Les changements climatiques sont sujets d’actualité et beaucoup de recherches scientifiques s’y rapportent. Le réchauffement progresse à une telle vitesse que les conséquences pourraient être néfastes pour plusieurs espèces animales et végétales (Parmesan 2006). Certains de ces changements risquent d’avoir des impacts sur la forêt boréale, une ressource économique et culturelle importante au Québec (Brooks et al. 1998). Parmi ces effets, on prédit des augmentations de la température pour l’Est du Canada et des périodes plus importantes de sécheresse durant la période végétative (Burke et al. 2006, Plummer et al. 2006). Avec les perturbations naturelles déjà présentes comme les feux et les épidémies d’insectes, les périodes de sécheresse pourraient avoir un impact majeur sur la mortalité des arbres de la forêt boréale (Peng et al. 2011). Ces sécheresses pourraient donc entrainer une sélection rapide d’espèces mieux adaptées au stress hydrique. Par exemple, plusieurs espèces de Quercus qui poussent dans les forêts tempérées et méditerranéennes ont des systèmes racinaires profonds leur permettant de puiser de l’eau durant les épisodes de sécheresse (Abrams 1990) .
Afin de mieux comprendre les impacts d’une sécheresse prolongée sur l’épinette noire (Picea mariana (Mill.) BSP) mature, l’essence ligneuse dominante de la forêt boréale, une expérience d’exclusion de pluie a été effectuée en milieu naturel. Cette expérience, réalisée de 2010 à 2012, s’est penchée sur la variation radiale du tronc, la physiologie et phénologie cambiale (xylogénèse) de la tige sous l’effet d’un stress hydrique important de longue durée (Belien et al. 2012). L’exclusion de pluie a été réalisée à l’aide d’un dispositif de toiles installé sous la canopée d’arbres matures (Belien et al. 2012). Il a été démontré que l’exclusion de pluie a réellement provoqué une sécheresse abaissant la teneur en eau volumétrique du sol (volumetric water content) (Belien et al. 2012). La réduction moyenne de teneur en eau par site variait de 46,8 % à 67,9 % (Belien et al. 2012). Malgré cette réduction de l’eau disponible, les arbres ont poursuivi leur cycle quotidien de contraction et d’expansion (Belien et al. 2012). Ce cycle est lié à la croissance radiale ainsi qu’ à l’hydratation quotidienne de l’arbre et informe donc sur son statut hydrique (Drew et Downes 2009). L’une des hypothèses des chercheurs était qu’en cas de stress hydrique, ce cycle aurait dû être perturbé. Pour ce qui est de la physiologie, les résultats ont démontré que le stress a provoqué une production de trachéides plus petites dans la tige pour la première année de traitement sans pour autant avoir d’impact sur la quantité de cellules, l’épaisseur de leurs parois et la croissance radiale (Belien et al. 2012). Les résultats suggèrent donc que l’épinette noire semble avoir une forte résistance et face au stress hydrique à l’âge mature.
Au contraire, une expérience d’un stress hydrique sur des semis d’épinettes noires a démontré que leur croissance et leur physiologie étaient fortement affectées par une sécheresse (Balducci et al. 2013). Cette dernière expérience s’est déroulée en milieu contrôlé (serre) avec des semis en pot âgés de quatre années (Balducci et al. 2013). Les semis étaient soumis à un traitement sans irrigation pendant 32 jours. L’impact de la sécheresse s’est fait ressentir au niveau de la production de cellules du xylème, leur élargissement, l’épaississement de leurs parois et leur lignification (Balducci et al. 2013). Les résultats ont démontré que l’activité cambiale ainsi que la croissance radiale des semis d’épinettes noires étaient très sensibles au stress hydrique et qu’une importante sécheresse pouvait même compromettre leur survie (Balducci et al. 2013) .
DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL
Le traitement de simulation de sécheresse s’est déroulé pendant trois années de suite, soit de 2010 à 2012. Des toiles de plastique transparent de 9,6 m par 9,6 m étaient placées autour de cinq arbres (arbres stressés) par site ce qui, selon la littérature, était suffisant afin de recouvrir la majorité de la superficie couverte par le système racinaire de l’épinette noire (Polomski et Kuhn 1998, Krause communication personnelle) . Il est important de noter que, puisque les toiles étaient carrées, une racine de 6,8 m allant en direction d’un coin de la toile ne sortait pas de la zone d’exclusion (figure 1B). Cependant, une racine de même longueur allant perpendiculairement au bord de la toile atteignait l’extérieur de la zone d’exclusion . Les toiles étaient disposées de la fin mai-début juin à septembre sous la canopée puis enlevées pour l’hiver afin que les arbres puissent survivre au froid hivernal puisque c’est la neige accumulée au sol qui isole les racines contre le gel durant l’hiver (Krause, communication personnelle). Les arbres avaient donc accès à l’eau de la fonte des neiges au printemps. Les arbres témoins (sans toile d’exclusion) étaient des arbres matures se trouvant à une distance de 10 à 30 mètres des arbres stressés.
ÉCHANTILLONAGE ET PRÉPARATION
Six arbres par site ont été sélectionnés pour l’échantillonnage dont trois arbres ayant été soumis à l’exclusion de pluie (arbres stressés) et trois témoins. Pour chacun des arbres, une seule racine principale a été sélectionnée et excavée avec chacune de ses ramifications. Les racines principales ont été choisies selon un diamètre semblable. Afin de récolter le maximum de racines fines (1-2 mm de diamètre) sans les endommager, l’excavation s’est faite à la main et à l’aide de petites truelles. Selon une étude, dans laquelle l’excavation de systèmes racinaires s’est faite à la pelle, la truelle, la main et d’outils de dissection, l’efficacité estimée de leur récolte était de plus de 75 % pour les racines de diamètre inférieur à 2 mm et de 95 % pour les racines de diamètre entre 2 et 5 mm (Strong et Roi 1983). La récolte de la présente étude devrait donc être semblable voir supérieure puisque l’excavation s’est faite entièrement à la main à l’approche des racines fines. De plus, la présence des extrémités terminales blanches (white tips) sur les échantillons récoltés confirmait que les extrémités distales étaient bien récoltées (Konôpka et al. 2007). Une seule racine par arbre a été récoltée puisque l’excavation était une tâche longue et qu’on s’intéressait à la totalité des ramifications jusqu’à l’extraction des « white tips». Lors de l’excavation, les ramifications qui sortaient des zones d’exclusion ont été notées. Les racines récoltées ont ensuite été apportées au laboratoire afin d’identifier chacune de leurs ramifications, leur ordre et de les couper afin de les compter, mesurer et de les analyser.
Les critères de sélection pour qu’une ramification soit comptée étaient d’avoir plus de 1 mm de diamètre. Cette limite est arbitraire, mais permet une analyse à un niveau très fin. Les ramifications n’entrant pas dans les critères de sélection ont été laissées sur leur racine d’origine afin d’être considérées dans la prise de biomasse (figure 2). Ainsi, selon la figure 2, on compte au total 7 ramifications, mais seulement 3 sont considérées (ramification #1, #2 et #3). Ensuite, puisque les ramifications non comptées sont laissées sur les ramifications #1 et #3, leur biomasse est considérée. Donc, la biomasse de la ramification #3 comprend aussi la biomasse de ses ramifications non comptées, mais est considérée comme étant une seule ramification. Le décompte des ramifications et la prise de la biomasse ont été effectués pour comparer la production de ramifications des arbres stressés et des témoins. Au total, 3 190 ramifications ont été sélectionnées et analysées pour un total de 1,28 kilomètre de racines.
BIOMASSE
Les échantillons, divisés par ordres racinaires, ont été séchés dans une étuve jusqu’à l’obtention d’une masse constante afin que la totalité de l’eau se soit évaporée. La biomasse sèche a ainsi été pesée pour les racines principales (RP) ainsi que chacune de leurs ramifications (R1 à R6). Connaissant l’ordre des ramifications ainsi que leur diamètre, il était donc possible de calculer la biomasse selon l’ordre racinaire ainsi que selon trois groupes de diamètres soit 1-2 mm, 2.01-5,00 mm et >5 mm (John et al. 2012). Pour le reste du mémoire, le groupe de diamètre 2-5 mm fera référence à 2,01-5,00 mm. De plus, connaissant les ramifications sortant des zones d’exclusion, il était possible de calculer la biomasse racinaire à l’intérieur des zones d’exclusion ainsi que celle à l’extérieur.
