Impact des changements climatiques sur la biodiversité marine tropicale

Impact des changements climatiques sur la biodiversité marine tropicale

Prédateurs supérieurs, acquisition des ressources et répartition dans un environnement variable 

 Les prédateurs supérieurs : organismes clés des écosystèmes 

Pendant des millénaires, les prédateurs supérieurs ont inspiré le respect et l’admiration, très souvent représentés comme majestueux, mystérieux et insaisissables (Kruuk, 2002). Les prédateurs supérieurs marins occupent le sommet des réseaux trophiques océaniques et regroupent les mammifères marins, les grands téléostéens, les requins, les pinnipèdes mais également les oiseaux marins. En général, Les prédateurs supérieurs sont des animaux évolués, caractérisés par un taux de survie élevé des adultes, une maturité sexuelle tardive, une fécondité faible et des soins parentaux élaborés (e.g. Weimerskirch 2007). Ainsi leurs stratégies d’histoire de vie sont situées à l’extrémité « K » du gradient de stratégies démographiques r-K (Stearns 1992). Les prédateurs supérieurs sont dépendants des niveaux trophiques inférieurs pour se nourrir, niveaux trophiques inférieurs eux-mêmes influencés par la variabilité de l’environnement. L’abondance des consommateurs primaires (e.g. zooplancton) va déterminer celle des consommateurs secondaires (e.g. les petits poissons pélagiques), qui va, à son tour, influencer celle des prédateurs supérieurs. Ce phénomène est connu sous le nom de contrôle ascendant (« bottom-up control » ; Frederiksen et al. 2006, Frank et al. 2007, illustré par la figure 1.1). Ainsi, un changement dans l’abondance et la distribution des ressources peut affecter les prédateurs supérieurs. Par conséquent, l’état des populations des prédateurs supérieurs donne une indication sur la santé des niveaux trophiques inférieurs mais également sur la qualité de l’environnement (Wallach et al, 2015). 14 Cependant, les prédateurs supérieurs jouent également un rôle primordial dans les écosystèmes et peuvent eux aussi exerçer un contrôle sur les niveaux trophiques inférieurs (figure 1.2). Ce contrôle descendant (« top down control ») Figure 1.1 (a) Exemple du bottom up control au sein d’un réseau trophique simplifié dans un écosystème marin . (b) L’environnement physique , étant moins favorable , contrôle la diminution de l’abondance du phytoplancton , qui à son tour a un impact négatif sur l’abondance du zooplancton . La baisse de zooplancton commande la diminution de l’abondance des méso-prédateurs, qui elle-même conduit à une diminution de la l’abondance des prédateurs ( le facteur de contrôle est une ligne en pointillés et les réponses sont des lignes pleines) (Cury et al. 2000). a) b) 15 peut diminuer les tailles de populations des proies, ce qui aura des effets en cascade sur les niveaux trophiques inférieurs. Ainsi, une perturbation des niveaux trophiques supérieurs peut impacter l’ensemble du réseau trophique et provoque une diminution de la biodiversité à cause d’une augmentation des mésoprédateurs (Wallach et al, 2015). Figue 1.2 (a) Exemple du top down control au sein d’un réseau trophique simplifié dans un écosystème marin . (b) La diminution des populations des prédateurs conduit à une augmentation de l’abondance des méso-prédateurs. Ce qui induit l’augmentation de la prédation sur le zooplancton conduisantt à une diminution de la taille de la population de zooplancton. Ainsi, cela réduit la pression sur le phytoplancton , qui devient par conséquent plus abondant ( le facteur de contrôle est une ligne en pointillés et les réponses sont des lignes pleines) (Cury et al. 2000). 