Impacts de la perturbation mécanique des sols

Au cours des derniers siècles, les activités humaines ont fortement altéré la structure et la composition des écosystèmes terrestres. Ces modifications ont été causées par des phénomènes se déroulant à l’échelle globale, tels que la modification des cycles biogéochimiques, les changements climatiques et l’introduction d’espèces animales et végétales (Newman, 1995; Vitousek et al., 1997; Simberloff, 2000; Dale et al., 2001; Honnay et al., 2002; Steffen et al., 2005; IPCC, 2007), ainsi que par des activités ayant eu des impacts régionaux et locaux, par exemple l’exploitation minière et gazière, l’agriculture, le développement urbain et la récolte de la matière ligneuse (Forman, 2000; Trombulak et Frissell, 2000; World Resources Institute, 2000; Schneider et al., 2003; Steffen et al., 2005). Ainsi, les écosystèmes terrestres ont subi d’importantes modifications qui, dans de nombreux cas, ont mené à une altération ou à une diminution de leur diversité biologique, structurale et fonctionnelle (Liebhold et al., 1995; Laurance, 1999; Simberloff, 2000; Hoekstra et al., 2005; Steffen et al., 2005), ainsi qu’à une diminution de leur capacité à fournir les biens et services écosystémiques à un même niveau de qualité et au même rythme (Toman et Ashton, 1996; Costanza et al., 2000; Steffan et al., 2005).

En réponse aux inquiétudes posées par la diminution de la capacité des écosystèmes à fournir les biens et services nécessaires au maintien et au développement des sociétés humaines, plusieurs scientifiques ont soutenu que la gestion des ressources naturelles devait se faire en tenant compte de la résilience et de la résistance des écosystèmes (Holling, 1973, 1986; Peterson et al., 1998; Gunderson, 2000; Groffman et al., 2006). En écologie, la notion de résilience se définit comme la capacité d’un système naturel à se réorganiser suite à une perturbation, alors que la notion de résistance réfère à la capacité d’un système à absorber les effets d’une perturbation sans subir de modification d’état, c’est-à-dire sans subir de changement important en regard des variables et processus qui gouvernent son fonctionnement (Holling, 1973, 1986; Gunderson, 2000; Groffman et al., 2006). Dans le cas d’un écosystème forestier, par exemple, la résilience pourra être évoquée pour décrire sa capacité à se reconstituer à la suite d’un feu sans subir de transformations importantes de composition ou de structure . La différence entre la persistance d’un système (i.e. sa résilience) ou sa transformation (i.e. un changement d’état) dépend de l’équilibre entre des rétroactions négatives qui tendent à maintenir le système dans son état actuel et des rétroactions positives qui tendent à le faire basculer dans un nouvel état (Chapin et al., 2009, 2010). Cette définition de la résilience suppose donc, pour un écosystème donné, la possibilité que celui-ci puisse se trouver dans des états stables alternatifs. Rietkerk et al. (2004) et Groffman et al. (2006) utilisent les termes bistabilité et multistabilité pour évoquer la possibilité qu’un écosystème puisse se trouver dans deux ou plusieurs états stables alternatifs. Par exemple, en forêt boréale, Payette et al. (2000) ont montré que la résilience de la pessière à mousses peut être estimée par la fréquence et l’action combinée de diverses perturbations (dans ce casci une épidémie d’insectes suivie d’un feu) et qu’au-delà d’un certain seuil la pessière à mousses change d’état et se transforme progressivement en pessière à lichens . Lorsqu’un système se trouve dans un de ses états stables alternatifs (p. ex., la pessière à mousses), ses attributs, tels que sa productivité ou ses structures verticale et horizontale, peuvent fluctuer, mais à l’intérieur de certaines limites maintenues par des contraintes internes ou externes au système (Connell et Sousa, 1983; Scheffer et al., 2001), par exemple par la disponibilité des éléments nutritifs ou le régime des perturbations.

Du point de vue des sociétés humaines, tous les états stables alternatifs d’un écosystème ne sont pas désirables. La valeur qu’on accordera à un état stable dépendra, entre autres, de son utilité sociale ou économique, et du contexte dans lequel se fait la gestion des ressources tirées de l’écosystème (Holling, 1973; Ludwig et al., 1997; Drever et al., 2006), peu importe que ce système soit résilient ou non. Par exemple, un paysage forestier composé principalement d’espèces introduites ayant peu d’utilité peut être considéré comme étant indésirable, mais être hautement résilient, alors qu’une monoculture d’arbre peut être économiquement désirable, mais posséder une faible résilience aux perturbations (Drever et al., 2006).

