Immigration impériale racisée postcoloniale : histoire,évolution du cadre législatif et mémoires collectives de l’Empire britannique en Grande-Bretagne
Entre la perte certaine des colonies et le déni impérial
Ce chapitre s’attarde sur la décolonisation de l’Afrique par l’empire britannique. Nous montrerons que ce dernier n’a pas pris la mesure de son déclin ni de l’ampleur du processus de la décolonisation qui en découle. Nous verrons que le mouvement intellectuel panafricaniste a eu une influence majeure dans la décolonisation africaine. L’intelligentsia africaine a su s’unifier pour défendre le droit des peuples à s’autodéterminer en faisant appel aux valeurs et à l’histoire qui les unissaient. Le gouvernement britannique de Macmillan va peu à peu se rendre à l’évidence que devient la décolonisation. Son acceptation reste néanmoins de façade, en retenant des territoires comme les Malouines. Londres va essayer de substituer le Commonwealth à l’empire, en en faisant une vitrine d’avancée démocratique tout en maintenant une influence. Partie 1 : Le Panafricanisme : de Manchester à Accra Le panafricanisme est un mouvement intellectuel qui a vu le jour en 1897 à l’initiative d’Henry Sylvester-Williams, qui a créé l’Association panafricaine. Elle se réunit pour sa première conférence, à Londres, les – juillet 00. Ce courant mondial promeut la création et le renforcement des liens entre tous les Africains, qu’ils vivent en Afrique ou bien fassent partie des diasporas, principalement aux Amériques et aux Caraïbes. Le panafricanisme prend ses racines dans la mémoire de l’esclavage qui transcende l’ensemble des populations africaines et les unit. Selon cette vision, non seulement le « peuple africain » partage une histoire commune, mais aussi un futur, une destinée commune. Le panafricanisme vise à renforcer la solidarité entre les communautés africaines, pour unifier et développer l’Afrique économiquement, socialement et politiquement.
La naissance du nationalisme africain : construction et définitions
A la fin du XIXe siècle, les mouvements anti-esclavagistes, d’abord satellitaires isolés, forment ensuite un réseau mondial uni si vigoureux qu’ils mettent fin à l’oppression qui pèse sur les communautés noires. La traite négrière a déshumanisé, arraché, violé des peuples entiers durant 400 ans. A son abolition, les peuples noirs doivent se reconstruire une identité après avoir été subie par des politiques racialistes. En situation de mixité raciale, se voyant donc naturellement comme « non-Blanc », et se sentant appartenir à un continent auquel on l’a arraché physiquement et émotionnellement ; en quête de reconnaissance, la nouvelle identité noire va prendre l’Afrique comme point central. Le panafricanisme a donc pour vocation de redonner espoir, mais aussi de donner une cohérence identitaire et culturelle commune visant à guérir de cette deshumanisation vécue en masse pendant la traite négrière. Basé sur un sentiment révolutionnaire contre l’esclavage, le panafricanisme se transforme peu à peu à partir des années en révolution contre la discrimination raciale et puis contre le colonialisme. Lors de la première conférence de l’Association panafricaine en 00, organisée par Henri Sylvester Williams afin que les intellectuels noirs, ceux qui avaient eu la possibilité d’accéder à une éducation, se rencontrent. Il fut établi que ce Bureau se réunirait tous les deux ans. A défaut d’avoir pu maintenir cet objectif pour des raisons financières durant les dix-neuf années qui ont suivi, l’évolution des idées à poursuivi son cours ; laissant apparaître une nouvelle génération d’activistes et d’idéologistes. En , à Paris, de nouvelles versions du panafricanisme sont portées lors du premier congrès panafricain, par l’historien et sociologue américain, William Edward Burghadt Du Bois (W.E.B Du Bois) et le journaliste militant jamaïcain Marcus Mosiah Garvey. Le premier prend le leadership du mouvement et est contesté par le second ; leurs visions du panafricanisme étant fondamentalement opposées. Du Bois pense le panafricanisme intégrationniste, alors que Garvey le pense nationaliste. Du Bois accepte une mixité raciale, Garvey la rejette. Celui-ci prône un retour de tous les Noirs en Afrique, Du Bois perçoit le panafricanisme dans l’hybridité. 1 Itay Lotem, ibid., p.8 2 Kader Stéphane Dabiré, « Le panafricanisme: analyse de l’histoire d’un mouvement fédéraliste », mémoire de master soutenu en avril , UQAM, p. 83 64 Ce congrès de annonce la prise de trois directives innovatrices3 : • L’exploitation de la main d’œuvre coloniale : il est demandé aux puissances coloniales d’établir un Code du travail similaire au Code du Travail international, afin de protéger les populations indigènes contre l’exploitation ; • La fin du colonialisme est exigée, accompagnée d’un regain de liberté total mais progressif des populations indigènes ; • L’association panafricaine se constitue organe de surveillance de l’application de ces directives. En ans, le mouvement n’est plus un cri de ralliement mais bien une force d’action et de proposition, radicale dans la dénonciation des oppressions. En , Marcus Garvey lance sa propre structure, l’Universal Negro Improvement Association (UNIA), fondée sur la ségrégation raciale, « la race noire et la race blanche étant non-assimilables »4. Lors du premier rassemblement de cette association, Garvey est élu « Président provisoire de