Impacts des invasions biologiques et de l’envahissement par des plantes sur un habitat

Dégradation des milieux humides

Parmi tous les écosystèmes, les milieux humides tendent à être particulièrement vulnérables à l’envahissement par des plantes, puisqu’ils se trouvent dans les parties basses d’un bassin versant où s’accumulent divers débris organiques, les sédiments (sable, limon et argile), l’eau et les nutriments pouvant faciliter ces invasions (Zedler et Kercher 2004). Ainsi, parmi la trentaine d’espèces végétales reconnues comme étant les plus envahissantes à travers le monde, 24 % d’entre elles (8 sur 33) sont des espèces végétales envahissantes sont des plantes de milieux humides (Zedler et Kercher 2004).
Plusieurs activités d’origine anthropique ont fortement contribué à la dégradation voire la perte des milieux humides à l’échelle globale (Millennium Ecosystem Assessment 2005). Les causes exactes de ces dégradations sont nombreuses et elles sont généralement liées aux activités humaines, considérées comme des sources de pollution, fragmentation et transformation des paysages (Moser et al. 1996; Millennium Ecosystem Assessment 2005; van Asselen et al. 2013).
Parmi ces activités, il y a le drainage, la conversion de l’usage des terres, l’eutrophisation, l’envasement des cours d’eau, la surexploitation et l’envahissement par des espèces exotiques (Cronk et Fennessy 2001; Zedler et Kercher 2005). Par exemple, au Québec, les activités agricoles et sylvicoles ont perturbé près de 20 % de la superficie totale des milieux humides des Basses-Terres du Saint-Laurent sur une période de 22 années (Pellerin et Poulin 2013).

Écologie des tourbières

Les tourbières sont des écosystèmes à drainage variable, où le processus d’accumulation organique prévaut sur les processus de décomposition, sont marqués par la formation de tourbe riche en carbone organique d’une épaisseur pouvant atteindre 10 m (Rydin et Jeglum 2013). Il est possible de distinguer deux principaux types de tourbières en fonction de leurs caractéristiques hydriques, physicochimiques de l’eau et la tourbe et leur composition végétale : les tourbières ombrotrophes et minérotrophes. L’écosystème d’étude se concentre spécifiquement sur les tourbières ombrotrophes. Les tourbières ombrotrophes, communément appelées bogs, ont une morphologie bombée et sont dominées par des sphaignes, souvent accompagnées de plantes herbacées, d’arbustes (éricacées) et d’arbres comme le mélèze laricin et l’épinette noire (Payette et Rochefort 2001). La présence de plantes typiques de milieux humides, telles que la quenouille et le roseau, est généralement faible (- 1 %) dans les parties naturelles des bogs de la région du Bas Saint-Laurent (Poulin et al. 2013).

