Impact de Pseudomonas aeruginosa sur Staphylococcus aureus chez les patients atteints de mucoviscidose
La mucoviscidose
Histoire
La première description de la mucoviscidose en tant que maladie distincte a été faite en 1938 chez des enfants atteints de malnutrition sévère. Leurs autopsies ont révélé que leurs canaux glandulaires du pancréas étaient obstrués par un mucus épais. Le nom de Fibrose Kystique du pancréas (Cystic Fibrosis of the pancreas, CF) a été attribué à cette maladie (Andersen, 1938). Le terme mucoviscidose fut employé plus tard en référence à la présence du mucus épais bloquant tous les canaux glandulaires sécréteur de mucus du corps (Farber et al., 1943). Les observations effectuées par Paul di Sant’Agnese en 1953 ont permis de mettre en place le test de la sueur pour le diagnostic de la mucoviscidose, qui est toujours le test de référence actuel. Les enfants atteints ont un désordre en électrolytes, une concentration excessive de sels dans les sueurs qui peut être détectée par ionophorèse (Gibson and Cooke, 1959). Mais c’est en 1983 que la première observation cytologique apporte une explication sur le désordre électrolytique observé. Les cellules des canaux sudoripares accumulent les ions chlorure et une entrée massive d’ions sodium et d’eau se produit. La concentration en sels dans la sueur augmente alors (Quinton and Bijman, 1983). La réelle cause étiologique de la maladie a été découverte en 1989. Le gène responsable de la mucoviscidose, appelé cftr (Cystic Fibrosis Transmembrane Regulator) a été identifié et la protéine CFTR caractérisée comme étant un canal d’ions chlorure (Kerem et al., 1989). L’avènement du séquençage à haut débit dans les années 90 a permis de révéler la complexité génétique derrière la mucoviscidose. Près de 1500 mutations sur le gène cftr ont été découvertes, toutes responsables de la maladie à des niveaux plus ou moins sévères. De plus, les données de séquençage ont permis de dater l’arrivée probable de la mucoviscidose au cours de l’humanité. En étudiant le nombre de motifs répétés dans les séquences microsatellites retrouvées dans le gène cftr, Morral et al estiment l’arrivé de la mucoviscidose à l’ère Paléolithique en Europe, il y a au moins 52.000 ans (Morral et al., 1994). Les migrations de populations auraient contribué à la dispersion des différents allèles mutés du gène cftr dans le monde.
Manifestations cliniques
La principale caractéristique clinique de la mucoviscidose est l’apparition d’un mucus épais et visqueux qui obstrue les canaux glandulaires où la protéine est normalement présente (Figure II-1) (Paranjape and Mogayzel, 2014). Dans sa forme la plus grave, des atteintes viscérales multiples surviennes (poumons, pancréas, foie, petit intestin, canaux déférents). La principale cause de mortalité chez ces patients est les atteintes pulmonaires (Estrada-Veras and Groninger, 2013). L’histoire naturelle de la progression de la maladie au niveau des poumons est une inflammation chronique avec la survenue d’épisodes intermittents de symptômes aigus que l’on nomme les Figure II-1 : Les défaillances multi-viscérales chez les patients atteints de mucoviscidose. L’apparition d’un mucus épais au niveau de nombreux organes impacte leurs fonctions physiologiques. (Paranjape and Mogayzel, 2014) Bibliographie La mucoviscidose 23 exacerbations pulmonaires. Pendant ces épisodes, une aggravation de l’inflammation pulmonaire est observée et se manifeste par l’augmentation de la toux, de malaises, une fatigue et une perte de poids. Bien souvent les épisodes d’exacerbations nécessitent une hospitalisation. A l’heure actuelle, aucun marqueur chimique, physiologique ou histologique ne permet de diagnostiquer un tel épisode. La constatation se fait uniquement par un ensemble de signes et de symptômes qui nécessitent un traitement et/ou une hospitalisation. Les exacerbations peuvent être dues à des agents microbiens (virus/bactéries/fungi) mais l’analyse microbiologique d’expectorations de patients CF pendant les crises ne révèle pas souvent d’anormalités comparé à des périodes calmes (Bhatt, 2013). Les pancréatites apparaissent chez 85% des personnes atteintes de mucoviscidose (Kerem et al., 1989). Les canaux sécréteurs étant obstrués, les enzymes du pancréas endommagent cet organe. Ces enzymes ne pouvant plus rejoindre l’intestin des insuffisances nutritionnelles se manifestent. De plus, au niveau de l’intestin, l’absence de CFTR fonctionnelle diminue le passage du bol stomacal en contribuant à l’apparition d’occlusions intestinales et à la malnutrition (Egan, 2016). Les hommes CF présentent une absence congénitale bilatérale des canaux déférents (congenital absence of the vas deferens, CBAVD) qui entraine une stérilité. La CBAVD touche environ 1 à 2% des hommes sains infertiles mais 95% des hommes CF présentent cette pathologie. Le mucus épais et visqueux bouche les canaux déférents lors de leur formation et le nourrisson est déjà stérile à la naissance. Ces problèmes de stérilité peuvent être