Impact de l’organisation de la tâche en résolution de problèmes
Le Chapitre 1 présentait les différentes approches questionnant les processus en jeu dans la résolution de problèmes. Le second précisait la notion de schéma et détaillait la théorie de la charge cognitive (Sweller, 2003). A partir des travaux présentés dans ces deux chapitres, nous posons trois postulats. Tout d’abord, le processus de résolution engagé par l’individu pour se dégager de la situation problème laisse des traces en mémoire. Deuxièmement, ces connaissances sont structurées sous forme de schémas. Ceux-ci regroupent des indices structurels et des indices superficiels de la situation problème. Enfin, leur élaboration est fonction du contexte de la tâche c’est à dire des caractéristiques de la situation problème. Dès lors, l’impact de l’organisation de la tâche sur l’élaboration des connaissances nous pose question. Dans ce troisième chapitre, nous présentons différents travaux qui se sont développés autour de cette question. Ceux-ci sont regroupés en trois approches que nous abordons successivement. La première approche regroupe les travaux de l’interférence contextuelle. Ils observent une prévalence de la variabilité sur la consistance. La seconde approche s’interroge plus spécifiquement sur la prise en compte de la charge cognitive dans l’élaboration d’une tâche de résolution de problèmes. Ce sont les travaux de l’ « Instructional design ». Enfin, des travaux observant la prévalence d’une hiérarchisation des problèmes sont présentés.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, Sweller et ses collaborateurs ont largement mis en avant l’effet de la présentation d’un problème sur sa résolution et sur l’apprentissage. Nous allons maintenant élargir notre travail à la présentation de l’effet d’interférences contextuelles (« Contextual interference »). Cet effet, que nous définissons dans la section suivante, a été isolé par Battig (1972). Il met en valeur la prévalence d’une présentation aléatoire sur une présentation par blocs. Nous le détaillons dans cette section. L’interférence contextuelle est un phénomène qui regroupe les situations d’apprentissage pour lesquelles l’interférence durant l’entrainement bénéficie à l’apprentissage. Cet effet renvoie à l’hypothèse selon laquelle les performances lors de la phase d’acquisition en situation de forte interférence contextuelle (présentation aléatoire) sont inférieures à celle en situation de faible interférence contextuelle (présentation par bloc).
Tandis que, les mesures de rétention (test d’apprentissage après un délai de plusieurs jours) ou de transfert (performance face à de nouveaux problèmes) sont meilleures lorsque les participants ont été soumis à une forte interférence contextuelle (Shea & Zimmy, 1983). Cet effet a tout d’abord été démontré par Battig17 (1972) avec du matériel verbal puis par Shea et Morgan (1979) avec des apprentissages moteurs (cf. Magill & Hall, 1990 ; Lee, Wulf & Schmidt, 1992 ; Schmidt & Bjork, 1994, pour une revue) et observé par Carlson et Yaure (1990) en résolution de problèmes. Cependant cet effet ne semble pas valable pour tous les apprenants (par rapport à leur niveau d’expertise), ni à toutes les tâches (niveau de complexité, différences entre les tâches) (cf. Brady, 1998, pour une revue). Il a été vérifié chez des jeunes adultes ainsi qu’auprès d’adultes plus âgés (van Gerven & al, 2006). Parmi les nombreuses études observant cet effet (Pelligrino, 1972 ; Lee & Magill, 1983 ; Jelsma & Pieters, 1989 ; Carlson & Yaure, 1990 ; Shea, Khol & Indermill, 1990 ; Wulf & Schmidt, 1997, notamment), nous détaillons la recherche princeps de Shea et Morgan (1979). Shea et Morgan (1979) utilisent un dispositif complexe offrant trois tâches motrices (T1.T2.T3). A l’aide d’une balle, les participants doivent réaliser un enchainement de lancés différents imposés par le dispositif. Après un pré-test, une phase d’entrainement (18 essais18), les participants sont testés lors d’une phase de rétention dix minutes et dix jours après la phase d’entrainement (18 essais à chaque fois). Afin de tester l’impact de l’organisation de la tâche sur les performances.
lors de la phase d’apprentissage et lors de la phase de rétention. Les résultats montrent que les participants du groupe ‘bloc’ réalisent plus rapidement les tâches que le groupe ‘aléatoire’ lors de l’entrainement. Cependant, lors de la phase de rétention, dix minutes ou dix jours après la phase d’apprentissage, ce sont les participants du groupe ‘aléatoire’ qui réalisent plus rapidement les tâches. Cette étude appuie l’hypothèse selon laquelle la variabilité favorise les performances lors de tâches de transfert. Les auteurs concluent que la variabilité lors de l’entrainement impose aux participants de multiplier les stratégies ce qui favorise une meilleure élaboration des acquisitions motrices et permet de meilleures performances aux tâches de rétention. La pratique en aléatoire encourageant les processus de mise en relations ainsi que l’encodage des différences et des similarités entre les tâches présentées. A cette première hypothèse, défendue notamment par Shea et Morgan (1979), se focalisant sur la structure de la représentation en mémoire développée par la pratique, une seconde, défendue notamment par Lee et Magill (1983), van Merriënboer, Kester et Pass (2006) ainsi que Carlson et Yaure (1990), se focalise sur les procédures cognitives de construction et de reconstruction de la solution. La solution, stockée en mémoire de travail, pourrait être remaniée par la présentation aléatoire de problèmes (ou de tâches). Ils notent que les participants doivent reconstruire un nouveau plan d’action à chaque essai dans la condition aléatoire alors que dans la condition bloquée, les participants n’ont qu’à se souvenir passivement du plan d’action. Du point de vue de la théorie de la charge cognitive (de Croock & van Merriënboer, 2007 ; de Croock & al., 1998), cet effet pourrait s’expliquer par le fait que la construction de schémas de résolution lors d’une présentation aléatoire exigerait davantage de ressources cognitives qu’une présentation par bloc, ce qui diminuerait les performances lors de la phase de pratique. Cependant, ces schémas seraient plus riches (basés davantage sur les différences et les similarités entre les problèmes) et permettraient de meilleures performances face à de nouveaux problèmes. Comme le notent de Croock et al. (1998), une haute interférence contextuelle peut augmenter la charge cognitive car elle stimule les participants à investir un effort mental dans la tâche, ce qui favorise l’élaboration de schémas durant la phase d’apprentissage. Les bonnes performances à la tâche de transfert peuvent être expliquées par l’exploitation de ces schémas.