Située sur le plateau continental à la pointe ouest de la Bretagne, la Mer d’Iroise est un territoire maritime à forts enjeux environnementaux et socio-économiques (Piel, 2007). Ouvert sur le Golfe de Gascogne et la Manche (Figure 0.1), ce domaine côtier se caractérise par une richesse de la faune et de la flore, ainsi qu’une grande diversité de milieux, et représente un véritable laboratoire d’environnement côtier, représentatif de la zone Atlantique française (Le Duff and Hily, 1999). La pression anthropique y est néanmoins forte (SAFI, 1999): la pêche constitue une activité essentielle sur le plan économique et identitaire; le tourisme y est développé ; et le trafic maritime est intense, du fait de la présence de l’axe de circulation du rail d’Ouessant. La Mer d’Iroise constitue ainsi une zone sensible, et différents outils de protection et de gestion ont été mis en place : en 2007, ce domaine a notamment acquis le statut de Parc naturel marin, et correspond à la première zone française de ce type. Dans ce cadre, et afin de gérer de manière durable le patrimoine naturel de la Mer d’Iroise, une connaissance précise du fonctionnement de ses écosystèmes côtiers est nécessaire. Ces derniers présentent une dynamique complexe et sont fonction de nombreux facteurs, dont la structure physique de l’océan et l’hydrodynamisme.
La Mer d’Iroise correspond à un domaine fortement influencé par la marée. Cette dernière constitue une source majeure de mélange des eaux côtières, et influe sur la distribution des nutriments (Sandstrom et al., 1989). En particulier, des ondes de marée interne sont produites au niveau du talus continental au large de l’Iroise (Pingree and Mardell, 1985; Pingree and New, 1995), et ce dernier est reconnu comme l’un des endroits où le phénomène est le plus fort au monde (New and Da Silva, 2002). Les ondes de marée interne se propagent sur le plateau à l’intérieur de la colonne d’eau, et font osciller la thermocline saisonnière, qui délimite une couche d’eaux superficielles chaudes, largement illuminées mais pauvres en nutriments, d’eaux profondes froides, riches en éléments nutritifs (Holligan, 1981). L’évolution temporelle de la thermocline saisonnière participe ainsi au contrôle des processus biologiques du plateau continental.
L’interaction de la marée avec la stratification thermique de la colonne d’eau est également à l’origine d’un phénomène physique majeur en Mer d’Iroise, le Front d’Ouessant. Présent de mai à novembre, ce front thermique de marée sépare les eaux stratifiées du large, des eaux brassées par les forts courants de marée près de la côte (Le Corre and Mariette, 1985). Plusieurs processus océanographiques lui sont associés : notamment, des tourbillons contribuant au mélange des eaux, et une circulation influençant la dynamique de la Mer d’Iroise (Le Boyer et al., 2009; Muller et al., 2010) et participant ainsi au transport du plancton notamment (Hill et al., 2008). Repéré au plus fort de sa formation par des blooms de phytoplancton , le Front d’Ouessant est également le siège d’une production primaire importante (Le Fèvre, 1987; Pingree et al., 1977). Il constitue ainsi une structure clé pour les ressources marines de la Mer d’Iroise.
Après une période d’étude intensive dans les années 1980 (Le Corre and Mariette, 1985; Mariette and Le Cann, 1985; Mariette et al., 1982), le Front d’Ouessant n’a fait l’objet que d’un faible intérêt de la communauté scientifique. Récemment, de nouvelles campagnes à la mer ont été menées par le SHOM, puis par le Laboratoire de Physique des Océans (CNRS/IFREMER/IRD/UBO) dans le cadre du projet FroMVar (2007 – 2011), basé sur une approche pluridisciplinaire (Le Boyer et al., 2009; Pasquet et al., 2012; Schultes et al., 2012; Szekely et al., soumis -a; Szekely et al., soumis -b). Le phénomène d’ondes internes sur le plateau continental d’Iroise, et d’une manière plus générale dans le Golfe de Gascogne, est bien documenté, et a été observé de manière in-situ (Pingree and Mardell, 1985) et par télédétection satellite (New and Da Silva, 2002; Pingree and New, 1995). Une limitation des méthodes de mesure in-situ mises en oeuvre jusqu’ici sur la zone est la résolution spatiale des données recueillies, au mieux de l’ordre de plusieurs centaines de mètres. Elevée, cette résolution latérale se révèle en pratique insuffisante pour l’étude de l’évolution très rapide des propriétés des masses d’eau au franchissement du front, ainsi que des variations horizontales de fine échelle de la thermocline saisonnière causées par le passage d’ondes internes. Le développement de nouvelles méthodes d’observation de l’océan, de haute résolution latérale, est donc nécessaire pour améliorer la compréhension de ces phénomènes.
Utilisée depuis près d’un siècle par les géologues et l’industrie pétrolière pour imager l’intérieur de la Terre, la sismique réflexion a été appliquée récemment à l’étude des masses d’eau dans l’océan (Holbrook et al., 2003; Nandi et al., 2004). Elle permet la réalisation de sections continues (profils sismiques), de résolution spatiale de l’ordre de la dizaine de mètres, tout en offrant une bonne résolution verticale. La méthode, indirecte, fournit une image acoustique de la colonne d’eau, fonction de la structure thermohaline. Combinée avec la réalisation simultanée de mesures des propriétés physiques de l’eau de mer, la sismique réflexion permet ainsi d’obtenir des images détaillées de larges sections de l’océan. Plusieurs travaux ont démontré l’intérêt de la démarche, en corrélant réflecteurs des profils sismiques et changements des propriétés physiques de l’eau de mer (Biescas et al., 2008; Eakin et al., 2011; Mirshak et al., 2010), et des phénomènes océaniques variés ont été imagés : notamment des fronts (Mirshak et al., 2010; Nakamura et al., 2006) et des ondes de marée interne (Holbrook et al., 2009).
Néanmoins, la plupart des études d’océanographie sismique ont été réalisées en domaine profond, et consacrées à l’observation de structures situées à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Bien que plusieurs travaux aient mis en avant le potentiel de la méthode (Carniel et al., 2012; Géli et al., 2005), les niveaux superficiels de l’océan, et tout particulièrement la gamme des profondeurs de la thermocline saisonnière, restent ainsi inexplorés par la sismique.
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