contournés par un recours à la fécondation in vitro (de Souza et al., 2018). Avec l’amélioration de l’espérance de vie, notamment grâce à des régimes alimentaires adaptés, des compléments en enzymes pancréatiques et des traitements antibiotiques, les conséquences de la mucoviscidose ne se concentrent plus que sur les territoires pulmonaire et digestif. Des symptômes multi-viscéraux sont apparus chez les patients plus âgés tels que les hépatites, le diabète et les dégénérescences liées à l’os (Jacquot et al., 2016). Les hépatites associées à la mucoviscidose (cystic fibrosis liver disease, CFLD) sont une cause majeure de mortalité. Jusqu’à 70% des autopsies réalisées sur des personnes CF montrent l’apparition d’une cirrhose biliaire primitive. Cette pathologie entraîne la destruction des canaux biliaires situés entre les lobules du Bibliographie La mucoviscidose 24 foie. Les enzymes hépatiques attaquent les tissus périphériques provoquant une hépatite qui peut évoluer en stéatose et en cirrhose (Debray et al., 2017). Le diabète associé à la mucoviscidose (cystic fibrosis related diabete, CFRD) est aussi une des complications. Environ 10% des enfants CF âgés de 5 à 9 ans souffrent de CFRD et ce pourcentage augmente avec l’âge des patients atteignant 50% pour les personnes de plus de 30 ans. La déficience en production d’insuline entraîne une hyperglycémie chronique qui est responsable d’une résistance à l’insuline sur les organes cibles. Même si les pancréatites peuvent potentiellement expliquer le début d’un diabète, les mécanismes précis de sa survenue sont mal connus puisque toutes les personnes CF ne développent pas de CFRD (Brennan and Beynon, 2015). Enfin, une dernière pathologie associée à la mucoviscidose présente aussi un problème de santé majeur. Les ostéoporoses et des ostéopénies (cystic fibrosis bone disease, CFBD) ont été fréquemment rapportées. La prévalence de ces pathologies augmente avec l’âge des patients : si elles ne touchent que 5% des enfants, plus d’un patient de plus de 45 ans sur deux en souffre. Ces personnes sont sujettes à des fractures plus fréquentes, à des compressions vertébrales et à un cartilage pulmonaire moins dense qui aggrave les symptômes au niveau des poumons. En effet, la clairance mucociliaire est moins efficace et renforce alors les exacerbations. L’origine de la CFBD est toujours en débat. Les insuffisances du pancréas, le CFRD, les inflammations pulmonaires chroniques, la carence nutritionnelle pourraient expliquer l’apparition d’ostéoporose et d’ostéopénie (Jacquot et al., 2016). Cependant, il semblerait que les CFBD soient plus un problème de métabolisme au niveau des cellules osseuses (ostéoblastes et ostéoclastes) qu’un effet secondaire à d’autres manifestations cliniques associées à la mucoviscidose. Des osteoblasts issus d’un patient CF de 25 ans ne montrent plus d’activité CFTR ainsi qu’un déficit dans la production d’ostéoprotegerine (OPG), cytokine importante dans la formation et la régénération osseuse. Cette diminution de OPG peut amener à une diminution de la masse osseuse chez l’enfant et conduire à l’apparition d’ostéoporose et ostéopénie chez l’adulte. L’utilisation d’un correcteur de l’activité de CFTR (miglustat) permet en partie d’augmenter la masse osseuse dans un modèle de souris CFTR (Jacquot et al., 2016). Bibliographie La mucoviscidose
Les mutations impliquées dans la mucoviscidose
La mucoviscidose est une maladie génétique autosomale récessive la plus commune chez les personnes caucasiennes. Près de 1500 mutations différentes sont impliquées dans la physiopathologie de la mucoviscidose (Dodge, 2015) et peuvent être regroupées en 6 catégories différentes : (1) défaut de transcription/traduction du gène, (2) mauvaise maturation de la protéine et dégradation (3) défaut de régulation de la protéine CFTR, (4) conductance altérée du canal, (5) production/adressage à la membrane partiel, (6) défaut de l’activité de régulation du canal CFTR (Figure II-2). En effet, possédant différents domaines, les mutations peuvent altérer directement la structure de la protéine, ou être impliquées dans un mauvais processing Figure II-2 : Impact des différentes catégories de mutations sur la production de la protéine CFTR. Les mutations peuvent être regroupées dans 6 catégories différentes responsables de perturbations à 6 niveaux distincts : (1) défaut de transcription/traduction du gène, (2) mauvaise maturation de la protéine et dégradation (3) défaut de régulation de la protéine CFTR, (4) conductance altérée du canal, (5) production/adressage à la membrane partiel, (6) défaut de l’activité de régulation du canal CFTR. Modifié de Vankeerberghen et al., 2002. Bibliographie La mucoviscidose 26 (Vankeerberghen et al., 2002). La catégorie 1 regroupe les mutations qui provoquent un arrêt prématuré de la transcription ou de la traduction de la protéine. Dans la majorité des cas, l’apparition d’un codon stop conduit à la production d’une protéine aberrante qui est alors dégradée au niveau du protéosome. Ces