Identifier le rôle adopté dans l’évaluation de l’ activité professionnelle de la stagiaire

Tour d’horizon de la formation des sages-femmes

Au Canada, incluant le Québec, et dans les pays industrialisés dont le taux de mortalité maternelle est similaire au taux canadien – notamment le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – la formation initiale des sages-femmes se situe au niveau des études de premier cycle universitaire (Mali ott et al., 2009). Concomitante à la légalisation de la pratique sage-femme au Québec, la formation initiale n’est offerte que depuis 1999, exclusivement par l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) (Université du Québec à Trois-Rivières, 2006a). Contrairement à d’autres professionnels de la santé dont le diplôme peut provenir de différentes universités québécoises et qui doivent réussir un examen d’admission à la profession, les bachelières sages-femmes de l’UQTR accèdent directement au permis de pratique de l’ordre. Compte tenu de ce passage direct, l’université est redevable à la société québécoise et se doit d’attester que les diplômées en pratique sage-femme rencontrent les exigences liées à l’exercice de la profession au Québec.

Ainsi, l’évaluation des apprentissages des étudiantes en cours de formation constitue un mécanisme de contrôle de qualité professionnelle et de protection du public à l’égard des mères et des nouveau-nés qui seront suivis par ces sages-femmes (Nursing and Midwifery Council, 2008; Rooke, 2014; Université du Québec à Trois-Rivières, 2006b). Le programme de baccalauréat en pratique sage-femme (BPSF) cumule 132 crédits dont la moitié (49%) est consacrée à des stages en milieu de pratique. Pour saisir l’importante proportion des stages au BPSF, la Figure 1 compare quelques programmes de formation initiale de l’UQTR menant à l’exercice d’une profession. Par exemple, 24% des crédits du baccalauréat en sciences infirmières et 16% des crédits du baccalauréat d’éducation au préscolaire et d’enseignement au primaires sont consacrés à des stages. Les crédits du BPSF se traduisent en un nombre total d’heures de formation réparties en 1005 heures de cours théoriques et 2352 heures de stage. Cette proportion d’heures de formation pratique – ici de 70% – est d’ailleurs supérieure aux normes internationales de formation des sages-femmes qui indiquent que le volet pratique doit constituer au moins 50% des heures d’un programme de formation initiale (International Confederation of Midwives, 2013). Le programme de BPSF dure neuf sessions condensées en quatre ans et compte sept stages.

De ces stages, cinq se déroulent directement en milieu de pratique auprès de sages-femmes, un se déroule en centre hospitalier auprès de médecins et d’ infirmières et un en milieu communautaire auprès de divers intervenants. Les stages débutent à la troisième session du programme et sont combinés à des cours théoriques dont les formules pédagogiques favorisent la continuité dans les milieux de pratique. Comme dans la plupart des programmes de formation professionnelle, il y a alternance théorie-pratique (Mottier Lopez, 2010). Perrenoud (1998) explique d’ailleurs que cette alternance va bien au-delà de la simple juxtaposition séquentielle d’ heures de théorie et d’ heures de stage. Il soutient que l’alternance théorie-pratique est formatrice dans la mesure où la théorie et la pratique s’articulent, s’intègrent, s’enrichissent, sont analysées pour favoriser le développement de compétences professionnelles. Il propose donc de s’orienter vers une véritable articulation théorie-pratique, ce qui est le cas au BPSF.

Les stages en milieu de pratique

Les stages en milieu de pratique permettent à l’étudiante d’ intégrer la théorie et la pratique, de développer sa pensée critique, ses habiletés techniques et son sens de l’éthique (O’Connor, 2015). La formation clinique est une composante centrale de l’apprentissage des étudiantes et de leur socialisation à la profession de sage-femme (Carlon, 2016). Au BPSF, les stages se déroulent partout sur le territoire québécois, là où exercent des sages-femmes. Durant chacun des cinq stages, l’étudiante est jumelée à une sage-femme préceptrice pendant 14 semaines (Baccalauréat en pratique sagefemme, 2019). Le programme est pensé de manière à ce que le jumelage favorise à la fois la diversité et une certaine continuité auprès de la sage-femme et de sa clientèle. De par un tel jumelage, la stagiaire vit ses cinq stages auprès de trois sages-femmes différentes. Les stages sous forme de préceptorat se caractérisent par un pairage au hasard entre la préceptrice et la stagiaire, des objectifs prédéterminés, une durée délimitée, des mécanismes de soutien et de surveillance, le tout se déroulant dans un cadre formel et officiel (Morton-Cooper et Palmer, 2000).

