Hydrogels macro et supramoléculaires photo-stimulables dans le visible
Les hydrogels naturels
Les hydrogels formés à partir de gélifiants polymères naturels sont souvent utilisés dans les domaines biomédicaux, en ingénierie tissulaire par exemple, car ils sont des composants de la MEC ou possèdent des propriétés macromoléculaires qui en sont proches. Les gélifiants polymères naturels les plus utilisés sont le collagène, la gélatine, le chitosane, l’agarose, l’alginate, la fibrine et l’acide hyaluronique.
Le collagène et la gélatine
Chez l’homme, on distingue 28 protéines différentes appelées « collagène » 17. Le collagène de type I est l’un des constituants majeurs de la MEC18,19 et il a été beaucoup utilisé dans le domaine biomédical. Il s’agit de la protéine la plus présente dans les tissus des mammifères, notamment dans la peau et les vaisseaux sanguins17, ce qui en fait un matériau très attractif pour les applications telles que la délivrance de médicaments 20,21 et la médecine régénérative. De plus, il est facilement et rapidement extrait de la peau ou des tendons animaux. Le collagène a la capacité de s’organiser, dans les conditions physiologiques, en fibrilles qui forment alors un réseau, donnant au matériau ses propriétés mécaniques si spécifiques17. Sur ces fibrilles, peuvent se fixer des protéines de la MEC comme la fibronectine. Plusieurs récepteurs de surface des cellules reconnaissent également la structure en triple hélice du collagène, les principales étant les intégrines. Les collagénases sont des enzymes qui ont la capacité de dégrader le collagène ce qui permet des remodelages du réseau préalablement formé in vivo. Le collagène est non seulement biocompatible mais aussi biodégradable21 et sa structure en triple hélice permet une bonne adhésion et diffusion des cellules dans sa masse. Cependant, deux inconvénients majeurs du collagène I sont : son antigénicité (même si faible)25 et le risque qu’il présente de transmission de certaines maladies infectieuses26. La gélatine est un collagène de type I dénaturé, les liaisons chimiques du gel ont été rompues. Elle est moins antigénique que son parent mais ses propriétés mécaniques sont mauvaises. Pour remédier à cela, elle peut être réticulée chimiquement mais de la toxicité peut alors survenir. La gélatine a donc été particulièrement utilisée combinée à des polymères biocompatibles pour pallier ses faibles propriétés mécaniques et sa toxicité induite par l’ajout d’agents réticulants
La fibrine
La fibrine est une protéine, présente chez les mammifères, qui nait du clivage par la thrombine des fibrinopeptides portées par le fibrinogène, qui sont ensuite polymérisés sous l’action d’enzymes, formant la fibrine . La fibrine est activement engagée dans le processus de cicatrisation. Elle permet notamment l’adhésion des plaquettes et des leucocytes sur le site d’une blessure30–32 . De la même manière que le collagène (II.2.1), la fibrine peut se lier à plusieurs récepteurs d’adhésion des cellules tels que l’intégrine . Grâce à son rôle dans la réparation spontanée des plaies et à sa biocompatibilité, les hydrogels à base de fibrine sont les plus largement utilisés pour la régénération tissulaire dans le domaine clinique. En 2006, Ho et al. utilisèrent des gels 3D de fibrine par contenant des quantités contrôlées de fibrinogène et de thrombine. Ces gels ont servi de support pour la culture in vitro et l’injection de cellules souches mésenchymateuses humaines (hMSCs). Les chercheurs observèrent notamment que la prolifération des hMSCs dans le gel dépend des concentrations en réactifs et que leur différenciation pourrait être influencée par les propriétés mécaniques du gel. Contrairement à la matrice de collagène qui se forme lentement et de manière non contrôlée par les cellules qui la sécrètent, les gels de fibrine s’assemblent rapidement et cette polymérisation peut être tout à fait contrôlée. De plus, il est possible d’incorporer des propriétés biologiques par le biais d’autres protéines de la MEC au gel de fibrine.