l’Afrique ». Malgré un projet qui peut sembler fou et populiste : faire revenir tous les Noirs en Afrique, il lève des fonds impressionnants. Au-delà du populisme de Garvey, ce qui le différencie de Du Bois est la radicalité raciale Noirs/Blancs et le passage à l’acte de ses idées utopiques. Il s’agit d’une rupture fondamentale avec l’idéologie pensée par les pères fondateurs. La déportation de Garvey en Jamaïque et la banqueroute de l’UNIA mettent un point d’arrêt à son expansion ; mais ses idées resteront chéries et mystifiées. Malgré les luttes de leadership, le congrès panafricain se tient deux fois en : à Paris et à Bruxelles, laissant la place à Du Bois pour porter sa vision intégrationniste, prônant la mixité raciale et le combat contre le racisme. Du Bois tient deux autres congrès jusqu’en , où les propositions sont de plus en plus audacieuses : le droit des peuples noirs à l’autodétermination, le droit de prendre part à la vie politique et de participer aux gouvernements, de bénéficier des mêmes ressources, à l’éducation moderne, à l’égalité fondamentale entre tous les êtres humains. 3 Organisation internationale de la Francophonie, Le mouvement panafricaniste au vingtième siècle, STIPA, 2 e édition, . 4 George Padmore, Panafricanisme ou communisme? La prochaine lutte pour l’Afrique, Paris, Présence Africaine, 60, pp.97-3 65
La période de maturation (39 – 45)
Alors que l’Europe occidentale est spectatrice et actrice de la montée des puissances fascistes et racialistes en son sein, le mouvement panafricaniste est donc témoin de la fragilité de son oppresseur. Une minorité de soldats coloniaux se voit contrainte par la France et le Royaume-Uni à combattre les régimes nazi et fasciste, et vont subir des pertes dans leurs rangs. Le mouvement panafricaniste y voit une faille majeure dans le système dominant européen, permettant la maturation de ses propres idées. L’apparition claire et différenciée de deux écoles de pensée s’opère donc entre les Noirs d’Afrique et les Noirs de la diaspora (États-Unis d’Amérique et Caraïbes). Les premiers vont lutter contre la colonisation, et les seconds pour leurs droits civiques, après la Deuxième Guerre mondiale. Cette période de montée et d’apogée des régimes extrémistes en Europe, permet au mouvement panafricaniste aux États-Unis et Caraïbes d’avancer sur la prise de conscience de soi, selon l’idéologie de Du Bois5 . Les élites et intelligentsias de la diaspora, s’unifiant, suivent la pensée de Du Bois et souhaite se voir conférer l’entièreté des droits et libertés civiques américains, en faisant vœu de s’intégrer et de s’adapter. Ayant été amenées sur ce continent par la traite négrière des siècles auparavant, jusqu’au XIXe siècle, les populations noires américaines n’ont plus de liens permanents avec l’Afrique. L’éducation supérieure ouvre peu à peu la porte aux étudiants noirs, notamment avec l’université Howard, fondée en 1867, qui se popularise et est encore très réputée de nos jours. S’adapter a aussi signifié de s’adapter au libéralisme et au capitalisme, ce qui a permis l’apparition d’une nouvelle classe de noirs fortunés et éduqués, ayant une vie meilleure que leurs aïeux et souhaitant une vie encore meilleure pour leurs enfants. Au moment de la seconde Guerre mondiale, cette nouvelle élite croise les chemins de la nouvelle élite africaine. En effet, les colonisations britannique et française en Afrique sont peu à peu remises en cause par les élites africaines des années cinquante. Ces dernières se battent pour une cause similaire aux panafricanistes caribéano-américains, tout en assimilant au courant les réalités inhérentes au continent africain6. En se basant sur le projet panafricain de W.E.B Du Bois, le courant panafricaniste africain se reconcentre sur ce projet 5 Kader Stéphane Dabiré, ibid., p. 81 W.E.B Du Bois, Black reconstruction, Harcourt Brace, 35. 6 Idem, p. 83 66 d’union des peuples africains en Afrique. En effet, à cette époque, les mouvements anticolonialistes commencent à se former et se faire entendre avant même l’entrée dans la Seconde Guerre Mondiale. L’entrée dans la guerre force les puissances coloniales à faire appel aux peuples colonisés et les faire entrer au combat. Kader Dabiré avance qu’il était plus judicieux pour ces populations de soutenir la puissance oppressive que le régime nazi, qui l’aurait remplacée en cas de victoire. Ce dernier aurait pu faire preuve d’une violence encore plus grande à l’encontre des peuples africains. Une nouvelle dynamique apparait lors de la Guerre, où le mythe de la puissance coloniale imbattable s’effondre et laisse la place aux mouvements indépendantistes et nationalistes. Cet espace favorise la prise de conscience de soi, mais aussi à la possibilité d’accéder à l’auto-détermination des peuples. Le désir d’émancipation et d’affirmation sont dessinés et s’affirment dans les deux écoles de pensées du panafricanisme. Les deux courants restent distincts : chacun accepte une stratégie propre pour accéder au même but : la liberté et l’égalité des individus noirs. Ainsi, naissent peu à peu les mouvements pour une complète égalité civique entre les noirs et les blancs américains, d’un côté de l’Atlantique ; alors que de l’autre côté se mettent en place des mouvements de libération qui ont de nouveaux arguments et une volonté ravivée pour négocier leurs indépendances respectives.
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