Prise en charge des troubles mentaux
Que l’ asile soit vu de façon positive ou négative, cette institution d’enfermement a indéniablement influencé le domaine de la psychiatrie (Quétel, 2012). Quétel (2012) mentionne dans son ouvrage que dès le début, l’image de la folie est liée à l’ indigence, à la pauvreté, à la paresse, aux dérèglements charnels, à la perversion, et même à la violence. La folie est une manifestation du péché, de l ‘ hérésie, de la possession du démon (Boudreau, 2003). Malgré tout, au 16e siècle, les personnes atteintes de troubles de santé mentale sont gardées à domicile (Bragg & Cohen, 2007; Kosky, 1986; Quétel, 2012). Cependant, lorsque leur comportement devient réellement trop dérangeant pour la famille ou le voisinage et qu’ il n’est plus possible pour personne de montrer de la tolérance envers elles, les personnes ayant des troubles de santé mentale se retrouvent alors en prison ou hospitalisées à l’Hôpital général (Boudreau, 2003; Quétel, 2012). Tout comme le criminel, le fou doit être isolé, enfermé et même puni, ce qui implique toutefois qu’ il doit également être logé et nourri (Boudreau, 2003; Maeda, 2016). Indépendamment de leur état – malade, infirme, criminel, handicapé ou fou – tous se retrouvaient entre les mêmes murs sans distinction.
C’est entre 1714 et 1717 que, pour la première fois, on donne aux fous leurs propres loges (Boudreau, 2003; Duprey, 2011). Le Canada a été fortement influencé par la France et l’Angleterre quant aux façons dont les fous sont traités (Boudreau, 2003). Tout comme en Europe, il règne au Canada le principe que le meilleur moyen de traiter un fou est de l’enfermer (Maeda, 2016; Quétel, 201 2). L’ internement a pour but de corriger et de punir la folie, mais aussi d’éviter que celle-ci ne contamine la population de gens sains (Boudreau, 2003; Duprey, 2011). Au fil du temps, ces soins ont évolué pour devenir des soins prodigués par l’Église catholique pour la population francophone et par l’Église protestante pour la population anglophone du Canada dans des institutions (Boudreau, 2003; Duprey, 2011). Ces hospices accueillent malades, infirmes, invalides, vieillards, criminels, orphelins, idiots, insensés qui dérangent un peu trop la sérénité de la population (Boudreau, 2003). Cette transition a vu le jour à l’apparition du système d’affermage faisant de la garde des fous une entreprise privée pouvant être lucrative (Boudreau, 2003; Paradis, 1997; Wallot, 1979). Malgré le fait que ces institutions asilaires étaient à vocation religieuse, les médecins ont lentement fait leur apparition jusqu’à ce qu’ ils se spécialisent et deviennent des« aliénistes» (Quétel, 2012).
En France, l’entrée des médecins dans ces milieux se fait à la fin du 18e siècle à la suite d’une nouvelle réforme portant sur la façon dont les soins doivent être prodigués aux fous, majoritairement sous forme d’enfermement (Quétel, 2012). Pinel (France) et Tuke (Angleterre) ont particulièrement influencé le monde de la psychiatrie. Selon certains auteurs comme Quétel (2012) et Boudreau (2003), la naissance de la psychiatrie « moderne » peut être en grande partie associée aux oeuvres de ces deux hommes. Ils ont révolutionné ce domaine en remplaçant les loges et les prisons par des asiles. De plus, l’arrivée de la médecine apporte avec elle de nouvelles promesses de guérison dans un lieu merveilleux (Boudreau, 2003; Duprey, 2011 ; Quétel, 2012). Au Canada, l’arrivée des médecins dans les asiles s’ est faite un peu plus tard, soit à la moitié du 1ge siècle pour des raisons différentes. Ce sont des incitatifs monétaires et dans le but d’apaiser les demandes incessantes des bourgeoisies francophone et anglophone que le gouvernement canadien signe pour la première fois une entente de trois ans avec un médecin, lui donnant donc la tâche d’administrer l’asile Saint-Michel-Archange situé à Beauport (Boudreau, 2003). Au cours du 1ge siècle jusqu’à la moitié du 20e siècle, les soins aux personnes atteintes de troubles mentaux sont toujours dispensés par les institutions asilaires tant en Europe qu’au Canada (Maeda, 2016; Quétel, 2012). Les admissions se font sur une base de certification pouvant être donnée par plusieurs membres de la communauté tels qu’un curé ou un juge, et non seulement par un aliéniste (Quétel, 2012; Turner, 2004). Les approches sont alors basées sur des thérapies occupationnelles, soit un modèle de traitement (Quétel, 2012; Turner, 2004).
La classification des troubles mentaux
En Amérique, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ou DSM est l’ouvrage de référence utilisé par la majorité des psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux et autres professionnels de la santé oeuvrant dans le domaine de la santé mentale (American Psychiatric Association, 1952, 1968, 1980, 1994, 2013; Sanders, 20 Il). Ce manuel a subi de nombreuses rééditions ayant modifié sa forme physique et son contenu autant que les idéologies qu’il véhicule (Blashfield, Keeley, Flanagan, & Miles, 2014). Dès sa première publication en 1952, à sa plus récente version parue en 2013, le manuel s’est vu ponctué d’éloges et de critiques (Blashfield et al., 2014) qui lui ont tout de même permis de gagner en popularité (Sanders, 2011). Le Tableau 3, présent à l’appendice A, montre l’évolution du DSM et les changements majeurs ayant pris place. Au début du 19 e siècle, la théorie dominante tentant d’expliquer les causes de la folie est celle d’un débalancement des passions dans le corps entraînant des lésions cérébrales incurables (Quétel, 2012).