Envahissement des bogs par des hélophytes

Jusqu’à ce jour, peu de cas d’envahissement d’un bog par des espèces hélophytes ont été répertoriés en Amérique du Nord et documentés dans la littérature scientifique. Les hélophytes sont définies comme des plantes semi-aquatiques typiquement de marais dont l’appareil végétatif et reproducteur est totalement aérien et dont les racines ou rhizomes se développent dans la vase ou dans une terre gorgée d’eau (Tiner 1991). Parmi les quelques cas documentés à ce jour, celui de l’envahissement des bogs du nord-ouest du Michigan (États-Unis) est particulièrement révélateur. La quenouille (Typha latifolia) et le roseau (Phragmites australis) ont envahi la rive de certains lacs peu profonds entrecoupant ce complexe tourbeux à la suite de perturbations causées par les feux et le piétinement de la flore. Ces perturbations ont contribué à l’élimination du tapis de sphaignes et de la couche superficielle de tourbe (Gates 1942).
D’autres types de plantes peuvent envahir les bogs. Par exemple, l’envahissement d’une tourbière par le bouleau (Betula spp.) est un phénomène qui a souvent été observé au Québec et ailleurs au Canada, ainsi qu’en Europe (Jonsson-Ninniss et Middleton 1991; Meade 1992; Lavoie et Rochefort 1996; Girard et al. 2002; Diamond et al. 2003; Lavoie et al. 2005b; Fay et Lavoie 2009). D’autres études menées principalement en Europe ont fait mention de l’envahissement par une mousse brune (Campylopus introflexus), des herbacées (Molinia caerulea, Sarracenia flava, Sarracenia purpurea), une fougère (Pteridium aquilinum), une éricacée (Rhododendron ponticum), ainsi que différentes espèces de conifères (Picea sitchensis, Pinus contorta, Pinus sylvestris). Ces envahissements résultent dans la plupart des cas de perturbations anthropiques sévères, d’un assèchement de la tourbe ou d’un dépôt excessif en azote (Smart et al. 1986; Tomassen et al. 2004; Malone et O’Connell 2009; Gogo et al. 2011; Rydin et Jeglum 2013; Lindsay 2014; Jukonienė et al. 2015; Swindles et al. 2016; Walker et al.2016).
Les bogs sont généralement des milieux moins propices à la présence de plantes envahissantes, puisque leurs conditions abiotiques sont hostiles (Zefferman et al. 2015). Ils reçoivent leurs apports en éléments nutritifs et en eau du vent et des précipitations atmosphériques. Ils sont isolées des eaux souterraines, ce qui fait en sorte que l’eau et la tourbe y sont acides (pH de 3,5 à 4,2) et très pauvres en éléments minéraux et nutritifs (Payette 2001;
Rydin et Jeglum 2013). Par contre, la dégradation de ces milieux par les activités humaines a nettement contribué à modifier ces conditions. Par exemple, le drainage intensif d’un bog abaisse le niveau de la nappe phréatique et augmente les fluctuations de cette dernière (Price et al. 2003).
De plus, l’aspiration des horizons superficiels lors de l’extraction de tourbe à des fins horticoles augmente le pH et la conductivité électrique de la tourbe. Elle augmente aussi les concentrations en calcium et ammonium, mais diminue la biodisponibilité de certains éléments minéraux et nutritifs (sodium et phosphore; Andersen et al. 2011). Il est possible que la modification des conditions hydriques et physicochimiques de la tourbe des bogs perturbés puisse faciliter l’établissement et la prolifération de certaines hélophytes, puisqu’elles affectionnent les zones humides non saturées d’eau en permanence, tolèrent de fortes fluctuations de la nappe phréatique et sont compétitives pour l’eau et les nutriments grâce à leur réseau racinaire bien développé (Tulbure et al. 2007; Johnston et al. 2009). Les perturbations anthropiques peuvent donc avoir des impacts négatifs sur la richesse en espèces de sphaignes (Tousignant et al. 2010). Elles peuvent également induire des effets à long terme sur certaines fonctions d’une tourbière comme la capacité à stocker l’eau et le carbone (Laine et al. 1995; Ward et al. 2007).
L’extraction de la tourbe à des fins horticoles est une source importante de perturbations anthropiques des bogs dans l’Est du Canada (Poulin et al. 2004). Il s’agit d’une activité répandue au Québec méridional (Payette et Rochefort 2001; Poulin et al. 2004). Elle se fait principalement par la méthode d’aspiration (Landry 2008), qui requiert le drainage du site et le retrait du couvert végétal. À la fin de la vie industrielle de la tourbière, une couche épaisse de tourbe a été extraite.
Le réservoir de graines a par conséquent été éliminé (Salonen 1987) et l’hydrologie grandement altérée (Price et al. 2003). Il en résulte de grandes superficies de tourbe résiduelle très décomposée et compacte (Price et Whitehead 2001). La couche superficielle est instable et soumise à l’érosion éolienne et au soulèvement gélival (Campbell et al. 2002). Ces conditions ne sont pas favorables à la croissance de la sphaigne. Plusieurs décennies après l’arrêt des activités d’extraction de la tourbe, la régénération naturelle par les sphaignes et autres plantes typiques des bogs est très lente (Lavoie et Rochefort 1996; Lavoie et al. 2005b). Cependant, cette surface peut parfois devenir favorable à certaines plantes rudérales tolérantes aux perturbations (Poulin et al. 2005) ou être dominée par une seule espèce durant plusieurs décennies (Poschlod et al. 2007).

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Restauration écologique des tourbières dégradées

Depuis le début des années 1990, des efforts ont été entrepris dans le but de restaurer les bogs fortement perturbés grâce à la réintroduction active d’une végétation typique de ces milieux (Rochefort et Lode 2006). Il s’est avéré que la restauration des tourbières pouvait potentiellement limiter l’expansion excessive de certaines espèces indésirables et atypiques des bogs (Poulin et al. 2013). En Amérique du Nord, la restauration écologique des bogs à partir de la technique de restauration par transfert du tapis muscinal développée par le Groupe de recherche en écologie des tourbières (GRET ; Quinty et Rochefort 2003) constitue une des pratiques employées pour restaurer un milieu dégradé et favoriser le retour à un écosystème fonctionnel (González et Rochefort 2014). Il s’agit de rétablir un couvert végétal principalement composé de mousses du genre Sphagnum. La restauration par transfert du tapis muscinal comporte plusieurs autres objectifs, comme le rétablissement d’un régime hydrologique propre aux tourbières (Rochefort et al. 2003) et le retour des cycles biogéochimiques et des interactions plantes-micro-organismes comparables à ceux d’une tourbière naturelle (Andersen 2006). Cette approche de restauration peut aussi assurer la présence d’une structure de végétation propre aux tourbières qui favorise la biodiversité faunique et floristique et qui permet à l’écosystème de résister aux invasions biologiques (Payette et Rochefort 2001), dont l’invasion par des espèces envahissantes atypiques des bogs (Gorham et Rochefort 2003).

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