IMPACTS DE L’EXPLOITATION ARTISANALE
DE L’OR SUR LA CONSERVATION DU
CHIMPANZE
L’exploitation des ressources minières, en particulier l’or, est une pratique très ancienne en Afrique de l’ouest et au Sahel (Mbodj, 2011). Elle a, tout au long de l’histoire, constitué la base de la richesse et/ou de la puissance de nombreux empires et royaumes de la sous-région (Keita, 2001). Au Sénégal cette activité remonte à plusieurs siècles dans la région de Kédougou, comme l’indiquent de nombreux témoignages, récits d’habitants et travaux de recherche (Mintech International, 2004). Pendant plusieurs siècles, l’exploitation de l’or a été exclusivement réalisée de manière artisanale, au sein des communautés plus ou moins petites, et essentiellement en dehors des périodes de culture comme la saison sèche. De ce fait, cette forme traditionnelle d’exploitation aboutissait à la production de faibles quantités d’or par rapport aux potentialités existantes et demeurait aussi moins néfaste pour l’environnement naturel. Mais aujourd’hui, partout dans la région de Kédougou, l’orpaillage a pris un autre visage, et surtout un rythme plus soutenu et plus accéléré favorisant l’utilisation de nouvelles techniques susceptibles d’avoir des impacts négatifs sur l’environnement et la faune. Pour le moment, quelques études ont été réalisées et publiées sur les risques sanitaires et environnementaux liés à l’extraction de l’or à petite échelle communément appelée orpaillage en Afrique. Par contre au Sénégal, il n’existe que peu de données sur ce thème (Butaré et Keita, 2010 ; Sow, 2010 ; PASMI, 2009 ; Niane, 2014). L’objectif général de notre étude est de mettre en exergue l’impact de l’orpaillage sur la conservation du Chimpanzé au Sénégal. Pour cela, nous avons comme objectifs spécifiques : D’identifier les impacts de l’orpaillage sur l’environnement immédiat des chimpanzés, De déterminer le niveau de contamination par le mercure des sites d’approvisionnement en eau pour les chimpanzés afin d’évaluer les risques potentiels d’empoisonnement. L’ensemble de ce mémoire se compose de trois chapitres : Le premier chapitre est consacré à la synthèse bibliographique sur l’orpaillage, le mercure et le Chimpanzé au Sénégal ;
L’orpaillage à Kédougou
L’exploitation artisanale de l’or, désignée sous le terme d’orpaillage est pratiquée depuis longtemps dans plusieurs villages de la région de Kédougou. Cette activité a vu le jour avec l’or alluvionnaire, appelé nara qui a fait l’objet d’une exploitation pendant plusieurs décennies dans beaucoup de village (Doucouré, 2015). Ce type d’orpaillage alluvionnaire était surtout pratiqué pendant la saison sèche et demeurait l’apanage exclusif des femmes du village dont il constituait l’une des principales activités pendant cette période de l’année. Cependant avec la découverte de l’or filonien, les hommes ont investi progressivement l’orpaillage à leur tour ainsi que les migrants internes (ou les nationaux) et les étrangers. Ainsi l’orpaillage devient une activité principale et s’organise essentiellement autour des sites miniers artisanaux communément appelés diouras en malinké. Ces sites d’orpaillage, loin d’être des zones d’anarchie, fonctionnent sur la base de règles établies au sein même des communautés d’orpailleurs (Doucouré, 2015), et regroupent plus de 50.000 personnes de toutes catégories (propriétaire du terrain, migrants national, immigrant) avec une quantité d’or extraite estimée à 500kg/an et un revenu d’environ 5000f CFA/jour (DNACPN, 2009). Mais au cours de ces dernières années, avec la flambée du prix de l’or et le début de l’exploitation industrielle, notamment la présence active de sociétés canadienne, australienne et sudafricaine dans l’exploration, on assiste à une prolifération des diouras avec l’utilisation massive et sans aucune mesure de récupération du mercure élémentaire (Niane, 2014). L’exploitation qui à l’origine était entièrement artisanale devient de plus en plus modernisée avec l’utilisation d’engins par exemple pour détecter la présence d’or, creuser, évacuer les eaux, broyer les pierres.