16 Les échelons intermédiaires peuvent également jouer un rôle central dans la structure et la dynamique des prédateurs supérieurs et de l’écosystéme. Les méso-prédateurs, peuvent à la fois contrôler le plancton dont il se nourrissent par « top-down control », et avoir également un contrôle sur les nombreux prédateurs marins dépendants d’eux par un « bottom-up control ». Ce phénomène est connu sous le nom de contrôle en taille de guèpe (« wasp-waist control » ; Cury et al. 2000, figure 3.1). Ce dernier se retrouve principalement dans les écosystèmes de type upwellings. En effet, en général, les upwellings comportent un échelon trophique intermédiaire très étroit, se résumant à une ou deux espèces « fourrages », présentes en énormes quantités et qui jouent un rôle clé dans l’écosystème. Ces écosystèmes dépendent des fluctuations des populations de ces poissons et montrent une résilience moindre face aux perturbations (Jordán et al. 2005). De plus les différents processus, décris précédemment, n’opèrent pas simultanément. Figue 1.3 (a) Exemple du wasp-waist control au sein d’un réseau trophique simplifié dans un écosystème marin . (b) L’abondance des méso-prédateurs (dépendant de l’environnement) , contrôle à la fois l’abondance des prédateurs et de la production primaire . Une diminution des méso-prédateur saffecte l’abondance des prédateurs négativement . La même diminution de l’abondance des méso-prédateurs réduit la prédation sur le zooplancton , qui augmente en abondance. Une plus abondante population de zooplancton conduit à une diminution du phytoplancton ( le facteur de contrôle est une ligne en pointillés et les réponses sont des lignes pleines) (Cury et al. 2000). 17 Les prédateurs supérieurs apparaissent comme des indicateurs de biodiversité dans les zones où la distribution des espèces est peu connue, particulièrement dans le milieu marin. En effet, les prédateurs supérieurs, par leur position dans le réseau trophique et la diversité des rôles qu’ils remplissent dans l’écosystème, sont souvent considérés comme de bons intégrateurs des espèces de niveaux trophiques inférieurs (Sergio et al. 2006). Dans les écrits précédents, il a effectivement été mis en évidence que l’abondance des prédateurs supérieurs et par conséquent leur distribution sur une aire plus ou moins vaste est souvent liée à une importante biodiversité ou richesse spécifique (Sergio et al. 2006, Burgas et al. 2014). Ainsi, le suivi à long terme de ces organismes permet d’apporter des informations sur la distribution dans l’espace des zones à forte biodiversité et de connaître l’état de santé d’un écosystème. Sur l’ensemble du globe, la plupart des espèces de prédateurs supérieurs marins ont vu leurs populations diminuer drastiquement au cours des derniers siècles (Jackson et al., 2001). Lotze et Worm en 2009 estiment une diminution globale respective de 76%, 89% et 97% pour les mammifères marins,les oiseaux côtiers ainsi que les tortues marines, par rapport à leurs stocks historiques. Parmi les 120 espèces de mammifères marins, par exemple, 4 se sont éteintes, 11 sont en danger imminent d’extinction, 17 sont menacées d’extinction et 8 étaient menacées d’extinction et commencent à peine à se rétablir (VanBlaricom et al. 2000). Les populations de baleine à bosse, décimées par la chasse commerciale, n’ont commencé à se rétablir que depuis 1982, année du moratoire sur la chasse à la baleine. Il est donc essentiel de mettre en place des mesures conservatoires pour protéger les prédateurs supérieurs marins et permettre leur reconstruction démographique (Sergio et al. 2006). Ces espèces étant par nature très mobile, il importe que ces mesures conservatoires soient spatialement explicites, d’où la nécessité d’une étude approfondie de leurs déplacements, de leur distribution et des effets des pressions environnementales sur la 18 qualité de leurs habitats.

