Impact de l’innovation sur le travailler et la santé psychologique

De nos jours, afin de répondre à des standards de production de plus en plus élevés et à des exigences liées à la mondialisation des marchés, les entreprises renouvellent constamment leurs façons de faire et sont contraintes à innover. Cette posture entraîne bien souvent des choix organisationnels qui imposent des méthodes de travail différentes tant au niveau de la gestion du travail que pour la réalisation des tâches par les travailleurs (Danan et al., 2014).

De même, outre les changements dans la culture de l’ entreprise, l’innovation s’accompagne de transformations du travail qui soutiennent la mise à jour constante des connaissances des travailleurs (Klein, Laville & Moulaert, 2014).

Gollac, Greenan et Hamon-Cholet (2001) soulignent que les changements organisationnels ne sont pas sans effet sur la santé des travailleurs, car il n’est pas possible de transformer une culture d’entreprise de façon instantanée. De nombreux auteurs insistent sur l’ importance d’impliquer les travailleurs lors d’un changement du mode de gestion d’une situation de travail si l’entreprise désire que le résultat soit optimal (Benomar, et al., 2016). Or, peu d’études permettent à ce jour de cerner la perception qu’ont les travailleurs de l’innovation au travail.

Dans ce contexte, le sujet qui fait l’objet d’intérêt de cette thèse est le rapport subjectif que les travailleurs entretiennent avec l’organisation du travail et plus spécifiquement, en regard du rapport à l’innovation. L’innovation étudiée dans le cadre de la présente thèse s’inscrit dans le secteur de la santé et des services sociaux. Dans ce secteur d’ activité, les innovations sont nombreuses, répondant aux différents courants traversant les pratiques. Notamment, une succession de réformes ont façonné le système de santé québécois (Bourque, 2009) qui a été soumis, depuis les cinquante dernières années, à trois tendances principales : «l’orientation sociale-étatiste qUi Vise la continuité du providentialisme, l’orientation néo-libérale qui prône un État minimal et le recours aux lois et aux forces du marché et finalement l’orientation démocratique et solidaire qui propose une troisième voie entre l’État et le marché autour du renforcement des collectivités, de l’économie sociale et des associations soutenues par l’État, et où la société civile se produit elle même et se densifie sous l’impulsion de l’expérimentation et de l’innovation sociale » (Grenier, Bourque & Saint-Amour, 2014, p.114).

Compte tenu du nombre élevé d’innovations dans ce secteur d’ activité et puisqu’ il est compris que les transformations du travail ne sont pas sans impact pour les travailleurs, il s’avère pertinent de détailler l’ impact de l’ innovation sur le travailler et la santé psychologique des travailleurs de ce secteur d’ activité.

Innovation au travail 

Le travail, d’abord considéré comme la domination de l’homme sur la nature hostile, est resté longtemps défini sur le plan socio-historique comme une condition de la servilité (Billiard, 1993). Sa conception a été associée pendant des années, notamment chez les Grecs et les civilisations arabes, comme une tâche destinée aux êtres inférieurs, tandis que pour les religions juives et chrétiennes elle était centrée sur la condamnation et le châtiment (Chevandier & Pigenet, 2002). Une vision plus complexe du travail émerge à l’ère de l’industrialisation, avec l’abandon des valeurs chrétiennes et l’ascension de l’économie (Chevandier & Pigenet, 2002). En même temps qu’il pennet de combattre l’oisiveté, le travail devient l’occasion d’exercer ses vertus et d’atteindre des buts. Il est aussi un moyen d’obtenir du pouvoir.

Le travail moderne se décortique en trois axes principaux, soit comme une activité vécue, une tâche organisée et une action orientée.

Le travail comme activité vécue 

Au I9e siècle, les travaux de Marx  et d’Engels   posent le travail comme étant la possibilité de s’approprier de manière collective des moyens de production. La valeur du travail y est reconnue tant socialement qu’individuellement et le pouvoir créateur du travail émane de l’être humain s’y engageant. En ce sens, le travail ne peut être dissocié des travailleurs y prenant part.

Pour Gorz (1988), s’investir dans le travail est lié à la production de soi. Ce travail comme lieu de production de soi exprime le développement des capacités et du pouvoir des individus. Ces derniers peuvent, dans le travail, se produire comme sujets singuliers. Ce qui motive le travailleur à s’engager dans son activité réfère au fait que le travail revêt un sens pour l’individu. Contrairement au sens marxiste du travail, celui-là extrinsèque, le sens recherché au travail, toujours selon Gorz (1988), est davantage lié aux aspirations, à la liberté et à la créativité.