Pinel secoue le domaine naissant de la psychiatrie en apportant une nouvelle conception de la folie qui donne une cause comportementale à ces dérangements de la raison (Quétel, 2012). Ces nouvelles théories provenant de Pinel resteront dominantes pour la majeure partie du 1ge siècle (Grob, 1991). Au cours de cette période, les aliénistes affirment de nouvelles certitudes en multipliant les classifications (Quétel, 2012) tout en démontrant peu d’intérêt pour l’élaboration d’un système de classification universel (Grob, 1991). Au cours des années précédant la publication du DSM l, plusieurs autres systèmes de classification ont vu le jour. Le premier d’entre eux est le Statistical Manual for the Use of Institutions for the Insane ou le SMUII (American Medico-Psychological Association, 1918). Ce manuel, émergeant de la demande du Bureau of Census d’avoir un système de classification universelle des troubles mentaux leur permettant d’effectuer des recensements exacts de la population, est publié en collaboration avec l’ Americqn MedicoPsychological
Association (aujourd’hui l’Association Américaine des Psychologues ou l’APA) en 1918 (Clegg, 2012; Grob, 1991; Horwitz & Grob, 2016). Malgré le fait que certains auteurs ne s’entendent pas sur le nombre exact de catégories présentes dans cet ouvrage, selon Suris, Holliday et North (2016), le manuel compte 21 catégories et 22 catégories selon d’autres (Grob, 1991; Clegg, 2012; Cotten & Ridings, 2011; Horwitz & Grob, 2016; Sanders, 2011). Ils s’entendent tous pour dire que la majorité de ces catégories, c’ est-à-dire 19 d’entre elles, sont décrites comme ayant des causes biologiques (Clegg, 2012; Cotten & Ridings, 2011 ; Grob, 1991 ; Horwitz & Grob, 2016; Sanders, 2011; Suris et al., 2016). Ce manuel est dépeint par plusieurs comme ayant eu peu de succès chez les psychiatres puisqu’ il répondait aux besoins épidémiologiques du Bureau ofCensus et non aux besoins des cliniciens (Cotten & Ridings, 2011 ; Grob, 1991; Horwitz & Grob, 2016). À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, il devient évident que le Statistical Manuel n’ ayant jamais réellement répondu aux besoins des psychiatres (Cotten & Ridings, 20 Il; Grob, 1991; Horwitz & Grob, 2016), est en inadéquation avec la théorie de la psychanalyse, le courant de pensée populaire du moment en Europe et en Amérique du Nord (Sanders, 2011). Selon plusieurs auteurs, la combinaison du désir d’unification des systèmes de classification existants et le désaveu du Statistical Manuel de la part des psychiatres ont mené à la publication du DSM l en 1952 (Blashfield et al., 2014; Clegg, 2012; Grob, 1991; Horwitz & Grob, 2016; Sanders, 2011 ; Suris et al., 2016; American Psychiatrie Association, 1952).
Le diagnostic et l’exercice des soins
De par sa capacité à nommer un ensemble de signes et de symptômes qui défmit une maladie ou une affection, de par son rôle de guide vers un traitement approprié ou de par sa capacité à identifier un pronostic, le diagnostic est normalement au centre des soins (Conrad & Barker, 2010; Horwitz & Grob, 2016; Larousse, 2018; Porter, 1997; Rosenberg, 2007). Autrefois, la médecine percevait la maladie comme un débalancement des quatre humeurs du corps (Porter, 1997; Quétel, 2012). Le rôle du médecin était donc d’ identifier la source de ce débalancement et de le traiter par des techniques comme les saignées (Quétel, 2012). L’absence de tests et d’ outils a donc placé sur un piédestal la capacité des médecins à diagnostiquer une maladie à l’aide de l’énumération et de l’observation des signes et des symptômes de leurs patients (Horwitz & Grob, 2016; Porter, 1997). C’est autour de cette action que la profession médicale occidentale moderne s’est développée (Porter, 1997; Rosenberg, 2007). En effet, la naissance de la médecine moderne est intimement liée aux percées scientifiques en matière de biologie, de biochimie, de microbiologie et même de physique (Porter, 1997). Ces dernières ont permis à la médecine de gagner en spécificité, en justesse et en efficacité (Horwitz & Grob, 2016; Rosenberg, 2007). Par exemple, l’ identification des premiers antibiotiques a permis à la chirurgie de faire des bonds spectaculaires en matière de sécurité et d’ efficacité grâce à la diminution drastique des complications dûes aux infections et la découverte des propriétés radioactives de certains éléments a mené l’invention des radiographies (Porter, 1997). Malgré cet essor fulgurant des connaissances médicales, la spécialité de cette profession s’est tout de même développée autour du concept de diagnostic (Collège des Médecins du Québec, 2020; Rosenberg, 2007). L’appropriation du diagnostic par les médecins a légitimé l’ajout à leurs champs de pratique tout ce qui en découlait, comme le choix des traitements et l’établissement du pronostic (Rosenberg, 2007). Aujourd’ hui encore au Québec, malgré les pressions politiques d’autres professions, la médecine détient toujours le contrôle exclusif du diagnostic médical c’ est-à-dire le diagnostic lié à l’identification d’une pathologie (Collège des Médecins du Québec, 2020).
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