Impact de la lignée germinale sur le métabolisme
lipidique chez Caenorhabditis elegans
Introduction générale
A. Caenorhabditis elegans C. elegans est un organisme modèle en génétique car il présente de nombreux avantages et reste un organisme relativement simple. C’est un nématode transparent de 1 mm de long qui existe principalement sous la forme hermaphrodite (seulement 1% de mâles). La durée de vie de C. elegans est d’environ trois semaines, ce qui nous permet d’en étudier le vieillissement facilement. De plus, les lignées cellulaires de C. elegans sont fixes et connues (Sulton & Horvitz, 1977) et son génome est séquencé depuis 1998 (The C.elegans sequencing consortium, 1998). On estime à 18000 le nombre de gènes répartis sur six chromosomes (cinq autosomes et un gonosome X). Une banque d’ARN interférent assez complète est disponible au laboratoire. Chaque clone bactérien exprime un ARN interférent permettant la sous régulation du gène correspondant. B. Le cycle de vie de C.elegans C .elegans a un cycle de vie de 3.5 jours lorsque les vers sont cultivés à 20°C. Avant de devenir adulte, C. elegans, comprend quatre stades larvaires nommés stade un à quatre (L1-L4). Chaque stade larvaire se termine par une mue au cours de laquelle une nouvelle cuticule est synthétisée. C. Le système de reproduction
La lignée germinale
Les lignées cellulaires de C. elegans sont fixes et connues (Sulton & Horvitz, 1977). Un ver adulte contient exactement 959 cellules somatiques et la fonction de chaque cellule est connue. Au stade L1, C. elegans possède quatre cellules précurseurs de la gonade (Kimble & Hirsh, 1979). Z1 et Z4 sont les deux cellules précurseurs de la gonade somatique alors que Z2 et Z3 donnent naissance aux cellules germinales. (Hubbard & Greenstein, 2000). Z1 et Z4 se divisent au milieu du stade L1. Les deux cellules Z1/Z4 petites filles jouent un rôle important durant le développement de la gonade somatique et s’appellent « distal tip cells » (DTCs). Les DTCs permettent la mitose de la gonade somatique (et/ou inhibition de la méiose) et contrôlent l’excroissance de la gonade (Sulton & Horvitz, 1977). La prolifération de Z2 et Z3 dépend de la présence de nourriture et de la présence des précurseurs de la gonade somatique (Z1 et Z4). Si Z1 et Z4 sont enlevés avec un laser, Z2 et Z3 n’entrent pas en méiose (Sulton & Horvitz, 1977). Chez un adulte, la gonade forme deux bras qui sont liés par un utérus central. Elle est principalement constituée d’un syncytium, un espace cytoplasmique possédant plusieurs noyaux. Le long de chaque bras de gonade, les cellules vont successivement passer par une mitose, et une méiose. Quand les noyaux atteignent le coude du bras de la gonade, les membranes plasmiques s’invaginent et forment des ovocytes prématures individualisés. Avant de traverser la spermathèque pour être fertilisés, les ovocytes s’agrandissent et maturent. Après sa fertilisation, l’ovocyte produit deux divisions mitotiques pour donner des zygotes. A la fin de la méiose, l’embryogénèse commence. L’embryogénèse se termine en dehors de l’utérus pour donner le premier stade larvaire L1.
Maturation des ovocytes
La maturation des ovocytes chez C. elegans est liée au trafic du vitellus (Grant & Hirsh, 1999). Le vitellus est un complexe lipoprotéique composé de protéines, de lipides et de carbohydrates. Le vitellus est synthétisé dans l’intestin des vers, passe dans le pseudocoelome. Il est ensuite endocyté dans les ovocytes matures par l’intermédiaire d’un récepteur appelé RME-2 (Receptor mediated Endocytosis). D. Utilisation de l’ARN interférent (ARNi) chez C.elegans 1. Principe de l’ARNi L’ARN interférent est un mécanisme naturel qui s’opère dans les cellules et qui permet de supprimer ou de réguler de manière hautement sélective l’expression d’un gène. Chez C . elegans, nous possédons 12000 clones bactériens pouvant inhiber 12000 gènes. La première manifestation du phénomène d’ARNi fut observée en 1990 chez les plantes (Jorgensen et al., 1990). Ce phénomène est aussi observé chez la drosophile, C .elegans et les mammifères. Pour obtenir de l’ARNi chez C. elegans, il est nécessaire d’avoir un long ARN double brin (plus de 200pb) complémentaire à l’ARNm cible. Ensuite, cet ARN double brin va être introduit dans un vecteur (L4440) contient en particulier un gène de résistance à l’ampiciline et un promoteur T7 inductible grâce à de l’IPTG. Ce vecteur va être inséré dans