LIRE AUSSI :  Aspects physico-chimiques de l’interaction des éthers de cellulose avec la matrice cimentaire

L’acquisition des ressources, moteur de la sélection des habitats 

Les stratégies d’acquisition des ressources façonnent les comportements de recherche alimentaire et résultent d’un ensemble de décisions et de compromis. Ces décisions et compromis visent à minimiser la dépense énergétique liée à la recherche alimentaire et à maximiser l’apport énergétique du à la ressource (disponibilité, quantité et qualité des proies) (Pimm et al. 1991). Ce principe est particulièrement bien étudié depuis notamment les travaux fondateurs de Charnov (1976), donnant naissance au concept de l’approvisionnement optimal (optimal foraging). Ces travaux intègrent pour la première fois la notion d’hétérogénéité du milieu dans le comportement de recherche alimentaire individuel (Charnov, 1976). Ainsi, les animaux doivent trouver des ressources présentes en quantités limitées dans un milieu spatialement et temporellement hétérogène (Weimerskirch et al. 2005). Les animaux marins doivent ajuster leur recherche alimentaire à cette hétérogénéité ; ce qui conditionne au final leur succès d’alimentation. La recherche d’habitats à forte densité de proies peut entrainer une forte perte énergétique du fait des longues distances à parcourir. Ainsi, les animaux ont adapté leur comportement et leur stratégie de recherche alimentaire afin de minimiser cette perte énergétique (Flint et Nagy 1984 ; Weimerskirch et al. 2004 ; Weimerskirch et al. 2005). Cette hétérogénéité spatiale et l’optimisation progressive des comportements de recherche alimentaire conduit les individus à sélectionner les habitats les plus favorables afin de répondre à leurs besoins (Johnson 1980, Danchin et al. 2005). Par conséquent, l’acquisition des ressources alimentaires est l’une des principales pressions de sélection qui s’exerce sur les prédateurs supérieurs, pour lesquels le risque de prédation est 19 généralement faible (Pimm et al. 1991). Ainsi, il est important de bien comprendre les processus océanique, climatologique, biologique , voire même les interactions qui permettent aux animaux marins (ici les prédateurs supérieurs) de sélectionner leurs habitats. 

La répartition spatiale dans un environnement hétérogène 

L’océan, en particulier le milieu pélagique est généralement perçu comme une vaste étendue uniforme, voire monotone et il est généralement plus pauvre que les eaux côtières (Hunt & Schneider 1987). Ces zones présentent malgré tout des patchs de productivité́ temporaires et dynamiques. Ainsi, les oiseaux marins ont acquis des adaptations morphologiques (surface portante permettant un vol énergétiquement économe, bulbe olfactif développé,…) et comportementales pour exploiter les ressources alimentaires dans de tels environnements (Hertel et Ballance, 1999 ; Catry et al, 2009), adaptations leur permettant de rechercher leurs proies activement et efficacement dans le milieu océanique. Dans un environnement spatialement hétérogène, la distribution des animaux en recherche alimentaire est induite par la distribution de leurs ressources (Horne et Schneider, 1994, Davoren et al, 2003). Dans cette thèse, nous nous sommes intéressés aux habitats pélagiques tropicaux à large échelle. L’environnement océanique tropical est globalement beaucoup plus pauvre et imprévisible que les environnements océaniques tempérés ou polaires. Dans ce contexte, les espèces recherchent des « patch de productivité» qui sont par nature relativement mobiles et éphémères (Weimerskirch et al. 2005). Certaines structures océaniques stables tels que les anomalies bathymétriques comme les monts sous-marins ( Louzao et al. 2011), en provoquant des remontés d’eaux profondes riches en nutriments (upwelling), 20 créent des conditions favorables aux oiseaux marins tropicaux (Pinet et al. 2012). D’autres processus physiques océaniques dynamiques tels que les zones de fronts (Scales et al. 2014), les courants de surface (Kai et al. 2009) et les vents de surfaces (Weimerskirch et al. 2012) augmentent la productivité locale favorisant l’agrégation des proies et permettent d’expliquer la distribution spatiale des oiseaux en milieu pélagique. Enfin d’autres facteurs biologiques, comme la compétition intraspécifique entre individus de différentes colonies d’une même espèce (Grémillet et al. 2004 ; Wakefield et al. 2011 ; Thiebot et al. 2012) ou inter-spécifique (Kappes et al. 2011 ; Thiebot et al. 2011) peuvent influencer la distribution des oiseaux marins dans le milieu hauturier. Dans un environnement où les ressources sont limitées, l’effet de la compétition inter ou intra-spécifique (exclusion compétitive) peut donner lieu à une ségrégation spatiale des zones d’alimentation de différentes populations pourtant proches géographiquement (Grémillet et al. 2004). À l’inverse, chez les espèces qui s’alimentent en formant des groupes (les fous, les cormorans,…) des interactions sociales existent entre individus conspécifiques ; celles-ci peuvent diriger les déplacements des individus vers les zones d’alimentation les plus riches (Weimerskirch et al. 2010, Boyd et al. 2016). 

