Impact du cancer sur la personne/famille
Changements de rôle dans la famille
Toutes les études retenues pour ce travail évoquent un changement de rôle chez le malade au sein de sa famille comme faisant partie du processus d’adaptation au cancer (Aamotsmo & Bugge, 2014 ; Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Billhult & Segesten, 2003 ; Buchbinder, Longhofer & McCue, 2009 ; Helseth & Ulfsaet, 2005 ; Kalbfleish, Cyr, Gregorio et Nyhof-Young, 2015 ; Semple & McCance, 2010 ; Turner, Clavarino, Yates, Hargraves, Connors & Hausmann, 2007). En effet, ce changement de rôle est inévitable de par les répercussions des effets secondaires, les obligations liées aux traitements sur la personne et sa famille et la confrontation à la mort. Une réattribution des tâches est observée pour faire face à la perturbation. Certains auteurs disent qu’il est compliqué pour les parents d’accepter le changement car il influence directement leur rôle parental (Billhult & Segesten, 2003 ; Helseth & Ulfsaet, 2005 ; Semple & McCance, 2010). Les parents souhaitent exercer un contrôle sur le quotidien comme auparavant. Toutefois, cela n’est pas possible et engendre de l’anxiété chez la personne en la confrontant à la déficience de son rôle parental. Une nouvelle dynamique familiale s’installe, la personne malade est plus présente à la maison et les interactions avec l’extérieur diminuent (Buchbinder, Longhofer & McCue, 2009). Nous nous rendons compte que ce changement de dynamique est multifactoriel et à un impact sur le quotidien. Si nous reprenons les propos de Neyrand (2007, cité dans Mellier, 2015) qui attribue la fonction de gestion du quotidien au rôle parental, nous pouvons alors en déduire qu’une perturbation de son implication dans le foyer semblerait influencer ce rôle. Sur ce constat, si un parent ne peut s’investir dans la gestion du quotidien, il exerce plus difficilement son rôle parental par rapport à l’image qu’il s’en fait. En d’autres termes, si les parents sont limités dans leurs actions, ils semblent avoir tendance à penser qu’ils ne sont pas de bons parents.
Selon Helseth et Ulfsaet (2005), les besoins de la famille sont entremêlés. Le patient éprouve de la difficulté à percevoir les besoins des autres membres de sa famille, notamment, à cause de la fatigue. Plusieurs études disent que les besoins de l’enfant sont constamment priorisés par les parents au détriment de leurs propres besoins (Aamotsmo & Bugge, 2014 ; Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Billhult & Segesten, 2003 ; Helseth & Ulfsaet, 2005). En agissant ainsi, la personne pense remplir adéquatement son rôle de parent. Nous nous demandons si, lorsque la personne ne perçoit pas correctement les besoins de son enfant, mais qu’elle les fait tout de même passer avant les siens, il n’y aurait pas un risque. Adopter une réponse inefficace au besoin de l’enfant serait le risque. Faire passer ses besoins avant celui de l’enfant ne signifie pas forcément être un mauvais parent, au contraire, cela peut aider la personne à être plus en accord avec les ressources disponibles qu’elle a pour son enfant. La réattribution des tâches pousse les membres la famille à s’attribuer un nouveau rôle. De nouvelles tâches leur sont confiées, et elles dépendent de l’état de santé du patient. Selon le modèle de McGill, la famille est perçue comme un système en interaction constante (Paquette-Desjardins, Sauvé & Pugnaire Gros, 2015). La personne est indissociable de sa famille, elle est donc qualifiée de personne/famille. L’infirmière est encouragée à intégrer tant les besoins individuels de la personne que ceux de sa famille, tout en l’intégrant dans sa prise en soins.
Dans la confusion des besoins de la famille, le conjoint en santé endosse plus de responsabilités et il est tiraillé entre la réponse aux besoins de l’enfant et à ceux de son conjoint malade (Aamotsmo & Bugge, 2014 ; Buchbinder, Longhofer & McCue, 2009 ; Semple & McCance, 2010). Un sentiment d’insatisfaction et de frustration émerge. Nous constatons que le conjoint en santé risque l’épuisement, ainsi que de mal vivre l’augmentation de ses responsabilités. De ce fait, deux études stipulent qu’il est important pour lui de maintenir des activités en dehors du domicile pour qu’il puisse se ressourcer (Aamotsmo & Bugge, 2014 ; Helseth & Ulfsaet, 2005). Toutefois, ce dernier avoue négliger fortement cet aspect.
Pour plusieurs auteurs, la mobilisation du soutien social est définie comme une ressource nécessaire pour pallier aux changements de rôles dans la famille (Billhult & Segesten, 2003 ; Buchbinder, Longhofer & McCue, 2009 ; Helseth & Ulfsaet, 2005; Semple & McCance, 2010). Ce soutien peut apporter une suppléance aux impossibilités parentales, peut aider dans l’organisation des tâches et permet de libérer le parent de certaines fonctions pour qu’il puisse s’investir dans d’autres moments clés. Selon Billhult et Segesten (2003), le soutien amène la personne à réaliser qu’elle est malade. En effet, la personne a conscience de l’importance de ce soutien mais il est difficile pour elle de l’accepter (Aamotsmo & Bugge, 2014). Nous pensons que le fait de demander de l’aide montre les limites de la personne. Cela peut rendre l’impact de la maladie visible et l’embarrasser.
