Historique face à la situation des minorités sexuelles
Le Canada est particulièrement reconnu pour la reconnaissance des droits et libertés des individus LGBQ comparativement à d’ autres pays qui criminalisent toujours la diversité sexuelle (Gouvernement du Québec, 2017). Depuis le retrait de l’homosexualité en 1973 dans la classification du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (American Psychiatric Association, 1973, cité dans Meyer, 2003), le Canada a procédé à plusieurs changements législatifs relatifs à l’ acceptation de la diversité sexuelle. Par exemple, il est possible d’obtenir le statut de réfugié pour motif de persécution en regard de l’ OS, fonder une famille avec un(e) conjoint(e) du même sexe et se marier avec lui ou elle (Gouvernement du Québec, 2017). De plus, le Québec détient une politique provinciale de lutte contre l’homophobie ainsi qu’un plan d’ action qui cible dorénavant, non seulement l’ égalité juridique, mais aussi l’égalité sociale des minorités sexuelles (Gouvernement du Québec, 2017).
En dépit des avancées notoires dans les sociétés occidentales quant à la normalisation des OS non-hétérosexuelles, les LGBQ rencontrent toujours des obstacles légaux, sociaux, politiques, économiques et culturels du fait de leur différence (Bauermeister, 2014; Hatzenbuehler, McLaughlin, Keyes, & Hasin, 2010; Pachankis, Hatzenbuehler, Rendina, Safren, & Parsons, 2015). En effet, il est interdit aujourd’ hui de procéder à l’ arrestation ou au congédiement d’ une personne en raison de son OS au Canada. Toutefois, malgré que sa population présente majoritairement une attitude d’ouverture face à la diversité sexuelle, des paroles blessantes, des blagues homophobes ou hétérosexistes, de l’ exclusion sociale et des actes violents continuent de se produire régulièrement dans les milieux de vie des minorités sexuelles (Chamberland, Richard, & Bernier, 2013 ; ConU11ission de la santé mentale du Canada, 2015a; Gouvernement du Québec, 2017). Plusieurs individus de la diversité sexuelle mentionnent avoir souffert d’ être perçus en tant que déviants et de ne pas recevoir de soutien face à leur différence (Clarke, Ellis, Peel, & Riggs, 2010).
La persistance de ces conditions, de même que l’histoire entourant la normalisation graduelle et l’ acceptation inachevée des minorités sexuelles se reflètent dans les difficultés accrues vécues par les LGBQ comparativement aux hétérosexuels (Conron, Mimiaga, & Landers, 2010; Pitonâk, 2017). Ces différences seraient d’autant plus prégnantes au moment de la transition à la vie adulte où la construction identitaire et la projection dans l’avenir atteindraient leur paroxysme (Schulenberg, Bryant, & O’Malley, 2004).
La recherche précise qu’environ 75 % des problèmes de santé mentale se développent pendant l’enfance, l’adolescence ou au début de l’âge adulte et que l’absence de traitement efficace constitue un enjeu majeur pour l’adaptation psychosociale et le bien-être à plus long terme (Commission de la santé mentale du Canada, 2015a; Lancet, 2016). Chaque année dans la population générale canadienne, plus de 28 % des jeunes adultes émergents (JAE) vivent un problème de santé mentale, alors qu’un adulte sur deux en aura vécu au moins un à l’âge de 40 ans (Commission de la santé mentale du Canada, 2015a). De plus, les JAE canadiens constituent le groupe d’ âge le plus touché par l’ abus ou la dépendance à l’ alcool, de même que par l’ abus ou la dépendance au cannabis (Baraldi, Joubert, & Bordeleau, 2015). Depuis 2015, le gouvernement du Canada inscrit l’ adaptation psychosociale et la santé mentale des JAE en tant que priorité d’ intervention et cible, en particulier, les JAE issus des minorités sexuelles en tant que population à risque (Commission de la santé mentale du Canada, 2015a).
Le passage de l’ adolescence à l’ âge adulte désigne la quête de l’ autonomie, de même que l’ émergence de nouvelles oPPoltunités pour chacun. Toutefois, l’ acquisition des rôles associés à l’ âge adulte implique un important effort d’ adaptation, lequel peut se traduire par des discontinuités dans le fonctionnement adaptif des JAE (Schulenberg et al., 2004). Les JAE LGBQ présenteraient une plus grande confusion identitaire, de même qu’ une plus grande difficulté à se projeter dans l’avenir que les JAE hétérosexuels (Villatte, Marcotte, Aimé, & Marcotte, 2017). Les tâches développementales attendues par la société, comme le fait de fonder une famille, correspondent plus naturellement aux hétérosexuels dans les représentations sociales (Cooper, 20 Il). En raison d’ un manque de modèle familial homo parental heureux et bien établi, leur avenir est donc plus incertain à ce niveau (Cooper, 2011). Le manque de repères à cet égard comporte un risque pour la réussite de cette transition qui s’avère l’ une des plus déterminantes sur l’adaptation à l’âge adulte (Schulenberg et al., 2004). En effet, des résultats de recherche continuent de montrer les taux plus élevés de dépression, d’anxiété, d’ idéations suicidaires et de divers abus de substances psycho actives (SPA) chez les LGBQ comparativement aux hétérosexuels (Conron et al., 2010; Grant eL al., 2013; Meyer, 2003; Pitonak, 2017).
Parallèlement, les difficultés vécues par les minorités sexuelles engendrent des conséquences financières non négligeables pour la société, puisque les services en santé mentale indiquent les dépenses les plus élevées au Canada parmi les catégories de soins de santé. De plus, les JAE rencontrent les taux les plus faibles de rétention en traitement, notamment en raison du manque de fluidité et de coordination entre les services à l’enfance et à l’adulte. Les difficultés fonctionnelles du système de santé s’ajoutent à l’absence d’une offre de service adéquate pour répondre aux besoins spécifiques des minorités sexuelles (Commission de la santé mentale du Canada, 2015a).