Table des matières

AVANT PROPOS
LISTE DES ARTICLES ET COMMUNICATIONS
PRESENTATION ORALE
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GENERALE
I/ PREDATEURS SUPERIEURS, ACQUISITION DES RESSOURCES ET REPARTITION DANS UN ENVIRONNEMENT VARIABLE
1) LES PREDATEURS SUPERIEURS : ORGANISMES CLES DES ECOSYSTEMES
2) L’ACQUISITION DES RESSOURCES, MOTEUR DE LA SELECTION DES HABITATS
3) LA REPARTITION SPATIALE DANS UN ENVIRONNEMENT HETEROGENE
II/ LA BIODIVERSITE FACE AU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE
1) ANTHROPOCENE : L’HOMME ACCELERATEUR DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
2) LA BIODIVERSITE EN DANGER
III/ METHODES DE MODELISATION DES HABITATS ACTUELS ET FUTURS : LES MODELES DE
DISTRIBUTION D’ESPECE (SPECIES DISTRIBUTIONS MODELS,SDM)
1) GENERALITES
2) « MODELE ENSEMBLE »
IV/ CONTEXTE GEOGRAPHIQUE : L’OCEAN INDIN
1) L’OCEAN INDIEN ET SA VARIABILITE
2) OCEAN INDIEN ET PREDATEURS SUPERIEURS
V/ LES OISEAUX MARINS , DES PREDATEURS SUPERIEURS SINGULIERS
1) PARTICULARITES DES OISEAUX MARINS
2) OISEAUX MARINS ET MENACES EN MER
VI/ OBJECTIFS ET STRUCTURE DE LA THESE
1) PROBLEMATIQUE
2) QUESTIONS DE RECHERCHE
3) STRUCTURE ET PLAN DE LA THESE
CHAPITRE 2 MATERIELS ET METHODES
I/ ESPECES ETUDIEES ET SITES D’ETUDES
1)LE PETREL DE BARAU (PTERODROMA BARAUI)
2) LE PUFFIN DU PACIFIQUE (ARDENNA PACIFICA)
II/ LA GÉO-LOCALISATION PAR LA LUMIÈRE
1)PARTICULARITES DES GLS (« GLOBAL LOCATION SENSING LOGGERS »)
2)TYPES DE DONNÉES ENREGISTRÉES
A)LES DONNÉES DE LUMIÈRE
B)ENREGISTREUR D’ACTIVITÉ(CONDUCTIVITÉ)
C) ENREGISTREUR DE TEMPERATURE
3)METHODES DE CALCUL DES LOCALISATIONS À PARTIR DE LA LUMIERE
4) METHODE DE CALCUL DE L’ACTIVITE EN MER
III/ ANALYSE SPATIALE : ANALYSE DES KERNELS
IV) MODELES DE DISTRIBUTION DES ESPECES
1)LES VARIABLES ENVIRONNEMENTALES ÉTUDIÉES
2) MODELISATION ENSEMBLE
PREAMBULE : LA PREPARATION DES DONNEES
A)METHODES UTILISEES
B) IMPORTANCE DES VARIABLES
C) PREDICTION DE LA REPARTITION FUTURE
A)METHODES UTILISEES
B) IMPORTANCE DES VARIABLE
C) PREDICTION DE LA REPARTITION FUTURE
CHAPITRE 3 LA COMPETITION INTRASPECIIFQUE EXPLIQUE-T-ELLE LES DIFFERENCES DE
PHENOLOGIE ET D’HABITATS OCEANIQUES DU PUFFIN DU PACIFIQUE DANS L’OUEST DE L’OCEAN
INDIEN : UNE APPROCHE METAPOPULATIONNELLE ?
CHAPITRE 4 HABITAT OCEANIQUE PENDANT L’HIVERNAGE DU PETREL DE BARAU ET PREDICTION
D’EVOLUTION INDUITE PAR LE RECHAUFFEMENT GLOBAL.
CHAPITRE 5 SYNTHESE ET PERSPECTIVES
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1
ANNEXE 2

projet fin d'etudeTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *