Identifier les contraintes de l’espace de travail

 Identifier les contraintes de l’espace de travail

Premier cas applicatif La prise en charge d’une urgence pédiatrique

Sur la base de travaux précédents et de la première application de la méthode hCWA au domaine de l’urgence médicale (Morineau et al. 2017 ; Morineau & Flach 2019 ; Burtscher et al. 2010) trois contraintes délimitant l’espace de travail ont été identifiées : la contrainte de soin au patient (SP), la contrainte de gestion des tâches (GT), la contrainte de traitement de l’information (TI). Rappelons que la contrainte SP constitue le cœur de l’activité de soin dont l’objectif est de maintenir l’état du patient à un état acceptable. C’est une contrainte propre au domaine. Les contraintes TI et GT représentent les moyens informationnels, matériels et humains disponibles pour assurer le fonctionnement de l’organisation du travail et l’atteinte des objectifs de la tâche. En effet, prodiguer des soins nécessite des échanges informationnels entre humains et/ou machines (TI) ainsi que la répartition des tâches, la manipulation d’objets et/ou l’organisation des espaces de soin (GT). Ainsi TI et GT sont respectivement des contraintes informationnelle et physique propres aux opérateurs et à l’environnement.

Étape 2 et 3 : Identifier les pressions potentielles qui se produisent lors d’une urgence pédiatrique ainsi que les risques associés

En accord avec les principes fondamentaux du modèle DSM évoqués précédemment, ces trois contraintes délimitent un espace de travail fonctionnel (modélisé ici sous la forme d’un triangle) au sein duquel les opérateurs peuvent naviguer librement (Figure 11.1). Selon les valeurs attractives ou répulsives de chacune de ces contraintes, des affordances perceptibles attirent ou repoussent les opérateurs vers ces dernières. Rappelons que les valeurs attractives ou répulsives des contraintes évoluent en fonction de la dynamique des évènements et des exigences situationnelles. Dans une situation d’urgence médicale, nous émettons plusieurs hypothèses concernant ces valeurs, la dynamique sous-jacente des contraintes et les risques potentiels associés : 1. La situation d’urgence donne à la contrainte SP un pouvoir d’attraction fort. En effet, compte tenu de la pression temporelle et de la gravité de la situation, nous supposons que les soignants auront tendance à se focaliser sur le contrôle de SP (i.e. le domaine) et sur les aspects techniques du soin dans le but de contrôler l’état du patient et contrer la dégradation clinique. La puissance attractive issue de SP entrainera une migration du point opératif vers SP avec le risque que ce point opératif Conception Analyse de l’activité de soignants médicaux et paramédicaux sur simulateur haute-fidélité lors de simulations d’urgence, en vue de la conception d’un environnement de soins ergonomique Cécile I. Bernard 2020 89 franchisse cette limite (Figure 11.2). La puissance attractive attribuée à la contrainte SP en situation d’urgence peut être soutenue par le phénomène de tunnelisation attentionnelle, plus couramment appelé « effet tunnel ». En effet, l’effet tunnel se définit comme une baisse de l’attention à un moment donné impliquant que l’opérateur se focalise sur un élément de la situation en oubliant son environnement (Wolff et al. 2018). En attribuant son attention à une seule tâche ou à une seule hypothèse, l’opérateur néglige les événements qui l’entourent et ne tient pas compte d’autres alternatives ou de la nécessité de réaliser d’autres tâches (Wickens & Alexander 2009). Ainsi, le mécanisme propre à l’effet tunnel est souvent une cause de défaillance dans la gestion des tâches (Wickens & Alexander 2009). Face au stress, à la pression temporelle, les ressources attentionnelles des soignants sont monopolisées pour tenter de comprendre pourquoi l’état du patient se dégrade, donnant à la contrainte SP un pouvoir d’attraction fort. L’attention portée à l’environnement, à la gestion des tâches et des ressources est limitée, donnant aux contraintes TI et GT un pouvoir d’attraction faible. 2. Dans cette logique, la migration vers SP éloignera le point opératif des contraintes TI et GT. L’attention portée sur le contrôle de ces contraintes sera alors réduite, voire absente. Des problèmes de communication, la perte d’information, l’encombrement de l’espace de travail sont autant de conséquences potentielles résultant du manque de contrôle des contraintes TI et GT (Figure 11.3). 3. Un contrôle inadéquat des contraintes TI et GT entrainera un rapprochement de ces contraintes vers l’intérieur, réduisant ainsi l’espace de travail. Les moyens d’actions disponibles pour faire face à la situation seront alors limités et la probabilité que le point opératif franchisse l’une ou l’autre des 3 contraintes augmentera (Figure 11.4). Figure 11 : Espace de travail et dynamique des contraintes de l’urgence pédiatrique. Cette figure modélise l’espace de travail propre à l’urgence médicale ainsi que la dynamique sousjacente aux contraintes de soin au patient (SP), de traitement de l’information (TI) et de gestion des tâches (GT). Les soignants explorent l’espace de travail afin d’appliquer des soins (figure 1). Les valeurs attractives de SP (+) et par conséquent, les valeurs moins attractives (-) accordées à TI et GT entrainent une migration du point opératif vers SP (figure 2), un rapprochement des contraintes TI et GT vers l’intérieur (figure 3) et une réduction de l’espace des possibles, augmentant ainsi le risque de franchir les limites de sécurité (figure 4). Conception Analyse de l’activité de soignants médicaux et paramédicaux sur simulateur haute-fidélité lors de simulations d’urgence, en vue de la conception d’un environnement de soins ergonomique Cécile I.