des bactéries de souche E.coli appelées HT115. Après activation du promoteur, grâce à de l’IPTG, l’ARN double brin sera produit. Les vers que l’on déposera sur des boites NGM recouvertes de bactéries ARNi, vont se nourrir de ces bactéries et le gène correspondant à l’ARN sera sous produit. Le génome de C. elegans a été séquencé en 1998 (C.elegans Sequencing Consortium, 1998). Il contient 97 millions de paires de bases avec 19000 gènes codants pour des proteines. Des banques d’ARNi existent et permettent l’inhibition de chacun des gènes. L’ARNi fonctionne de la façon suivante : les ARN doubles brins vont tout d’abord être pris en charge par une ribonucléase appelée DICER. Chez C. elegans, DICER coupe l’ARN double brin toutes les 23 paires de bases (Ketting et al, 2001). DICER transfère alors les siRNA (petits morceaux d’ARN coupés) vers un large complexe multiprotéique appelé RISC (RNA Induced Silencing Complex). L’un des brins du siRNA dit « passager » est éliminé tandis que l’autre brin appelé « guide » dirige le complexe RISC vers les ARN messagers du ver. Comme la séquence introduite dans le plasmide est complémentaire à celle de l’ARNm du ver, les deux brins vont se lier. Ce phénomène est anormal dans une cellule, RISC va considérer ce nouvel ARNm double brin comme étranger et va le cliver. L’ARNm étant détruit, la traduction ne peut avoir lieu et la protéine ne peut être produite. Le gène est donc inhibé et ne fonctionne plus (Fire et al., 1998, Timmons & Fire, 1998, Kamath et al., 2003). 2. L’ARNi permet d’évaluer à quel moment un gène est important En utilisant de l’ARNi, il est possible de déterminer à quel moment un gène est important pour un processus biologique donné. Par exemple, diminuer l’activité de la voie de l’insuline (voie de la longévité), pendant la vie adulte seulement, suffit à augmenter la durée de vie (Dillin et al, 2002). II. La génétique du vieillissement A. Introduction Le vieillissement a longtemps été considéré comme une accumulation de dommages cellulaires entrainant la mort. Dans les années 1980, des découvertes montrent que la vitesse de vieillissement n’est pas seulement due à l’accumulation de ces dommages, mais peut être altérée par certaines mutations (Kenyon, 2010). La découverte de « gènes du vieillissement » commence en 1988 et 1993 avec les gènes age-1 et daf-2. Ces deux gènes font partie de la voie de l’insuline. Des pertes de fonctions dans chacun de ces gènes permettent respectivement d’augmenter la durée de vie des vers de 40% et 133% (Friedman & Johnson, 1988 ; Kenyon et al, 1993). Ces résultats suggèrent que la voie de l’insuline est une des clefs du vieillissement. Cependant, depuis ces découvertes, d’autres études sur plusieurs modèles tel que Drosophila melanogaster, la levure, la souris et le nématode, ont montré que d’autres mutations ne concernant pas des gènes appartenant à la voie de l’insuline, pouvaient également altérer le vieillissement. Aujourd’hui, les gènes de la longévité peuvent être regroupés en « trois voies de la longévité ». En plus de la voie de l’insuline, il y a aussi la voie de la restriction calorique et la voie de la mitochondrie. Il existe aussi une théorie qui vise à expliquer les liens entre la reproduction, le métabolisme et la longévité. Il s’agit de la théorie du soma proposée par Thomas Kirkwood en 1977. Cette théorie propose que l’organisme doit atteindre un équilibre entre les ressources qu’il investit dans le maintient du soma et la reproduction. En effet, la distinction entre le soma et le tissu reproductif est importante car la lignée germinale doit être maintenue à un niveau qui préserve la viabilité à travers les générations alors que le soma ne sert que pour une seule génération (Kirkwood, 1977). La réduction de la reproduction et l’augmentation de la durée de vie sont souvent en corrélation, cependant, l’augmentation de la longévité et la réduction de la fertilité peuvent être dissociées (Flatt, 2011). La manière dont ces traits de vie sont liés les uns aux autres reste cependant l’objet de recherches scientifiques intenses. B. Les voies de la longévité 1. La voie de l’insuline age-1 et daf-2 sont les deux premiers gènes découverts chez C. elegans capables d’augmenter la longévité. age-1 a été cloné en 1996 et code pour une Phosphatidyl Inositol 3-kinase (PI3-kinase) qui permet la transformation de PIP2 en PIP3, entrainant l’activation des kinase PDK-1 et AKT (Kenyon