Malgré les actions entreprises par le gouvernement jusqu’à présent, les disparités entre les hétérosexuels et les LGBQ persistent dans le temps. L’élaboration de nouvelles stratégies en matière de prévention et d’intervention s’ avère primordiale. Or, les connaissances actuelles ne permettent pas de bien saisir les enjeux en matière de santé mentale des minorités sexuelles. Cette perspective nécessite une meilleure compréhension des facteurs pouvant expliquer les difficultés d’adaptation psychosociale des jeunes LGBQ, de même que des facteurs responsables d’ une trajectoire positive d’adaptation.
Disparités entre l’adaptation psychosociale des hétérosexuels et celle des minorités sexuelles
Les disparités entre les individus hétérosexuels et LGBQ sur le plan de la santé mentale sont appuyées par de nombreuses recherches. Parmi les difficultés rencontrées, les LGBQ rapportent une fréquence plus élevée d’évènements de victimisation, ils sont plus nombreux à vivre de l’isolement social et de la détresse psychologique que leurs pairs hétérosexuels (Branstrom & Pachankis, 2018). Ils sont également deux fois plus à risque de présenter un problème de santé mentale (Meyer, 2003) et trois à quatre fois plus nombreux à présenter une comorbidité de deux troubles ou plus (Cochran, Sullivan, & Mays, 2003; Coulter, Kinsky, Herrick, StaIl, & Bauermeister, 2015). D’autres recherches ont démontré une prévalence inquiétante où les LGBQ sont cinq fois plus susceptibles de penser au suicide et sept fois plus susceptibles de faire une tentative de suicide (Center & Rodgers, 2011). Une des préoccupations particulièrement présentes dans la littérature concerne un risque plus élevé de consommer des SPA chez les jeunes des minorités sexuelles (Commission de la santé mentale du Canada, 20 15b; Grant et al., 20l3; Hatzenbuehler, Corbin, & Fromme, 2008, 2009; King et al., 2008; Marshal et al., 2008; Marshal, Friedman, StaIl, & Thompson, 2009; Pitonâk, 2017).
Les disparités avec les hétérosexuels sur le plan de la consommation de SPA émergent tôt dans la vie des jeunes issus des minorités sexuelles et s’observent dès l’adolescence (Austin et al., 2004; D’Augelli, 2002; Goldbach, Mereish, & Burgess, 2017; Hatzenbuehler, Jun, Corliss, & Bryn Austin, 2015; Saewyc, 2011). Les résultats d’ une méta-analyse signalent chez les adolescents LGBQ la présence d’ un taux presque trois fois plus élevé d’ usage de SPA comparativement aux hétérosexuels (Marshal et al., 2008), de même qu’une trajectoire de consommation qui progresse plus rapidement (Marshal et al., 2009).
Plus précisément, les résultats des recherches indiquent que les LGBQ consomment de l’alcool plus fréquemment (Coker, Austin, & Schuster, 2010; Marshal el al., 2008; Saewyc, 2011; Trocki, Drabble, & Midanik, 2005), ils expérimentent plus d’épisodes de forte consommation d’alcool (<< binge drinking ») (Dermody, 2018; MartinStorey, Temcheff, Laventure, & Lévesque, 2019; Soloski et al., 2018; Trocki & Drabble, 2008), ils sont plus nombreux à adopter une consommation à risque (Cochran et al., 2003) et ils sont plus susceptibles de développer une dépendance à l’alcool (DA) (Huebner, Thoma, & Neilands, 2015; Hughes, McCabe, Wilsnack, West, & Boyd, 2010; King et al., 2008; Marshal et al. , 2008; McCabe, Hughes, Bostwick, West, & Boyd, 2009; Saewyc, 2011). D’autre part, comparativement aux hétérosexuels, les jeunes de minorité sexuelle sont plus nombreux à avoir fait l’usage du cannabis (Goldbach, Schrager, Dunlap, & Holloway, 2015; Kerr, Ding, & Chaya, 2014; Trocki, Drabble, & Midanik, 2009), ils en consomment plus souvent (Martin-Storey et al. , 2019; Trocki et al., 2009) et ils sont plus susceptibles de développer une dépendance au cannabis (DC) (McCabe el al., 2009).
Une des limites au niveau de la littérature concerne les indicateurs utilisés pour illustrer la relation entre l’ OS et l’ usage de SPA. En effet, lorsque les données reflètent l’histoire de consommation, il est possible de constater une prévalence plus importante de consommation chez les LGBQ comparativement aux hétérosexuels. Des auteurs précisent toutefois que la majorité des LGBQ ne présente pas une consommation récente (30 jours ou moins) de SPA (Kerr et al., 2014). Les résultats d’ une étude épidémiologique (McKirnan & Peterson, 1989a) indiquent également que la proportion d’ individus qui consomment de l’ alcool abusivement à l’ âge adulte diffère peu selon l’ OS. Les auteurs mentionnent cependant que les LGBQ semblent vivre davantage de problèmes liés à leur consommation d’ alcool que les hétérosexuels (Kerr et al. , 2014; McKirnan & Peterson, 1989a). Par exemple, la consommation d’ alcool et de cannabis chez les adolescents LGBQ suivis en santé mentale augmenterait significativement la probabilité de faire une tentative de suicide ou d’ avoir des idées suicidaires (Sellers, Diaz-Valdes Iriarte, Wyman Battalen, & O’Brien, 2019).
Chapitre 1. Introduction générale |