Le mercure
Généralités sur le mercure
Le mercure est un métal présent naturellement à des concentrations variables au niveau des océans, de l’atmosphère et de l’écorce terrestre. 8 Sa dynamique dans l’environnement est conditionnée par trois propriétés fondamentales : physique, par sa volatilité à température ambiante ; chimique, par sa stabilité du fait de ses liaisons avec le carbone et le soufre et biologique par sa très forte bioconcentration et sa toxicité (Cossa et Ficht, 1999). De ce fait il est considéré comme un polluant global du fait de sa large dissémination à partir d’une concentration très faible dans l’atmosphère. Sa forme la plus mobile est le mercure élémentaire (Hg°). Ses formes les plus stables sont le sulfure et le séléniure (Hg Se). Sa forme la plus toxique est le méthyl mercure (CH3Hg+) (Clarkson, 1997 ; Boening, 2000). Ce dernier composé, en très faible quantité dans l’eau, se concentre jusqu’à dix millions de fois dans les organismes aquatiques, particulièrement chez les poissons carnivores. En effet, le mercure peut entrer dans le système aquatique par différents moyens : dépôt atmosphérique sec et humide, ruissellement de surface et/ou directement à partir des eaux usées localement polluées. Ainsi les écosystèmes aquatiques sont particulièrement sensibles à la contamination par le mercure du fait des conditions physicochimiques et biologiques pouvant faciliter les transformations des différentes espèces chimiques du mercure qui contrôlent son cycle biogéochimique (Pestana et al., 2000 ; Wang et al., 2009) et sa circulation à l’échelle du globe.
L’utilisation du mercure dans l’orpaillage
Le mercure est utilisé dans l’orpaillage pour extraire l’or du minerai par la formation d’un amalgame or-mercure (UNEP, 2012). Cette méthode d’extraction de l’or est utilisée par les orpailleurs, car elle est moins coûteuse que la plupart des autres méthodes, qu’elle est à la portée d’une personne seule travaillant en exploitant indépendant et qu’elle est à la fois rapide et facile (UNEP, 2012). Dans l’ensemble du monde, l’exploitation artisanale de l’or est responsable d’environ 37 % des émissions de mercure et elle représente la source la plus importante de pollution mercurielle de l’air et de l’eau (UNEP, 2013). Autour des points où l’amalgame est chauffé, la teneur de l’air en vapeurs de mercure peut atteindre des valeurs très préoccupantes et elle dépasse presque toujours la limite fixée par l’OMS pour l’exposition de la population générale, c’est-à-dire 1,0 μg/m 3 (UNEP, 2012). Les exploitants ne sont pas les seuls à subir cette exposition ; il en va de même des communautés qui vivent au voisinage des lieux d’exploitation (UNEP, 2012) ainsi que la faune. Après vaporisation, le mercure finit par se déposer dans le sol et les sédiments des lacs, des cours d’eau, des baies et des océans où les micro-organismes anaérobies le transforment en méthyl mercure (figure 5). 9 Dans les étendues d’eau, le méthyl mercure est absorbé par le phytoplancton, ingéré par le zooplancton et les poissons, contaminant ainsi la chaîne alimentaire. Il s’accumule notamment chez les espèces prédatrices à longue durée de vie comme les squales et les espadons (OMS, 2007). Figure 5: Le cycle biogéochimique du mercure (source : Boubou et al, 2006a)
La Toxicité du mercure
Le mercure est un élément chimique très toxique. Sa libération dans l’environnement entraîne une intoxication massive des populations humaine et animale locales, voire celles très éloignées des lieux d’émissions. Le consommateur est ainsi exposé à des doses qui peuvent, dans les extrêmes cas, occasionner à long terme une neurotoxicité grave (Sow, 2010). Ainsi Quelques impacts ont été étudiés sur la vie sauvage : Inhibition de la croissance des algues, des bactéries, des champignons, Elévation de la mortalité embryo-larvaire étudiée par exemple chez les amphibiens, Moindre succès reproductif et pontes inhibées chez le poisson zébré et d‘autres espèces, Inhibition de la spermatogenèse étudiée par exemple chez Poecilia reticulata), Inhibition de croissance chez la truite arc-en-ciel, avec mortalité élevée des embryons et des larves, 10 Moindre succès de reproduction (couvées plus petites) et de survie des canetons chez les oiseaux d’eau vivant en milieux pollués par le mercure (IAEA, 1984). De manière générale, le mercure est un contaminant ubiquiste dangereux et toxique pour toutes les espèces vivantes connues. Ainsi, les chimpanzés qui vivent dans des zones proches des lieux d’exploitation dans la région de Kédougou ne sont donc pas épargnés.