La stagiaire participe à toutes les activités professionnelles de la sage-femme, en fonction des objectifs du stage et de ses besoins spécifiques d’apprentissage. Les stages sont conçus de sorte que la future sage-femme acquiert progressivement les connaissances, les habiletés et les attitudes requises à l’exercice professionnel. La séquence des cinq stages prévoit que l’étudiante débute par de l’observation et qu’elle s’intègre aux activités professionnelles de la préceptrice d’abord à un niveau de débutante (stage 1), ensuite qu’elle progresse vers un niveau intennédiaire (stage III) et finalement, lors du cinquième stage (l’internat), qu’elle démontre sa capacité à agir de façon autonome et responsable. Quoique la responsabilité clinique demeure toujours celle de la préceptrice, son niveau de supervision directe passe de très immédiat en stage 1 à plus distant lors de l’internat. La dyade stagiaire-préceptrice est encadrée par une professeure du BPSF, fonnant ainsi une triade.

Le modèle de la triade lors des stages se retrouve aussi dans la fonnation pratique en enseignement au Québec : stagiaire – enseignante associée – superviseure. Les deux fonnatrices accompagnent la stagiaire et évaluent ses apprentissages, l’enseignante associée le fait au quotidien tandis que la superviseure universitaire le fait ponctuellement (Correa Molina, Gervais et Rittershaussen, 2008). Lors des évaluations fonnelles, les échanges à trois favorisent, à partir des expériences vécues, la construction de sens pour les savoirs professionnels (Tominska, Dobrowolska et Balslev, 2017). Ce modèle existe dans de nombreux pays, non seulement en enseignement mais aussi en sciences de la santé. Par exemple, au Canada dans plusieurs programmes universitaires en sciences de la santé et en éducation (Ralph, Walker et Wimmer, 2008), en Australie et en Belgique en enseignement (Ambrosetti, 2010; Carlier, 2009) et dans des pays de l’Union européenne en sciences infinnières (Jokelainen, Turunen, Tossavainen, Jamookeeah et Coco, 2011). Que ce soit en enseignement ou en pratique sage-femme, les deux fonnatrices de la triade travaillent ensemble pour accompagner l’étudiante et faire l’évaluation de ses apprentissages, tout en apportant certaines perspectives à son expérience pratique (Correa Molina et al., 2008; International Confederation ofMidwives, 2013). Selon un tel modèle, la stagiaire bénéficie d’une fonnation où s’articulent théorie et pratique en cohérence avec la réalité de terrain et l’ensemble des objectifs de fonnation. L’évaluation en triade augmente même les habilités de l’étudiante sage-femme à mobil iser ses connaissances dans la pratique (Collington, Mallik, Doris et Fraser, 2012). Ainsi, cette approche en triade semble bien préparer les étudiantes sages-femmes à l’exercice de la profession, car elle réduit l’écart entre la théorie et la pratique et facilite la transition vers la réalité professionnelle (Doughty, Harris et McLean, 2007; West, 2007). En ce sens, Ralph et al. (2008) soulignent que le modèle de la triade contribue à la socialisation professionnelle.

Au programme de BPSF, chaque membre de la triade participe à l’évaluation de l’activité professionnelle de la stagiaire. L’évaluation se fait à distance, par voie téléphonique, étant donné que les stages sont dispersés au Québec et que les professeures ne peuvent pas parcourir de telles distances pour rencontrer chacune des dyades dans son milieu clinique. La professeure ne constate donc pas en situation réelle le niveau d’atteinte des objectifs du stage. L’ évaluation en triade a lieu au milieu et à la fin du stage et se veut à la fois formative et certificative. Au terme du stage, seule la professeure de stage décide de la cote à attribuer (S pour satisfaisant ou E pour échec), tout en accordant une grande importance au jugement que la préceptrice porte à l’égard des apprentissages de la stagiaire. Effectivement, au quotidien c’est la préceptrice qui se retrouve en milieu clinique avec la stagiaire, au coeur de l’activité professionnelle. Elle est la personne idéale pour faire de la rétroaction détaillée, puisqu’elle peut observer la stagiaire dans son environnement de travail réel (Scarff, Corderoy et Bearman, 2018). C’est elle qui doit poser un jugement sur comment la stagiaire s’intègre au sein d’une équipe, sur son développement en tant que praticienne, sur ce qu’ elle a appris et accompli, ainsi que sur ses attitudes et comportements en fonction des normes et valeurs de la profession (Stuart, 2013). Toutefois, en dépit de l’apport essentiel des préceptrices au BPSF, leurs expériences et leurs représentations de l’évaluation de l’ activité professionnelle de la stagiaire ne sont pas connues. En effet, à l’instar d’autres programmes de formation dans le domaine de la santé, les connaissances au sujet de l’évaluation en milieu de pratique par les professionnelles qui côtoient les stagiaires au quotidien sont très restreintes (Holmboe, Sherbino, Long, Swing et Frank, 2010).