L’alginate et l’agarose
L’alginate est un polysaccharide anionique extrait des algues brunes qui peut être gélifié dans des conditions douces, en présence de cations divalents. L’alginate a été largement utilisé comme plateforme pour la culture cellulaire en 3D, comme vecteur d’encapsulation de cellules et comme support pour l’ingénierie tissulaire34–36. Il s’agit d’un copolymère à block contenant les deux monomères acide β-D-mannuronique (unité M) et l’acide α-L-guluronique (unité G) liés entre eux par liaisons osidiques β-1-4 (Figure 4). Ce sont les unités G qui ont la capacité de complexer les cations. Un cation divalent peut donc former un complexe avec plusieurs chaînes d’alginate et jouer le rôle de point de réticulation formant un réseau d’alginate en trois dimension, gel d’alginate. Le comportement mécanique et les propriétés des gels d’alginate dépendent du choix du polysaccharide choisi (provenance, rapport M/G, masse molaire) et de sa mise en forme. Notamment, leurs caractéristiques en tension varient grandement en fonction du ratio de blocs G dans le polymère37. Une grande contenance en unité G permet la formation d’hydrogels plus résistants et plus ductiles que des gels contenant une majorité d’unités M. La composition du solvant utilisé peut aussi jouer un rôle sur les propriétés mécaniques des gels d’alginate. De plus, le temps d’incubation dans le tampon est source de perte de tenue mécanique en compression et en cisaillement à cause de la diffusion des cations divalents en dehors de la matrice. Figure 4 : Structure chimique de la molécule d’alginate extraite des algues brunes. Pour cette dernière raison, des gels d’alginates réticulés chimiquement par des molécules bifonctionnelles ont été développés. Lee et al. ont décrit des gels d’alginate réticulés par des agents réticulant organiques39 . Ils ont ainsi pu contrôler leurs propriétés mécaniques en compression et leur degré de gonflement qui dépendent essentiellement de la densité de réticulation et des caractéristiques de l’agent de réticulation. L’agarose est un polysaccharide linéaire de -D-galactopyranose et 3,6-anhydro–Lgalactopyranose (Figure 5). Il provient d’une haute purification de l’agar, lui-même extrait des algues rouges40 . Sa gélification est thermoréversible : au-dessus de sa température de gélification Tgel, l’agarose est sous forme liquide et, en dessous de Tgel, les molécules s’arrangent pour former un gel. Cette température de gélification varie, en fonction du type d’agarose, entre environ 15 et 35 °C. Figure 5 : Schéma d’une unité de répétition de l’agarose. L’agarose est un composé hydrophile et non chargé sur lequel les cellules n’adhèrent pas, ce qui en fait un bon candidat pour l’électrophorèse, pour lequel il a été largement utilis2 . L’agarose a également été utilisé comme matériau de culture cellulaire. Par exemple, Mauck et al. ont étudié le comportement de chondrocytes cultivés sur des gels d’agarose. Ils ont noté que les cellules cultivées avec une légère contrainte mécanique forment un tissu plus rigide que leurs homologues cultivées sans cette contrainte. L’agarose est un biomatériau non cytotoxique, biodégradable, qui a la capacité de conserver au cours du temps la forme dans laquelle il a été moulé, propriété intéressante pour des applications de bioimpression en trois dimensions.
L’acide hyaluronique (AH)
L’acide hyaluronique (AH), ou hyaluronane, est un polysaccharide linéaire (Figure 6) isolé pour la première fois à partir de l’humeur vitrée de l’œil par Meyer en 193445. Il s’agit d’un glycosaminoglycane, composant important de la MEC, présent dans de nombreux tissus humains. L’AH est aujourd’hui essentiellement produit par fermentation bactérienne, ce qui permet sa synthèse en quantités industrielles et de façon reproductible46 . En raison des charges négatives dont il est porteur, ce polysaccharide est largement hydraté et une partie de cette eau est immobilisée au sein de sa structure47 . C’est grâce à sa large teneur en eau que l’AH apporte de la flexibilité aux tissus qu’il compose et qu’il assure la lubrification nécessaire au travail des tissus musculaires 48 . De plus, l’AH a la capacité d’interagir avec les cellules via certains de leur récepteurs de surface qui participent à la signalisation régulée par le facteur de croissance49 . Figure 6 : Formule chimique de l’acide hyaluronique (AH) formé d’unités disaccharides répétitives d’acide Dglucuronique et N-acétyl glucosamine Il a été démontré que l’AH pouvait être utilisé, sous forme d’hydrogel, pour réparer par exemple, des cartilages50 ou des os51 déficients. Cependant, ses propriétés mécaniques sont limitées, les chimistes ont donc été incités à trouver des solutions pour optimiser sa résistance. Des modifications chimiques au niveau de la fonction acide carboxylique de l’acide Dglucuronique, des fonctions alcools primaires et secondaires ainsi que du groupe N-acétyle après désacétylation de celui-ci avec des molécules fonctionnelles, ont rendu ce polymère plus adapté à la biomédecine et ont fait l’objet d’une revue par Schanté et al . Ainsi, l’AH modifié peut être soit conjugué soit réticulé avec lui-même ou d’autres polymères tels que le polyéthylène glycol (PEG)53 par exemple. Ceci permet la création d’un réseau en trois dimensions, insoluble dont les propriétés mécaniques sont améliorées. Les nombreuses possibilités de modifications qu’offre l’AH sont autant de possibilités pour contrôler et optimiser les propriétés du matériau final. La versatilité de leurs propriétés ainsi que l’accessibilité de l’AH font de ses dérivés des composés attractifs pour la création de MEC de synthèse. Ils trouvent déjà des applications dans la réparation de tissus et la délivrance de médicaments.