Le Chimpanzé
Généralités sur le Chimpanzé
Le Chimpanzé Pan troglodytes fait partie de la classe des mammifères, de l’ordre des Primates et de la famille des Hominidés (figure 6). Au Sénégal, nous avons la sous espèces de l’Afrique occidentale, Pan troglodytes Verus, qui vit exclusivement dans les régions sud-est du pays (Tambacounda et Kédougou). Le Chimpanzé est menacé de disparition dans tous ses habitats en milieu naturel. Il est inscrit dans la catégorie des espèces « En Danger » sur la liste rouge de l’UICN et des espèces menacées (Humle et al., 2008). L’espèce est également protégée par la Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvages Menacées d’Extinction (CITES) ou « Convention de Washington » de 1973. Son régime alimentaire essentiellement frugivore et ses déplacements importants (plusieurs kilomètres par jour) dans leurs habitats expliquent leur rôle dans la dissémination des graines et donc dans la conservation des espèces végétales qu’ils consomment (Badji, 2013). Leur reproduction est lente (7 à 8 mois de gestation), comparée à la plupart des autres espèces sauvages. Ce qui rend difficile une reprise rapide des populations (UICN, 2004). Une femelle de chimpanzé ne se reproduit qu’à l’âge de 14 ans et ne donne naissance à un petit que tous les cinq ou six ans (Sugiyama 1999 ; Boesch et Boesch-Achermann, 1990). Cependant cet état de fait pourrait être aggraver en cas de contamination par le mercure, qui est sans doute un inhibiteur de la reproduction. Parmi les grands singes, le Chimpanzé est le plus proche de l’Homme, avec une ressemblance génétique de 98,5% (Barriel, 2004). Cette proximité accorde un intérêt particulier aux chimpanzés.
Répartition géographique et menaces
Le Chimpanzé d’Afrique occidentale Pan troglodytes verus, autrefois présent dans 12 ou 13pays, a actuellement une distribution parcellaire qui couvre seulement huit pays (Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, Libéria, Guinée-Bissau, Sierra Leone, Sénégal, Ghana.). Le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée sont les seuls pays entièrement inclus dans l’aire de distribution naturelle des chimpanzés (UICN, 2004). Ces pays ont également les zones les plus étendues de distribution de chimpanzés, grâce à leur diversité en habitats terrestres qui conviennent à ceux-ci (UICN, 2004). La distribution des Chimpanzés au Sénégal se limite à la région administrative de Tambacounda dans le PNNK et dans certaines zones de la région de Kédougou située au sudest du pays (UICN, 2004). Au Sénégal, le Chimpanzé Pan troglodytes verus vit dans des conditions climatiques de savane très dures. À cela s’ajoute dans la région de Kédougou la forte pression anthropique exercée sur l’habitat du Chimpanzé qui est liée surtout au développement des activités agricoles et minières et la compétition avec les hommes pour l’accès à des ressources critiques alimentaires (Badji, 2013). Ainsi, la pollution des points d’eau par le mercure pourrait avoir de lourdes conséquences, car pendant la saison sèche, quand l’eau est rare, les chimpanzés doivent boire de l’eau presque tous les jours dans ces derniers
NTRODUCTION |