elle va générer un nouvel allèle. Parfois, à cause de la redondance du code génétique, le nouveau codon code le même acide aminé que le codon original. La séquence protéique n’est donc pas modifiée (on parle alors de mutation synonyme ou silencieuse). Dans certains cas, les mutations ponctuelles entraînent une modification de l’acide aminé codé (mutation faux-sens). Ainsi, le changement d’un acide aminé peut avoir des répercussions quant à la fonction de la protéine. En effet, une mutation ponctuelle qui provoque le remplacement d’un codon spécifiant un acide aminé donné par un codon stop (mutation non-sens) résulte en la production d’une protéine tronquée. Certaines mutations sont dites, décalantes car l’addition ou la suppression de nucléotides non multiples de trois provoque un changement dans le cadre de lecture (insertions ou délétions).

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Physiopathologie tumorale mammaire

La genèse d’une tumeur mammaire suit les lois d’un continuum évolutif spatiotemporel (Guinebretière et al., 2007) faisant appel à une combinaison de mécanismes génétiques et épigénétiques dans la glande mammaire ainsi que des modifications dans le microenvironnement tumoral adjacent et des interactions cellules/milieux favorables (Sadikovic et al., 2008). En effet, la tumorogenèse est un processus complexe, dicté par l’accumulation progressive d’altérations génétiques et épigénétiques affectant des facteurs contrôlant la différenciation, la division et la mort cellulaire (Eisinger, 2005; Moyret-Lalle et al., 2008). Il s’agit d’un phénomène dynamique qui, à l’image de la théorie de l’évolution des espèces selon Darwin, repose sur une succession de phases de sélections et d’expansions clonales, chacune d’entre elles faisant suite à l’acquisition par une cellule d’un avantage de survie et de prolifération (Nkondjock & Ghadirian, 2005).
L’initiation tumorale serait le résultat d’une prolifération cellulaire incontrôlée et /ou d’un processus apoptotique aberrant (Preston-Martin et al., 1990), qui seraient la conséquence d’une accumulation d’altérations génétiques entraînant l’activation de proto-oncogènes et l’inactivation des gènes suppresseurs de tumeur (Bièche, 2010). Parallèlement à l’accumulation de ces altérations génétiques, l’épithélium mammaire normal progresserait vers des lésions prolifératives bénignes et atypiques, puis vers le carcinome in situ, pour aboutir enfin à une tumeur invasive (Burstein et al., 2004).
Dans la transformation de la glande mammaire, plusieurs étapes se succèdent, les unes responsables du développement des clones cellulaires aberrants et dégénérés, étapes de carcinogenèse et les autres responsables du développement d’une structure autonome et fonctionnant en autarcie, étapes appartenant au processus de tumorogenèse (Hurbin et al., 2006).

Extraction de l’ADN des tissus

L’ADN total des tissus mammaires a été extrait grâce à la méthode standard « Kit Qiagen DNeasy Tissue ». Les échantillons de tissus, préalablement découpés en petits morceaux afin de faciliter la digestion, ont été mis dans 180 μl de tampon de digestion (ATL) contenant des détergents qui entraînent une dissociation des tissus et une individualisation des cellules. 20 µl de protéinase K ont été ajoutés pour dégrader les protéines et notamment les histones associées à l’ADN; puis les tubes ont été incubés à 55° C pendant 3 h.
Après l’incubation nécessaire à la dégradation des protéines, le surnageant a été récupéré et les débris tissulaires éliminés. Ensuite, 200 µl de tampon de lyse cellulaire (AL) ont été ajouté au surnageant; puis le tout incubé dans un bain marie à 70° C pendant 10 mn après avoir été vortexé. Après cela, 200 µl d’éthanol 96-100% ont été ajouté à la solution afin de faire précipiter l’ADN. L’étape suivante a consisté à transvaser le mélange dans une colonne à membrane de silice préalablement placée sur un tube collecteur de 2 ml (fourni dans le Kit); puis à le centrifuger à 13000 rpm pendant une minute afin de retenir l’ADN au niveau membranaire de la colonne. En effet, l’ADN chargé négativement se fixe, par interactions ioniques, sur la membrane de silice chargée positivement. Par contre les protéines, les lipides et les polysaccharides ont été éliminés. L’ADN ainsi fixé sur la membrane de silice a été purifié pour éliminer toutes traces de contaminants. La purification a été réalisée par ajout successif de 500 μl de tampon (AW1 et AW2) dont le mélange a été centrifugé à 13000 rpm pendant respectivement 1 et 3 minutes.
La dernière étape de l’extraction consistait à l’élution de l’ADN. Les colonnes contenant l’ADN purifié ont été replacées dans d’autres tubes de 1,5 ml où 100 µl de tampon AE, préalablement chauffé à 70° C pendant 15 mn afin d’augmenter le rendement de 15 à 20%, ont été directement versés sur la membrane de silice pour décrocher l’ADN après une minute d’incubation à température ambiante puis de centrifugation à 13000 rpm. Les tubes contenant ainsi les extraits d’ADN, ont été conservés à -20° C. Après l’extraction, les extraits d’ADN ont été soumis à une électrophorèse afin d’évaluer leur qualité. Celle-ci consiste à séparer les fragments d’ADN en fonction de leurs tailles par migration dans une matrice solide de gel d’agarose soumis à un champ électrique. Pour cela, 7 μl de chaque extrait d’ADN et 3 μl de bleu de bromophénol (bleu de charge), ont été déposés dans des puits d’un gel d’agarose de 1,5 %, puis migrés à 100 volts pendant 35 minutes.
Après migration, les extraits d’ADN ont été révélés dans une chambre noire sous UV après passage dans un bain de Bromure d’Ethidium (BET).
La taille des extraits d’ADN a été approximativement évaluée à l’aide d’un marqueur de taille Smart Ladder de 1200 paires de bases.

Table des matières

Introduction
Chapitre I. Synthèse bibliographique
I.1. Approche « génétique des populations » dans l’étude des tumeurs 
I.2. Organisation du génome mitochondrial humain 
I.3. Diversité génétique du génome mitochondrial
I.3.1. Mutations somatiques de l’ADN mitochondrial
I.3.2. Conséquence des mutations
I.4. Polymorphisme de séquence et évolution 
I.4.1. Dérive génétique
I.4.3. Sélection naturelle
I.4.4. Conséquence de l’évolution
I.5. Physiopathologie tumorale mammaire 
Chapitre II. Matériel et méthodes 
II.1. Echantillons d’étude 
II.2. Extraction de l’ADN des tissus 
II.3. Amplification par PCR du Cytochrome b 
II.4. Séquençage du Cytochrome b 
II.5. Analyses moléculaires des séquences de Cytochrome b 
II.5.1. Traitement des données de séquences nucléotidiques
II.5.2. Recherche de mutations d’intérêt
II.5.3. Evaluation de la variabilité génétique intra-tissulaire
II.5.4. Analyse de la différenciation génétique inter-tissulaire
II.5.5. Mise en évidence des variations d’acides aminés
II.5.6. Détection de signature moléculaire de sélection
Chapitre III. Résultats et discussion 
III.1. Résultats 
III.1.1. Produits d’amplification
III.1.2. Alignement des données de séquences nucléotidiques
III.1.3. Profils de mutations du Cytochrome b
III.1.4. Variabilité génétique intra-tissulaire
III.1.5. Différenciation génétique inter-tissulaire
III.1.6. Variations d’acides aminés
III.1.7. Signature moléculaire de la sélection naturelle
III.2. Discussion 
Conclusion et perspectives 
Références bibliographiques
Webographie 
Annexes 
Annexe 1. Préparation du mélange réactionnel pour 1 échantillon d’extrait d’ADN
Annexe 2. Un thermocycleur de type Eppendhorf
Annexe 3. Augmentation exponentielle de la quantité d’ADN à chaque cycle de PCR

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