mutations apparaissent chez 10% des patients CF (Egan, 2016). La catégorie 2 concerne toutes les mutations qui sont responsables d’un mauvais repliement conduisant à la dégradation de la protéine CFTR lors des contrôles de qualité cellulaires. La catégorie 3 n’est pas impliquée dans la maturation de la protéine mais dans la régulation de son activité. Physiologiquement, CFTR est régulée par l’intermédiaire de son domaine de régulation cytosolique (R domain). Les mutations au niveau de son domaine de régulation diminuent fortement son activité. Les mutations de la catégorie 4, à l’instar de la catégorie précédente, sont aussi liées à l’activité intrinsèque de la protéine. Toutes ces mutations se localisent à l’intérieur du canal et empêchent les ions chlorure de passer. La catégorie 5 regroupe toutes les mutations diminuant la quantité de CFTR fonctionnelle. Elles sont souvent retrouvées au niveau des sites d’épissages alternatifs. Malgré cet impact, une quantité faible mais présente de protéine CFTR peut être produite. Enfin, la dernière catégorie n’affecte pas les propriétés du canal mais impacte ses propriétés régulatrices. La protéine CFTR est souvent associée à d’autres canaux ioniques tels que ENaC (amiloride sensitive epithelial sodium channel) ou encore ORCC (Outwarding Rectifying Chloride Channel). ENaC est impliqué dans l’absorption de sodium au niveau des cellules épithéliales pulmonaires. La protéine CFTR est capable d’inhiber l’activité de ENaC. Même si les données sont contradictoires sur les domaines d’interactions entre ces deux protéines, les mutations de CFTR augmentent la probabilité d’ouverture de ENaC et l’absorption de sodium dans la cellule (Vankeerberghen et al., 2002). Le canal ORCC, un autre canal chlorure, est activé par CFTR. Cette régulation est dépendante de la phosphorylation par la protéine kinase A (PKA). Les mutations de CFTR de cette classe ne permettent plus l’activation de ORCC aggravant alors le déséquilibre en ions chlorure dans les cellules (Vankeerberghen et al., 2002). Les classes de mutations ne corrèlent que partiellement avec les manifestations cliniques des patients. Il est généralement observé que les mutations de catégorie 1 à 3 sont souvent associées à des bilans cliniques sévères avec des insuffisances pancréatiques, des occlusions intestinales, une détérioration pulmonaire et hépatique rapide et l’absence des canaux déférents chez les hommes. Les catégories 4 à 6, quant Bibliographie La mucoviscidose 27 à elles, sont plus souvent responsables de manifestations cliniques de sévérité moyenne (détérioration des fonctions pulmonaires, hépatiques et pancréatiques moins rapides ou même absentes) (Bombieri et al., 2015). Cependant, une grande variabilité inter-individus est observée ce qui suggère que des facteurs environnementaux et génétiques influencent l’état de santé des patients CF (Castellani et al., 2008). Pour faire le lien entre les catégories de mutations de CFTR et leurs conséquences cliniques prédites, les mutations peuvent aussi être scindées en 4 différents groupes suivant le bilan clinique; (A) les mutations responsables de la mucoviscidose, (B) les mutations responsables de symptômes associés à la mucoviscidose (CFRD, CFLD), (C) les mutations sans conséquences cliniques connues à ce jour, (D) les mutations incertaines pouvant provoquer la mucoviscidose (Castellani et al., 2008). Le groupe A regroupe toutes les mutations cftr qui ont été fonctionnellement caractérisées et dont le potentiel pathogénique a été clairement identifié. Sur les 1500 mutations recensées, seulement 23 sont classées en groupe A. Ces 23 mutations représentent à elles seules environ 85% des allèles CF dans le monde. Néanmoins, 1% à 1,5% des patients CF possèdent seulement un allèle cftr muté mais pas de mutation cftr apparente sur le second allèle. Ces hétérozygotes CF montrent que des mutations en dehors du gène cftr peuvent aussi conduire à l’apparition de la maladie. L’hypothèse la plus probable serait que ces mutations se situent dans les régions promotrices et introniques du gène cftr (non séquencées lors du diagnostic). Des mutations dans d’autres gènes étroitement en lien avec la fonction de CFTR sont aussi incriminées (ENaC) (Castellani et al., 2008). La catégorie B regroupe les mutations dites « borderline » et certaines se recoupent avec la catégorie A. Des mutations chez un patient pourront entrainer un tableau clinique mucoviscidosique classique mais chez un autre patient entrainer uniquement une CBAVD par exemple. L’environnement et l’épigénétique sont le plus souvent incriminés pour expliquer ce phénomène (Castellani et al., 2008). Les groupes C et D rassemblent la quasi-totalité des autres mutations décrites à ce jour. La faible proportion de ces mutations chez les patients et la difficulté à les repérer du fait de l’absence de symptomes cliniques, rendent les analyses difficiles et peu d’études essayent de caractériser leur potentiel pathogénique (Castellani et al., 2008).
I. Introduction |