STATUT RACINAIRE
Lors de l’excavation, les ramifications ont été vérifiées de façon à savoir si elles étaient vivantes, et ce, par la présence de « white tips » ainsi que leur souplesse (Konôpka et al. 2007). Il est à noter que quelques ramifications d’ordre 5 et 6 mortes récoltées étaient très cassantes et pour cette raison, n’ont pas pu être récoltées entièrement. Il a été démontré qu’une sécheresse entrainait principalement la mortalité des racines fines qui se traduisait par une réduction du nombre de ces racines fines (Konôpka et Lukac 2013, Konôpka et al. 2007). Une autre façon d’évaluer la mortalité des racines de surface était de comparer le nombre et la biomasse des racines de surface. Puisque ce sont les racines fines de surface qui sont le plus sensibles face aux sécheresses, elles devraient donc se retrouver en quantité moins importante chez les arbres stressés que les témoins. Les racines fines ont donc été comparées selon leur catégorie de diamètre (racines fines 1-2 mm, 2-5 mm et >5 mm) ainsi que leur ordre racinaire, et ce, entre les arbres stressés et les témoins.
ANALYSES DENDROCHRONOLOGIQUES
Les racines principales ainsi que toutes les ramifications d’au moins 50 cm de long ont été coupées en sections à tous les 25 cm jusqu’à un diamètre du xylème de 5 mm. La limite de 5 mm est arbitraire, mais est basée sur le fait qu’un certain nombre de cernes de croissance sont nécessaires afin d’interdater correctement (Holmes 1983, Krause communication personnelle). Chacune des sections a été sablée dans le but de mieux percevoir les cernes de croissance. Par la suite, un rayon discontinu a été tracé afin de distinguer le plus de cernes de croissance possible (Krause et Eckstein 1993) (figure 5). Les cernes de croissance des racines ont été mesurés avec une précision de 1,01 mm en suivant le rayon à l’aide de l’appareil de mesure manuel Lintab et du logiciel TSAP-Win (Rinntech). L’interdatation s’est faite par superposition des courbes de croissance sur une table lumineuse (Stokes et Smiley 1968). Le but étant de vérifier la concordance des variations de croissance des différentes sections et de déterminer s’il y avait des cernes discontinus. La vérification statistique des courbes s’est faite par le logiciel COFECHA qui calcule la corrélation entre les différentes courbes de croissance (Holmes 1983). Une corrélation de plus de 0,3281 est significative à 99 % (Holmes 1983). Il est important de noter que pour certaines racines, l’interdatation visuelle était plus efficace puisque les séries de cernes de croissance étaient très courtes. Puisqu’il est possible que la croissance radiale ne soit pas affectée de la même manière selon la fonction et la partie de la racine, la croissance radiale le long des RP a été divisée en trois groupes selon leur fonction principale soit, 0-125 cm pour la stabilisation des parties aériennes par des forces de compressions, 150-325 cm et >350 cm qui ont les fonctions de stabilisation par des forces de tension ainsi que l’absorption de l’eau. Les regroupements >350 cm ont été exclus des analyses puisque trop peu de sections interdatées chez les témoins entraient dans cette classe durant les années de traitement. La croissance radiale durant les années de traitement des arbres stressés a par la suite été comparée à celle des témoins. Une diminution ou une augmentation de croissance de 40% ou plus est perçue comme étant liée à un changement abrupt (Schweingruber et al. 1986). Ainsi, en cas de stress important durant les années d’exclusion (2010 à 2012), la croissance radiale des racines devrait être affectée. Afin de comparer les valeurs de croissance radiale, une standardisation simple a été appliquée. C’est-à-dire que pour chacune des sections, une moyenne de la largeur des cernes de croissance a été calculée . Par la suite, chacune des valeurs de largeur des cernes de croissance a été divisée par cette moyenne .
1 INTRODUCTION |