Désir de protéger l’enfant
L’enfant tient une place centrale aux yeux de ses parents. Le désir de protection est propre au rôle parental, toutefois il semble être majoré lorsque le cancer s’immisce dans la famille. Les articles abordant la notion de rôle parental, se rejoignent sur l’importante exprimée par les parents de vouloir protéger leurs enfants de la maladie (Aamotsmo & Bugge, 2014 ; Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Billhult & Segesten, 2003 ; Buchbinder, Longhofer & McCue, 2009 ; Helseth & Ulfsaet, 2005 ; Semple & McCance, 2010 ; Turner, Clavarino, Yates, Hargraves, Connors & Hausmann, 2007). De plus, deux articles affirment que les besoins et les réactions de l’enfant changent en fonction de son âge et du degré de la maladie du parent (Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Turner, Clavarino, Yates, Hargraves, Connors & Hausmann, 2007). Certains résultats montrent également que les parents expriment de la difficulté à interpréter les comportements de leurs enfants (Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Helseth & Ulfsaet, 2005). De nombreux questionnements sont exprimés sur leurs attitudes. Néanmoins, Aamotsmo et Bugge (2014), affirment que le parent est à même de décrypter les changements de comportements de l’enfant.
Il n’y a pas de consensus sur la bonne manière de protéger l’enfant. Certains parents tentent de cacher les effets secondaires des traitements ainsi que leurs craintes aux enfants (Billhult & Segesten, 2003 ; Buchbinder, Longhofer & McCue, 2009). Ils évitent de parler de certains sujets tels que la mort. D’autres parents planifient leur traitement en l’absence de leurs enfants et adoptent une attitude toujours positive avec ces derniers (Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Billhult & Segesten, 2003). Nous remarquons que pour ces parents une volonté d’exclure la maladie du quotidien de l’enfant est un moyen de le protéger. A contrario, selon Turner, Clavarino, Yates, Hargraves, Connors et Hausmann (2007), d’autres parents sont d’avis qu’impliquer les enfants dans les soins les aiderait à cheminer vers une prise de conscience de ce qui se passe. De plus, cela normalise l’expérience du cancer. Plusieurs études préconisent de préparer et d’intégrer l’enfant aux soins (Asbury, Lalayiannis & Walsche, 2014 ; Semple & McCance, 2010 ; Turner, Clavarino, Yates, Hargraves, Connors & Hausmann, 2007). Elles proposent d’anticiper les éventuelles questions que l’enfant pourrait poser et de le préparer aux changements physiques de son parent. Cependant, nous nous demandons si l’enfant n’endosserait pas trop de responsabilité vis-à-vis de son parent, ce qui pourrait le faire culpabiliser en cas de complications. D’autre part, une discussion avec l’enfant sur l’évolution de la maladie et des traitements est également suggérée (Turner, Clavarino, Yates, Hargraves, Connors & Hausmann, 2007). Les auteurs Asbury, Lalayiannis et Walsche (2014), placent le parent en tant qu’expert pour protéger son enfant. En effet, ces derniers prônent l’utilisation du jugement propre de la personne, quand cela est possible, pour guider l’attitude à adopter auprès de ses enfants.
Stratégies de coping
Comme présenté jusqu’à présent, une fois le diagnostic de cancer annoncé, la personne subit un bouleversement. Dès lors, elle mobilise de manière plus ou moins inconsciente des stratégies de coping. Chaque personne réagit singulièrement, ses expériences passées influencent l’évaluation du danger et dicteront sa façon d’agir (Formarier & Jovic, 2009). Il existe trois catégories de stratégies d’adaptation : le coping centré sur l’émotion, telle que la gestion des émotions ; le coping centré sur la recherche de soutien, tel que la mobilisation du soutien social et le coping centré sur le problème, tel que le développement d’une nouvelle routine et l’instauration d’une communication efficace. Selon le modèle de McGill, « L’infirmière partage sa compréhension de la situation, elle offre son point de vue, ses idées, ses connaissances et ses préoccupations, ainsi que les facteurs de risque qu’elle a identifié, afin que la personne et la famille puissent prendre une décision éclairée et agir de la meilleure façon dans leur contexte à eux » (Paquette-Desjardins, Sauvé & Pugnaire Gros, 2015). Les résultats d’une étude identifient l’acceptation, l’adaptation active et le soutien affectif comme étant trois stratégies efficaces (Kalbfleish, Cyr, Gregorio & Nyhof-Young, 2015). L’auto distraction, le déni, la vidange émotionnelle sont, quant à elles, des stratégies inefficaces.
Selon Paquette-Desjardins, Sauvé et Pugnaire Gros (2015), « Le modèle de McGill, présume que la personne est active, en mesure d’apprendre à faire face aux situations (coping), à s’ajuster et à trouver des solutions ou des moyens de vivre avec des défis qu’elle rencontre » (p.37). En effet, le but étant « […] qu’elle puisse se développer pour atteindre les buts qu’elle s’est fixés » (Paquette-Desjardins, Sauvé & Pugnaire Gros, 2015, p. 39). Nous comprenons qu’il n’est pas important de focaliser son attention sur l’efficacité d’une stratégie mais plutôt sur sa présence et si tel est le cas, l’infirmière se doit de la soutenir.
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