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Étape 4 : Proposer, imaginer des solutions visant à éviter ces situations risquées

Sur la base de cette première modélisation, plusieurs pistes d’améliorations sont alors envisagées pour maintenir les exigences de sécurité – performance, et assurer le contrôle du système : • Rééquilibrer, limiter la migration du point opératif vers la marge de risque SP. • Réorienter l’attention vers les contraintes TI et GT pour permettre leur contrôle et assurer la gestion des ressources humaines et informationnelles. • Limiter la réduction de l’espace de liberté en fournissant aux opérateurs des degrés de liberté supplémentaires, indispensables à leur adaptation. 4. Étape 5 : Définir précisément le problème à résoudre Nous pouvons donc envisager le contrôle du système de soins d’urgence comme un problème de répartition/coordination du contrôle sur les 3 contraintes SP, TI, GT. En répartissant de manière équilibrée les actions de contrôle au regard de chacune des contraintes, la migration vers SP serait réduite (i.e. le contrôle sera réparti équitablement entre SP, TI, GT), le rapprochement des contraintes TI et GT sera limité (i.e. les actions de contrôle réalisées sur ces contraintes permettraient de les maintenir à distance) et l’espace de travail gardera une taille fonctionnelle suffisante offrant aux opérateurs de nombreux degrés de liberté et la possibilité de mettre en place des comportements adaptatifs. Cependant, le contrôle simultané des trois contraintes relève de compétences particulières, comparativement au contrôle unilatéral d’une des trois contraintes. Le contrôle dédié spécifiquement à la contrainte SP repose essentiellement sur des gestes techniques tels que l’intubation, le massage cardiaque ou l’injection de drogue. Contrôler la contrainte SP fait donc intervenir des compétences techniques relatives à une formation clinique et à une certaine expertise médicale ou paramédicale. Concernant la contrainte de gestion des tâches (GT), et la contrainte de traitement de l’information (TI), le contrôle implique, elles, des compétences non-techniques nécessaires à la communication, au partage des informations, à la prise de décision ou encore à la répartition des tâches entre les soignants… Ces compétences non-techniques se définissent généralement comme des compétences cognitives, sociales et personnelles qui complètent les compétences techniques et qui contribuent à l’exécution sûre et efficace des tâches (Fletcher et al. 2002 ; Flin et al. 2010). Le manque de compétences non-techniques est aujourd’hui reconnu comme une cause importante d’événements indésirables dans de nombreux domaines, notamment celui des soins (Kemper et al. 2013 ; Neuhaus et al. 2019). Contrôler simultanément les soins, la gestion des tâches et le traitement de l’information relève d’une compétence de coordination.

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