Résilience et états stables alternatifs dans le nord-ouest québécois : pessières productives ou tourbières forestières?

Une vaste région du nord-ouest québécois se situe dans la province naturelle des Basses-terres de l’Abitibi et de la Baie James (Li et Duerne, 1999). Cette province naturelle constitue une plaine légèrement inclinée vers la baie James. Au cours de la dernière période glaciaire qui s’est terminée il y a environ 10 000 ans, divers processus glaciaires et périglaciaires (i.e. glaciation, réavancées glaciaires régionales, invasions marine et lacustre) ont laissé sur ce territoire d’épais dépôts d’argile, de limon et de graviers relativement mal drainés sur lesquels se sont développées de grandes tourbières forestières (Veillette, 1994). La partie sud de ce territoire, communément appelée la ceinture d’argile, est recouverte d’un épais (> 10 rn) dépôt glaciolacustre constitué d’argile et de limon mis en place par les lacs proglaciaires Barlow et Ojibway suivant la dernière glaciation (Veillette, 1994). La partie nord du territoire quant à elle est recouverte d’un till très compact (le till de Cochrane) constitué d’un mélange d’argile, de graviers et de galets, et mis en place par une avancée glaciaire tardive il y a environ 8 000 ans (V eillette, 1994).

L’ensemble du territoire fait partie du domaine bioclimatique de la pessière à mousses de 1 ‘ouest (Robitaille et Saucier, 1998) et est dominé par des peuplements d’épinette noire (Picea mariana) montrant une grande variabilité de densité et de hauteur. Le pin gris (Pinus banksiana) et le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides), bien que moins fréquents, forment des peuplements purs ou mélangés avec l’épinette noire (Harper et al., 2002). Les éricacées (p. ex., Rhododendron groenlandicum, Kalmia angustifolia et Vaccinium spp.) dominent la strate arbustive, alors que la strate muscinale est dominée par les sphaignes (Sphagnum spp.) et les mousses hypnacées, principalement par l’hypne de Schreber (Pleurozium schreberi).

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En raison des interactions complexes entre le climat régional (relativement froid et humide), la nature et le drainage des dépôts de surfaces, la topographie généralement plane, la présence d’espèces récalcitrantes à la décomposition (p. ex., les éricacées et sphaignes) et le régime des perturbations naturelles (Lavoie et al., 2005; Lecomte et al., 2006a, 2006b; Simard et al., 2009), les pessières à mousses de la région sont particulièrement susceptibles à la paludification, c’est-à-dire à la transformation graduelle de forêt productive en tourbière forestière. En raison de cette susceptibilité, le paysage régional prend l’aspect d’une mosaïque complexe où alternent des peuplements productifs et des tourbières forestières .

Comme ailleurs dans la forêt boréale nord-américaine, les feux constituent un des plus importants agents de perturbation et dynamisation des forêts couvrant la ceinture d’argile et le till de Cochrane (Bergeron et al. 2004 ). Ces feux exercent un contrôle important sur le processus de paludification (Fenton et al., 2005; Simard et al, 2007). Pour l’ensemble de la région, Bergeron et al. (2004) ont calculé que la fréquence des feux est passée d’un cycle d’environ 100 ans avant 1850 à un cycle d’environ 400 ans depuis. Toutefois, une étude récente indique que bien qu’on observe depuis environ 5000 ans un allongement du cycle de feu, l’augmentation projetée des températures pourrait raccourcir ce cycle si les températures accrues ne sont pas compensées par une augmentation des précipitations (Hély et al., 201 0). Dans un cadre d’ aménagement forestier où l’on voudrait calquer la fréquence et les superficies de récolte sur le régime des perturbations naturelles par le feu, une augmentation de la fréquence des feux pourrait conséquemment soustraire une partie du territoire à la récolte (Gauthier et al. , 2008a).