et al., 1993 ; Morris et al., 1996). DAF-2 est à 35% identique au récepteur de l’insuline humaine et à 34% identique au récepteur IGF-1 (Kantarou et al., 1997). Il code pour le seul récepteur de la voie de l’insuline chez C .elegans, IGF-1. Les mutants daf-2 sont hypomorphes pour le récepteur de l’insuline, et vivent deux fois plus longtemps qu’un ver sauvage (Kenyon et al., 1993). Cette extension de durée de vie requiert l’activité de daf-16, le facteur de transcription de la famille FOXO de la voie de l’insuline. DAF-2 active AGE-1 qui à son tour active les kinases PDK-1 et AKT. La kinase AKT permet la phosphorylation de DAF-16, et inhibe ainsi son entrée dans le noyau pour être actif (Lin et al., 2001). DAF-2 permet donc de réguler négativement l’accumulation nucléaire de DAF-16. Quand la voie de l’insuline est diminuée, comme chez les mutants daf-2, DAF-16 entre dans le noyau, où avec l’aide de HSF-1 (facteur de choc thermique) et SKN-1 (facteur de transcription), il active de nombreux gènes qui vont agir ensemble afin d’augmenter la durée de vie (Tullet et al., 2008). Par voie de conséquence, les mutants de la voie de l’insuline, sont plus résistants à de nombreux stress, comme par exemple le stress oxydatif, les UV… (Larsen, 1993 ; Lithgrow et al., 1995 ; Murakami & Johnson, 1996). L’augmentation de la durée de vie à travers la voie de l’insuline est un mécanisme conservé puisqu’il a été observé chez Drosophila melanogaster (Tartar et al.,2001 ; Clancy et al., 2001 ; Hwangbo et al., 2004 ; Giannakou et al., 2004) et la souris (Blûher et al., 2003 ; Kappeler et al., 2008). Chez l’Humain, la première étude qui a fait le lien entre la voie de l’insuline et la longévité, a été réalisé sur des Japonais en 2004 (Kojima, et al., 2004).
La voie de la restriction calorique
La restriction calorique est une restriction alimentaire drastique sans malnutrition. Il s’agit d’une diminution de calorie de 30% par rapport à un animal nourrit normalement ad libitium (AL). La restriction calorique permet d’augmenter la durée de vie de tous les organismes testés jusqu’à présent (levures, drosophiles, rongeurs, nématodes, …) (Bishop & Guarente, 2007a). La restriction calorique permet également d’augmenter la résistance aux stress, de diminuer la reproduction et de protéger contre les maladies du vieillissement comme le cancer, le diabète ou encore des maladies cardiovasculaires (Colman et al.,2009). Cependant, le mécanisme par lequel la restriction calorique augmente la durée de vie reste peu clair. De plus, chez C. elegans, il existe huit protocoles permettant de pratiquer une restriction calorique, ce qui rend l’analyse des résultats délicate (Greer & Brunet, 2009). Je vais présenter quelques protocoles de restriction calorique. a. Le mutant eat-2 Chez un ver sauvage, les muscles du pharynx se contractent pour ingérer les bactéries plus de 200 fois en une minute (Lakowski & Hekimi, 1998). Le gène eat-2 code pour le récepteur « nicotinique de l’acétylcholine » dans le pharynx, qui permet de réguler l’absorption de nourriture de C. elegans (Avery, 1993). Le mutant eat-2 a une déficience des muscles du pharynx. Il ingère donc moins de bactéries par unité de temps, (de 10 à 20% en moins) et il a une fertilité altérée (Crawford et al., 2007). La restriction calorique du mutant eat-2 augmente sa durée de vie de 50% comparé à un ver sauvage (Lakowski & Hekimi, 1998). L’augmentation de la durée de vie du mutant eat-2 est indépendante de daf-16. Ceci suggère que les voies de la restriction calorique et de l’insuline sont, au moins en partie, indépendantes (Hoothoofd et al., 2005 ; Walker et al., 2005). L’augmentation de la durée de vie du mutant eat-2 est, par contre, annulée en absence du facteur de transcription de la famille FOXA, PHA4(Panawski et al., 2007). pha-4 est un orthologue de FOXA 1, 2, 3 des mammifères, impliqué dans le développement du ver. Chez le mammifère, l’homologue de PHA-4 est impliqué dans la régulation de la production de glucagon et l’homéostasie du glucose, particulièrement en réponse au jeûne (Panowski et al., 2007). De manière similaire, le niveau de pha-4 est augmenté lorsque les vers sont en restriction calorique (augmentation de 80%). De plus, le rôle de pha-4 dans la restriction calorique semble être spécifique puisque la diminution de pha-4 diminue la longévité du mutant eat-2 sans affecter la durée de vie du mutant daf-2 (Panowski et al., 