Les classes concernées
Localisée dans une école maternelle publique appartenant à la ville de Versailles, dans le département des Yvelines, la première classe concernée par l’expérimentation est composée de 29 élèves de moyenne section. Nous y retrouvons 15 filles et 14 garçons. Selon les semaines, la gestion de classe et l’apport des apprentissages sont partagés par un professeur des écoles stagiaire ainsi que par un professeur remplaçant ayant obtenu le concours de recrutement de professeurs des écoles. De manière générale, ces élèves sont habitués aux activités de lecture et se sentent facilement concernés.
Au niveau du cadre scolaire, les enfants semblent le comprendre et le respecter. De plus, ils continuent à apprendre comment adopter le rôle d’élève une fois arrivés dans l’enceinte de l’école. Ce portrait nous permet donc d’identifier la classe de moyenne section comme un public présentant certaines facilités concernant la compréhension et l’appropriation des savoirs. Il démontre aussi une bonne intégration dans la vie de l’école selon les règles qui l’organisent. Néanmoins, d’une classe à une autre, le profil d’élèves peut varier. Nous pouvons alors être confrontés à d’autres problématiques. Située dans une école maternelle publique, appartenant à la ville de Trappes, dans le département des Yvelines, la deuxième classe concernée par l’expérimentation comporte 21 élèves de grande section. Nous y retrouvons 10 filles et 11 garçons. Appartenant à une école identifiée REP (réseau d’éducation prioritaire), le site web l’Etudiant nous apprend que le ministère de l’éducation nationale prend en compte, dans le classement REP ou REP + des établissements, quatre paramètres, considérés comme un indice social. Ils correspondent à l’addition du taux de catégories socioprofessionnelles défavorisées, du taux d’élèves boursiers, du taux d’élèves habitant dans un QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville) et, enfin, du taux d’élèves ayant redoublé avant la sixième. Le site web met également en avant l’échec scolaire qui touche davantage les enfants scolarisés dans ces types d’établissements. Par ailleurs, afin d’y répondre, le secrétariat d’Etat dédié données à l’éducation prioritaire emploie une politique de façon à remédier à l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire. Selon les vagues concernées, la gestion de classe et l’apport des apprentissages auprès des élèves de grande section sont partagés entre deux professeures des écoles stagiaires, dont une se trouvant en situation de reconversion professionnelle. Pouvant nous être utile lors des phases de développement, l’écart d’âge séparant les deux PES peut être un point intéressant à souligner. En effet, l’une se trouve proche de la vingtaine tandis que la seconde est quinquagénaire. De façon générale, ces élèves montrent un réel intérêt pour les activités de lecture et apprécient les moments d’ateliers, qu’ils soient dirigés ou autonomes. Néanmoins, ils se démarquent par une grande énergie, parfois compliquée à canaliser, et par une capacité fragile à rester concentrés sur une tâche d’une durée supérieure à 15 minutes. Au niveau du cadre scolaire, les enfants paraissent le comprendre, du fait qu’ils parviennent à verbaliser des règles de vie s’y rattachant, mais ils présentent parfois des difficultés à l’accepter. Un travail sur l’appropriation du rôle d’élève continue aussi à être effectué quotidiennement avec eux. L’année scolaire 2019-2020 ayant été troublée par le premier confinement national et par la fermeture des écoles, pour certains élèves, le lien avec le milieu scolaire a été extrêmement affecté. De ce fait, ce travail quotidien est nécessaire. Ce portrait nous permet donc d’identifier la classe de grande section comme un public volontaire mais présentant majoritairement des difficultés concernant la compréhension et l’appropriation des savoirs. Même s’ils semblent apprécier se rendre à l’école, les règles de vie en communauté peuvent manquer de sens pour eux.
Les deux classes liées à notre expérimentation présentent un public différent. Dans un premier temps, nous relevons deux niveaux de classe : moyenne section et grande section. Malgré un programme d’enseignement et des compétences travaillées similaires, les objectifs diffèrent avec des attendus plus élevés pour les élèves de grande section qui, à la rentrée, passeront en classe de CP, premier grade du cycle 2. Dans un deuxième temps, une seule des deux écoles fait partie d’un réseau d’éducation prioritaire. La ville pouvant avoir une influence sur l’appartenance, ou non, d’un établissement scolaire à une REP, mais également sur les connaissances et compétences des élèves, il est important de comparer brièvement les communes de Trappes et de Versailles. Selon un angle culturel, Versailles peut être considérée comme une ville riche. Centre du royaume de France du 6 mai 1682 à 1789 et chargée de traces historiques17, visibles notamment à travers l’architecture de certains bâtiments, elle offre à ses habitants un milieu de vie favorisant l’accès à la culture. De plus, l’école est située proche du château de Versailles, ancienne demeure de plusieurs rois de France, tels que Louis XIV ou encore, Louis XVI au XVIIIe siècle. Par ailleurs, en 2018, le monument parvient à dépasser la barre des 8 millions de visiteurs18. D’un point de vue économique19, en 2017, la moyenne des montants salariaux touchés par les habitants de Versailles s’élève à 4 151 euros net par mois, contre 2 342 euros net par mois pour l’ensemble du territoire français. Au-dessus de la moyenne nationale, en plus d’être une ville culturelle et historique, nous pouvons considérer Versailles comme une ville économiquement riche. De ce fait, nous pouvons aussi supposer que les élèves de moyenne section bénéficient d’un cadre de vie plutôt aisé, favorisant l’accès à la culture. Concernant Trappes, selon un aspect culturel, il ne s’agit pas d’une ville connue pour son patrimoine bien qu’elle revendique son passé de cité médiévale royale ainsi que son histoire ferroviaire20. L’accès à la culture paraît, ici, moins développé. Dans une perspective économique21, en 2017, la moyenne des montants salariaux touchés par les habitants s’élève à 1 962 euros net par mois, comparé à 2 432 euros net par mois pour l’ensemble des Français. En dessous de la moyenne nationale, nous pouvons considérer Trappes comme une ville dont l’économie est relativement faible. Selon un horizon culturel et économique, en comparaison avec celui des enfants résidant à Versailles, le cadre de vie des élèves de grande section semble donc plutôt défavorisé.