Table des matières

REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES SIGLES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE
1.1 La profession de sage-femme au Québec
1.2 La formation universitaire pour devenir sage-femme
1.2.1 Tour d’ horizon de la formation des sages-femmes
1.2.2 Les stages en milieu de pratique
1.3 Préceptrices et préceptorat
1.3.1 Définition du terme préceptrice
1.3.2 Formation des préceptrices
1.3 .3 Diversité des préceptrices au Québec
l.A L’évaluation de l’ acti vité professionnelle des stagiaires
1.4.1 Modalités et contexte d’évaluation au baccalauréat en pratique sage-femme
1.4.2 Hétérogénéité dans l’évaluation parmi les préceptrices
1.4.3 Diffi cultés de l’échec en stage
1.4.4 Dimension affective de l’évaluation en stage
1.4.5 La double fonction de l’évaluation
1.4.6 Ambigüité relationnelle et de rôle
1.4.7 Synthèse des pistes pour comprendre l’évaluation par les préceptrices
1.5 Résumé de la problématique
1.6 But, question et objecti fs de recherche
CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL
2.1 Le concept d’évaluation
2.1.1 Évaluation des apprentissages
2.1.2 La régulation
2.1.3 Évaluation de l’activité professionnelle en contexte de stage
2.l.4 La notion de pratiques d’évaluation
2.1.5 La notion de rôle
2.2 Le concept de représentations professionnelles
2.2.1 De la notion de représentations sociales
2.2.2 Vers le concept de représentations professionnelles
2.2.3 Fonctions des représentations professionnelles
2.2.4 Contenu des représentations professionnelles
2.3 Synthèse du cadre conceptuel..
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1 Posture épistémologique
3.2 Le type de recherche
3.2.1 Tradition méthodologique
3.2.2 Type de recherche choisi
3.3 Les participantes à la recherche
3.3.1 La sélection des participantes
3.3.2 Recrutement
3.4 La collecte de données
3.4.1 Le questionnaire socioprofessionnel
3.4.2 Les entretiens individuels
3.4.3 L’ entretien individuel semi-dirigé
3.4.4 Faisabilité des entretiens individuels semi-dirigés
3.4.5 Outils accessoires
3.5 La démarche d’analyse des données
3.6 Considérations éthiques
CHAPITRE IV RÉSULTATS
4.1 Portrait socioprofessionnel des préceptrices
4.2 Le rôle (dimension identitaire)
4.2.1 Niveau de stage que la préceptrice préfère encadrer
4.2.2 Motivation à être préceptrice
4.2.3 Rôle en lien avec l’évaluation formative
4.2.4 Rôle en lien avec l’évaluation certificative
4.2.5 Une image globale du rôle
4.3 Les pratiques d’évaluation (dimension fonctionnelle)
4.3.1 Profils des pratiques d’évaluation
4.3.2 Le comment/les moyens
4.3.3 Le pour quoi/la finalité
4.3.4 Le quoi/l’obj et
4.3.5 Le qui/les actrices
4.3.6 Le quand/le moment
4.3.7 Le oùlle lieu
4.4 Quelques éléments de contexte (dimension contextuelle)
4.4.1 Éléments de contexte intrinsèque
4.4.2 Éléments de contexte extrinsèque
4.5 Synthèse des résultats
CHAPITRE V DISCUSSION
5.1 Circonscrire les pratiques d’évaluation relatées
5. 1.1 Des pratiques d’évaluation au profit de la stagiaire
5.1.2 La qualité de la pratique sage-femme
5.1.3 Outils de travail
5.1.4 Prendre le temps
5.1.5 L’aspect relationnel
5.1.6 Les responsables de l’évaluation
5.1.7 Les collègues et la clientèle comme actrices des pratiques d’évaluation
5.1.8 Évaluer le savoir-être
5.1.9 Regard global sur les pratiques d’évaluation relatées
5.2 Identifier le rôle adopté dans l’évaluation de l’ activité professionnelle de la stagiaire
5.2.1 Variété de rôles
5.2.2 Rôle principal et rôles secondaires
5.2.3 Rôles d’accompagnatrice et de juge
5.3 Liens entre les pratiques et le rôle
5.3.1 Hétérogénéité
5.3.2 Homogénéité
5.3.3 Le rôle et les pratiques ou vice-versa?
5.3.4 Synthèse des relations entre les pratiques et le rôle d’évaluation
CONCLUSION
6.1 Résumé de l’étude
6.2 Contribution de cette recherche
6.3 Les limites et les forces de l’étude
6.3 .1 Les limites
6.3.2 Les forces
6.4 Pistes éventuelles de recherche
APPENDICE A EXEMPLE EXTRAIT D’UN FORMULAIRE D’ÉVALUATION DE STAGE AU BACCALAURÉAT EN PRATIQUE SAGE-FEMME
APPENDICE B TABLEAU 5. ÉTUDES RECENSÉES ET LEURS PRATIQUES MÉTHODOLOGIQUES
APPENDICE C LETTRE D’INFORMATION POUR LE RECRUTEMENT DES
PARTICIPANTES ET FORMULAIRE DE CONSENTEMENT
APPENDICE D QUESTIONNAIRE SOCIOPROFESSIONNEL
APPENDICE E GUIDE D’ENTRETIEN INDIVIDUEL SEMI-DIRIGÉ
RÉFÉRENCES

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