20007). b. Suppression totale des bactéries (Bacterial deprivation (BD)) Les vers accumulent des réserves énergétiques pendant leur développement. Lorsqu’ils sont mis en restriction calorique, ils sont capables d’utiliser l’énergie stockée pour maximiser leur durée de vie. Au sein de notre laboratoire, nous utilisons la privation totale des bactéries (BD) comme méthode de restriction calorique. Nous mettons nos vers en BD le premier jour du stade adulte. La BD augmente la durée de vie indépendamment de daf-16. Les effets de la restriction calorique s’ajoutent à ceux d’un mutant daf-2 et d’un mutant eat-2 (Kaeberlein et al., 2006 ; Lee et al., 2006). Les effets de BD sur la durée de vie requièrent hsf-1 (Steinkraus et al., 2008). hsf-1 n’est pas indispensable pour l’augmentation de la durée de vie du mutant eat-2 (Hsu et al., 2003). c. Restriction calorique liquide et solide (lDR, sDR) Il s’agit de deux méthodes utilisant la dilution des bactéries. La première, réalisée en milieu solide, a été mise au point par le laboratoire de Anne Brunet à Stanford University. Les vers adultes, sont transférés après leur période reproductive tous les deux jours sur des boites fraiches, avec une quantité de bactéries diminuée (Ad libitum : 5×1011 bactéries par mL et sDR : 5×108 bactéries par mL) (Greer et al., 2007). Cette méthode de restriction calorique permet d’augmenter significativement la durée de vie des vers et leur résistance au stress. pha-4 et hsf-1 ne sont pas nécessaires pour l’augmentation de la durée de vie avec ce protocole. Les effets de cette méthode sont additifs au mutant eat-2 (Greer et al., 2007 ; Greer & Brunet, 2009). Cependant, l’AMPK (AMP proteine kinase) est nécessaire pour l’augmentation de la durée de vie, lorsque l’on utilise sDR. L’AMPK est une protéine hétérotrimérique qui permet d’activer les voies cataboliques et de diminuer les voies anaboliques, lorsque le ratio AMP/ATP augmente. Une des deux sous unités cataboliques de AMPK (aak-2) a récemment été découvert pour être impliquée dans l’augmentation de la durée de vie des vers. Le mutant aak-2 montre une diminution de la durée de vie lorsque l’on utilise le protocole sDR (Greer et al., 2007). Contrairement à la mutation eat-2, et la BD, la capacité d’augmenter la durée de vie du ver est annulée dans les mutants daf-16. AMPK semble agir directement sur daf16 en le phosphorylant et l’activant (Greer et al., 2007). AMPK n’est pas nécessaire pour augmenter la durée de vie des mutants eat-2 (Curtis et al., 2006). La deuxième méthode est en milieu liquide (lDR). lDR montre des résultats contradictoires. En effet, AMPK n’est pas nécessaire pour augmenter la durée de vie. lDR requiert le facteur de transcription du gène skn-1 qui est actif dans les neurones de la tête (ASIs). lDR active skn-1 dans les deux neurones de la tête, entrainant l’activation des tissus périphériques pour augmenter la longévité (Bishop & Guarente, 2007b). Cependant, tous les gènes qui peuvent potentiellement réguler la restriction calorique sont spécifiques du protocole et tous les gènes trouvés n’ont pas été testé dans tous les protocoles (Greer & Brunet, 2009 ; Mair et al., 2009). d. Cible de la rapamycine (Target Of Rapamycine : TOR) La protéine TOR est hautement conservée, de la levure à l’humain, et régule de multiples mécanismes cellulaires en réponse aux nutriments, incluant la taille des cellules, l’autophagie, la biogenèse des ribosomes, le métabolisme des acides aminés, la réponse au stress et l’organisation de l’actine (Kaeberlein et al., 2005). TOR répond à l’abondance des nutriments en phosphorylant la kinase ribosomale S6 (S6K). Des mutations diminuant l’activité de TOR permettent d’augmenter la durée de vie de la levure à la souris (Kaeberlein et al., 2005 ; Kapahi et al., 2004 ; Jia et al., 2004 ; Vellai et al., 2003 ; Harrison et al., 2009), et permettent l’augmentation de la résistance au stress (Hansen et al., 2007). Chez C. elegans, la voie de TOR est distincte de la voie de l’insuline et augmente la longévité indépendamment de daf-16 (Hansen et al., 2007 ; Jia et al., 2004 ; Vellai et al., 2003). L’inhibition de TOR a un effet similaire à la restriction calorique chez la levure, le ver et la drosophile. De plus, la restriction calorique n’augmente pas les effets de l’inhibition de TOR sur la durée de vie (Hansen et al., 2007 ; Kaeberlein et al., 2005 ; Kapahi et al., 2004 ; Bjedov et al., 2010).
INTRODUCTION |