Lorsqu’une expérimentation doit être mise en place auprès de deux groupes d’élèves, il est essentiel d’identifier les différentes spécificités qui les rassemblent, mais aussi celles qui les différencient. Cette étude se concentre donc sur une première classe de moyenne section, composée de 29 élèves, d’une école située au cœur de Versailles, ville culturellement et économiquement aisée. La seconde est une classe de grande section, composée de 21 élèves, d’une école REP localisée à Trappes, ville considérée comme défavorisée au niveau culturel et économique. Les cadres de vie ayant directement une influence sur le rapport qu’ont les enfants avec le milieu scolaire et les apprentissages, les avoir relevés permettent une première perception des prérequis et des préconceptions pouvant être propres à chacune des deux classes. Cela nous permet également de mieux définir, en amont, la posture des élèves et de l’enseignant, ainsi que les productions attendues.
Eléments d’analyse de la séquence d’apprentissage
Les postures des élèves
Tout en s’appuyant sur les travaux de Dominique Bucheton et de Yves Soulé22, l’Institut Français de l’Education définit ce que représentent les postures des élèves à travers un article web. Ces dernières semblent se traduire par l’engagement des élèves dans les tâches proposées ainsi que dans les comportements adoptés au sein du cadre scolaire. Par exemple, lors d’une activité soumise par l’enseignant, ils peuvent être amenés à réagir de différentes manières selon les consignes annoncées ou encore, selon l’effet que cela leur procure. Outre l’aspect lié aux apprentissages et aux compétences mobilisées, les postures peuvent également concerner les règles régissant la vie en collectivité à l’intérieur de l’enceinte de l’école. Pour un enseignant, il est important de savoir repérer et différencier ces postures de manière à mieux comprendre les besoins scolaires des élèves. Ainsi, d’éventuelles situations d’étayage peuvent être proposées, durant lesquelles l’intervention de l’adulte est censée favoriser les apprentissages de l’enfant. Le psychologue américain Jerome Bruner (1915 – 2016) présente l’étayage comme “l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ”23. Pour un professeur, il s’agirait donc, conformément aux postures d’élèves observées, de proposer des éléments de réponse dans le but d’accompagner les élèves dans la remédiation d’un ou de plusieurs obstacles rencontrés. Toutefois, avant cette étape, il faut avoir connaissance des postures repérables. L’Institut Français de l’Education paraît en proposer cinq : la posture première, la posture ludique-créative, la posture réflexive, la posture de refus et la posture scolaire.
La posture de l’enseignant
En s’appuyant sur les travaux de Dominique Bucheton concernant “les postures enseignantes”24, nous pouvons énumérer les cinq préoccupations à mettre en œuvre lors de tout apprentissage destiné aux élèves, et ce, sans que leur niveau importe : la posture de contrôle, la posture d’accompagnement, la posture de lâcher-prise, la posture de sur-étayage, et enfin la posture d’enseignement. La posture générale adoptée par l’enseignant face à sa classe s’avère extrêmement importante car les choix pédagogiques qui la composent vont permettre un apprentissage optimal pour les élèves en épousant leur diversité, tant d’un point de vue intellectuel que comportemental. Même si nous savons que notre posture d’enseignant variera du fait de nos deux classes de niveau et de champ social différents, nous avons prévu d’adopter une posture commune et respectueuse des cinq préoccupations essentielles.
La posture de contrôle est la première que nous avons définie ensemble après l’élaboration finale du contenu de notre séquence. Elle va nous permettre d’établir un cadre de travail que nous voulons le plus clair et le plus précis possible afin que les élèves avancent et progressent tous théoriquement au même rythme. Cependant, cette volonté de contrôler pour bien faire peut paradoxalement se heurter à l’imprévu des réactions propres à des enfants en plein apprentissage. Le piège est donc de ne pas tomber dans cette configuration dominante dont les travaux de D. Bucheton expriment que cela peut engendrer “des postures faiblement réflexives des élèves”. Nous avons donc à cœur d’exposer clairement cette nouvelle séquence aux enfants, de leur laisser la liberté de s’exprimer autantq ue le cadre de travail le permet, de les guider au mieux vers les nouveaux apprentissages proposés par nos séances et de recueillir en clôture de ces dernières leurs perceptions lors de temps de verbalisation ritualisés.
De cette posture en découle une autre, le sur-étayage. En effet, tous les élèves n’ayant pas la même approche et la même compréhension d’une séance, il est à prévoir qu’une remédiation s’impose pour certains d’entre eux afin de les accompagner au mieux dans les apprentissages. Cependant, le sur-étayage connotant l’idée d’une aide un peu trop invasive sur la capacité de l’enfant à apprendre à son rythme et par lui-même, nous ne l’avons évoqué que peu. Aussi verrons-nous si cette posture peut être justifiée et bénéfique pour un ou des enfants nécessitant un cadrage plus resserré de notre part afin que cela ne pénalise pas le groupe d’élèves lors de l’atelier et permette le bon déroulé de la séance.