Les hydrogels de synthèse
Les hydrogels naturels ont le grand avantage d’être biocompatibles, parfois biodégradables, et de promouvoir la prolifération d’un grand nombre de cellules. Cependant, de tels matériaux sont souvent mal définis et il peut être complexe d’adapter leur propriétés mécaniques et biochimiques. De plus, ils sont facilement contaminés ou dégradés, il est donc difficile d’y étudier véritablement des réponses cellulaires. C’est à ces problématiques que répondent les hydrogels de synthèse. Créés en laboratoire, leurs compositions sont contrôlées afin d’obtenir in fine des matériaux aux propriétés physiques et chimiques désirées.
Les hydrogels chimiques
Un hydrogel est dit chimique s’il s’agit d’un réseau formé par l’association de chaînes polymères via des liaisons covalentes. De nombreuses réactions ont été utilisées pour synthétiser des hydrogels chimiques (Figure 7) 16 . Le choix de la stratégie de synthèse employée conditionne les propriétés du matériau final telles que son taux de gonflement, sa porosité ou encore ses propriétés mécaniques. Une méthode particulièrement développée pour la synthèse d’hydrogels est la polymérisation radicalaire. Il s’agit d’une réaction en chaîne où l’addition d’un monomère sur un bout de chaîne activé, sous forme de radical, récrée un bout de chaîne réactif55 . Elle est très utilisée à l’échelle industrielle également car elle a les avantages d’être assez facile à mettre en œuvre, notamment dans l’eau, et de tolérer des traces d’impuretés56 . Les monomères vinyliques sont les plus couramment utilisés. Leur polymérisation met en jeu un amorceur radicalaire dont la proportion relative au monomère influence les propriétés physico-chimiques finales du polymère. Il existe, en outre, une multitude de monomères disponibles pour exécuter la polymérisation radicalaire comme par exemple, l’acide acrylique (AA) ou le N-isopropylacrylamide (NIPAM). Certains polymères naturels peuvent être substitués avec des groupements acrylates ou méthacrylates dans le but de former des hydrogels bioactifs ou biocompatibles. Cependant, certains de ces monomères et conditions d’amorçage peuvent être toxiques pour des cellules . Un autre inconvénient de ces polymères est qu’il est difficile d’obtenir des hydrogels aux structures ordonnées et homogènes avec la polymérisation radicalaire à cause de son caractère noncontrôlé. Il est possible de préparer des hydrogels à partir de polymères contenant des fonctions qui réagissent par exemple par estérification, amidification ou ouverture d’époxyde. De même, la réaction entre une amine et un aldéhyde conduit à la formation d’une base de Schiff dans des conditions douces de synthèse et sans ajout d’agent de réticulation58 . Les groupes fonctionnels résiduels peuvent ensuite être de nouveau réticulés ou bien laissés comme tels afin d’y greffer des molécules bioactives, par exemple. Ainsi, des polymères naturels comme l’AH, le chitosane ou le dextrane peuvent réagir selon cette réaction avec d’autres polymères naturels ou synthétiques porteurs de groupes amines et ainsi former des hydrogels59,60 . Le temps de prise du gel ainsi que ses propriétés physiques finales dépendent du rapport entre les fonctions réactives. Cette réaction est également utilisée pour la synthèse d’hydrogel, sans catalyseur, par formation d’oxime à partir de polymère contenant des hydroxylamines61 . De tels matériaux ont été amplement utilisés pour le développement de gels injectables en médecine régénérative. La chimie click regroupe un ensemble de réactions très rapides et efficaces, réalisables dans des conditions douces de synthèse. Les réactions de chimie click les plus couramment utilisées pour la formation de gels chimiques sont la cycloaddition azoture/alcyne, la réaction de Diels-Alder et la réaction thiol-ène. La cycloaddition azoture/alcyne est catalysée par le cuivre (I) dont la cytotoxicité réduit la biocompatibilité. Une alternative pour réaliser cette réaction sans catalyseur est d’utiliser un cycloalcyne. Cette méthode et a permis de synthétiser des gels de poly(oxyde d’éthylène) (POE) dépourvus de trace de catalyseur toxique .
Résumé |