L’aménagement forestier basé sur les perturbations naturelles 

Il s’est développé au cours des dernières années un intérêt grandissant pour l’aménagement forestier basé sur la dynamique des perturbations naturelles (Attiwill, 1994; Bergeron et Harvey, 1997). Cette approche d’aménagement réfère à l’ensemble des pratiques et des stratégies sylvicoles dont l’objectif est de reproduire les effets des perturbations naturelles sur la structure et la composition des peuplements et des paysages forestiers (Hansen et al., 1991; Hunter, 1993; Attiwill, 1994; Bergeron et Harvey, 1997; Angelstam, 1998). Le principal argument en faveur de cette approche veut qu’un aménagement des forêts qui favorise le développement de peuplements et de paysages ayant une composition et une structure semblables à celles des écosystèmes naturels devrait également favoriser le maintien de leur diversité biologique et de leurs fonctions (Franklin, 1993; Hunter, 1999; Gauthier et al., 2008b) .

L’aménagement forestier basé sur la dynamique des perturbations naturelles s’applique aussi bien à l’échelle du peuplement qu’à l’échelle du paysage. À l’échelle du peuplement, cette approche s’articule, entre autres, autour du concept de rétention variable dont l’objectif est de préserver dans les peuplements récoltés des éléments structuraux tels que des arbres d’espèces et de diamètres variés, des bouquets d’arbres, des chicots de tailles variées et des débris ligneux de gros diamètres (i.e. des legs biologiques; Franklin, 1993; Franklin et al., 1997; Mitchell et Beese, 2002; Gauthier et al., 2008b). À l’échelle du paysage, l’aménagement forestier basé sur la dynamique des perturbations naturelles impose de maintenir ou de recréer, par exemple, la variabilité de la taille des zones perturbées, l’abondance et la distribution des classes d’âge des peuplements ainsi que 1′ agencement spatial des différents types de peuplements tels qu’observés dans les paysages naturels (Angelstam, 1998; Bergeron et al., 1999; Gauthier et al., 2008b ). La préservation des patrons et des structures évoqués ci-haut permettrait donc la conservation de la diversité animale et végétale ainsi que le maintien des fonctions et des processus écologiques se déroulant tant à l’échelle du peuplement qu’à l’échelle du paysage et, par conséquent, de maintenir la résilience des écosystèmes forestiers aménagés (Gunderson, 2000).

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
0.1. Introduction
0.2. Résilience et états stables alternatifs dans le nord-ouest québécois : pessières productives ou tourbières forestières?
0.3. L’aménagement forestier basé sur les perturbations naturelles
0.4. Objectifs de la thèse
CHAPITRE I DO HARVEST METHODS AND SOIL TYPE IMPACT THE REGENERATION AND GROWTH OF BLACK SPRUCE STANDS IN NORTHWESTERN QUEBEC?
1.1. Abstract
1.2. Résumé
1.3. Introduction
1.4. Methods
1.4.1. Study area
1.4.2. Forest policy context
1.4.3. Experimental design and sampling
1.4.4. Determination ofharvest method and soil type
1.4.5. Dataanalyses
1.5. Results
1.5.1. Regeneration and growth parameters
1.5.2. Ericaceous shrubs and Sphagnum spp. cover
1.5.3. Relationships between tree growth parameters and competing vegetation
1.6. Discussion
1.6.1. hnpactofharvestmethod
1.6.2. hnpact of soi! type
1.6.3. Management considerations
1. 7. Conclusion
1.8. Acknowledgements
1.9. References
CHAPITRE II CONTRASTING EFFECTS OF SEASON AND METHOD OF HARVEST ON SOIL PROPERTIES AND BLACK SPRUCE GROWTH IN THE BOREAL FORESTED PEATLANDS OF EASTERN CANADA
2.1. Abstract
2.2. Résumé
2.3. Introduction
2.4. Methods
2.4.1. Study area
2.4.2. Site selection
2.4.3. Plot layout and survey
2.4.4. Soi! and foliar analyses
2.4.5. Statistical analyses
2.5. Results
2.5.1. Effects ofharvest method and season on stand-scale parameters
2.5.2. Effects ofharvest method and season on study trees and soi! variables
2.5.3. Comparisons between wildfires and harvested stands
2.6. Discussion
2.6.1. Effects ofharvest method and season on stand- and tree-scale parameters
2.6.2. Harvest method vs. wildfire
2.7. Conclusions
2.8. Acknowledgements
2.9. References
CONCLUSION GÉNÉRALE

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