Le Travailler
Pour Dejours (2000), qui s’intéresse au rapport subjectif au travail, « le travail ce n’est pas en première instance le rapport salarial ou l’ emploi, c’ est « le Travailler  », c’ est-àdire un certain mode d’engagement de la personnalité pour faire face à une tâche encadrée par des contraintes (matérielles et sociales) » (p. 1 ). Dans ce cadre, le travail est un lieu de production de soi, propice à l’épanouissement de la personne. Dejours (2000) rejoint en cela la conception ergonomique de Davezies (1993) et celle de l’ ergologie proposée par Schwartz (2007) voulant que le travailleur n’ exécute pas strictement ce qui lui est demandé d’ exécuter. Dans le travail, il utilise plutôt sa créativité et mobilise son intelligence pour réinterpréter les prescriptions de l’organisation à sa manière et selon les marges de manœuvre qu’ il a à sa portée. Cette réorganisation donne lieu au réel du travail, ce qui est véritablement fait par le travailleur dans son activité quotidienne de travail : c’est le travailler. Toujours selon Dejours (1998), « qu’il s’ agisse d’une activité salariée ou bénévole [ … ] du public ou du privé, industrielle ou de service .. .le travailler c’est lorsque le travailleur mobilise son corps, son intelligence, sa personne pour une production ayant valeur d’usage» (p.6).

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Ainsi, le travail est plus qu’une simple activité de production, elle est une occupation qui est vécue par ceux qui la réalisent, qui s’ y investissent et qui y cherchent un sens.

Le travail comme tâche organisée 

Le travailleur qui réalise son activité est régi par des règles, des prescriptions et des normes, un cadre; c’ est l’organisation du travail. L’organisation du travail réfère à « la manière dont les tâches sont structurées et dont les postes de travail sont gérés dans une entreprise » (Vinet, 2004, p. 18). Trois phases principales ont marqué cette conceptualisation de l’organisation du travail à travers les années (Simard, 2002). Tout d’ abord, le courant capitaliste, qui repose, entre autres, sur les travaux de Marx, selon lesquels l’organisation du travail exploite la force de travail et où la subordination formelle objective la division des tâches. Puis, le courant humaniste, qui est marqué, entre autres, par les travaux de Halckman et Oldham (1980) qui indiquent que le travail doit être stimulant pour celui qui le réalise, afin que ce dernier soit motivé et performant. Dans ce courant, l’organisation du travail est une structure qui permet de porter une attention singulière à la satisfaction des employés, en regard de leur sentiment d’ appartenance à l’organisation. Finalement, comme l’indique Simard (2002), le troisième courant traite de l’organisation du travail comme d’un processus dynamique, qui détermine les rapports entre les humains (travailleurs) et les techniques (l’ équipement, les méthodes de travail, etc.), dans le but de produire efficacement tout en fournissant un environnement de travail satisfaisant et stimulant. Tel que le définit Foucher (1993), l’organisation du travail aménage les tâches, détermine les conditions de travail et impose les interactions entre les acteurs en tenant compte de la mission de l’organisation, de ses stratégies de gestion et des caractéristiques de la main-d’ œuvre.

Pour Courpasson (2000), connu pour ses études portant sur l’ analyse du pouvoir dans les organisations et sur les contraintes auxquelles sont soumis les travailleurs, l’organisation du travail est fortement normative. Les normes prescrites, inscrites dans des rapports sociaux marchands ou de service, tiennent compte des forces des travailleurs dans une visée managériale. Ce faisant, le travail est une « action contrainte », alors que l’organisation du travail est traversée de dynamiques de domination, traduisant des mécaniques organisationnelles contraignantes.

Ainsi, le travail est une activité encadrée par une organisation précise, porteuse de règles, de normes et de contraintes qui guident l’action.

Table des matières

Introduction
Chapitre 1- Problématique
1. Concepts étudiés
1.1. Innovation au travail
1.2. Le travailleur
1.3. Santé psychologique au travail
1.4. Champ de la recherche
Chapitre 2- Le contexte d’innovation étudié
2. L’innovation étudiée
2.1. Mise en contexte
2.2. Description de l’innovation étudiée
2.3. Les travailleurs du secteur de la santé et des services sociaux
2.4. Apport de la thèse dans ce contexte
Chapitre 3- Cadre théorique
3. Appareillages théoriques permettant de saisir le rapport subjectif d’ un travailleur avec son activité de travail
3.1 . Psychodynamique du tra vai1
3.2. L’ ergologie
3.3. Dialogue entre les deux approches pour obtenir une vision du rapport subj ectif.au travail
3.4. Obj ectifs de recherche
Chapitre 4 – Méthodologie
4. Cadre général de la recherche
4.1. Premier volet de la recherche
4.2. Deuxième volet de la recherche
5. Chapitre 5- Résultats: corps de la thèse par article
5.1. Premier article
5.2. Deuxième article
5.3. Troisième article
5.4. Quatrième article
5.5. Bilan des analyses de cas en psychodynamique du travail
5.6. Cinq uième article
5.7. Bilan des entretiens individuels auprès des travailleurs vieillissants
5.8. Analyse ergologique des résultats obtenus
5.8.1. Influences de l’ARQVAP sur les trois pôles de l’activité de travail
5.8.2. Influences de l’ARQVAP sur les trois pôles de l’activité de travail en regard du vieillissement au travail
5.9. Bilan de l’analyse ergologique
Chapitre 6- Discussion
6. Éléments de discussion en lien avec les objectifs de la thèse
6.1. Les effets de l’ innovation sur la santé psychologique des travailleurs
6.2. Vieillir au travail en contexte d’innovation
6.3. Le travailler dans un contexte d’innovation
Conclusion

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