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Des sociétés savantes muettes sur le groupe socio-rofessionnelp des marchands ruraux.
De rares études sur le sujet en comparaison de la masse d’articles analysant le monde rural à l’époque moderne.
Le premier tour d’horizon de l’historiographie se r apportant à notre étude a montré un vide relatif de la recherche historique sur les questions du commerce propre au milieu rural et sur ses principaux acteurs. Afin de préciser plus avant les recherches qui se sont penchées sur notre sujet, nous avons consulté un grand nombre de revues historiques spécialisées en histoire économique et sociale ou encore en histoire rurale. Les comptes rendus d’ouvrages, de thèses ou d’articles de ces revues spécialiséesont notamment l’avantage de rassembler en un court laps de temps un maximum de travaux relatifs au commerce rural ou à l’étude social du groupe des marchands ruraux. Ainsi avons-nous examiné des revues historiques telles que les Cahiers d’Histoire , la Revue d’histoire économique et sociale, Etudes rurales ou encore Histoire et Sociétés Rurales.
A l’issu de ce second dépouillement, nous pouvons souligner deux grandes tendances propos de l’historiographie intéressant notre recherche. La première est, une fois encore, l’abondance des travaux abordant indirectement notre thème de recherche mais par ailleurs très largement susceptibles d’éclairer ou d’enrichi nos connaissances et réflexions sur les marchands ruraux. Entre dans ce cadre l’ensemble des études sur les élites sociales ou locales dans les campagnes d’Ancien régime, sur les liens de sociabilités villageoises, sur l’importance du crédit dans les campagnes, sur les spécialisations agraires tournées vers la commercialisation, sur l’histoire des objet, sur l’ ouverture des transports, terrestres ou fluviaux ou encore sur la monétarisation réelle oufictive des campagnes…Toutes ces études sont à même d’éclairer un peu plus la figure du marchand des campagnes de l’ancienne France. En ce sens, nous souhaitons attirer l’attention sur le fait que, bien que gravitant autour de notre sujet, tous les champs de recherches précédemment cités sont primordiaux pour aborder l’analyse d’un groupe humain, dont les dime nsions ne sont pas uniquement professionnelles, mais aussi sociales, économiques et culturelles et qui, dans l’infinie complexité des trajectoires individuelles ou communes, s’interpénètrent à l’envie.
i nous avons pu recenser un grand nombre de travaux correspondant partiellement à notre sujet, force nous est de relever un second constat plus amer.
Tout comme l’analyse des premiers instruments de travail, l’étude des sociétés savantes ne révèle au chercheur qu’un nombre limité de recherches plus directement centrées sur notre sujet. Alors que, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’histoire du monde rural a connu un véritable engouement et a laissé place à une très abondante production scientifique, très peu d’ouvrages se sont penchés sur l’étude sociale des marchands ruraux.
Le commerce dans les campagnes, et notamment celui des grains, a certes suscité de nombreux travaux, mais ces derniers ont été fréquement guidés par le souci de répondre à une crise de subsistance d’une région ou d’un « pays » à un moment donné.10 Dans le même sens, les campagnes et les réseaux commerciaux qui la traversent ont été très souvent perçus comme subordonnés aux besoins des villes qu’il fallait sans cesse ravitailler en produits divers.11 Rares sont ainsi les études urbaines qui ne consacrent au moins un chapitre au ravitaillement en provenance de leurs périphéries urales, plus ou moins proches.
De la même manière, les travaux centrés sur l’économie rurale d’Ancien Régime et sur l’intégration des campagnes aux réseaux économiques, se font le plus souvent par l’entrée traditionnelle des foires et des marchés, dont lesexemples foisonnants ont été analysés dans la plupart des régions françaises12. L’écueil de ces recherches est de se consacrer à une économie dont la forme la plus visible est, par définition, limitée dans l’espace et dans le temps, comme si le commerce dans les campagnes d’Ancien Régime se limitait à ces temps forts de la vie des communautés ou des régions de’anciennel France.
Au final, il nous faut témoigner d’un nombre limitéde recherches sur le commerce rural et les marchands ruraux en tant qu’objets d’étude définis, en comparaison de la masse d’ouvrages et d’articles analysant le monde rural à l’époque moderne.
Parmi elles, la grande majorité des travaux portentsur la figure unique d’un marchand dans ses campagnes, dont les archives qui nous sont parvenues ont permis de débrouiller un peu plus l’opacité qui entourait ses trajectoires, personnelles ou professionnelles13.
Plus rares encore sont les travaux cherchant à mett re au jour les aires et structures du commerce proprement rural à l’époque moderne, permettant d’éclairer les mécanismes et les différentes échelles auxquels se pratiquait le commerce dans les campagnes14.
Si de nombreux aspects de la vie économique des campagnes ont donc été parfaitement mis en valeur, il n’en reste pas moins que des pans entiers de ce champ d’étude attendent encore l’historien qui viendra les défricher. Parmi eux, le commerce rural étudié sur le temps long et partir de ses principaux acteurs -les marchands r uraux-, semble le grand oublié de la nouvelle école des ruralistes français.
Le faible nombre d’études consacré au marchand rural est d’autant plus criant que son alter ego urbain a fait l’objet d’une somme de trav aux beaucoup plus conséquente, preuve, s’il en fallait, d’un monde urbain mieux éclairé.
Entre autres exemples : Antoine, Annie, « Les comptes ordinaires de Pierre Duchemein du Tertre, marchand de toile et seigneur dans la première moirié du XVIIIè siècle », Société Archéologique et d’Histoire de la Mayenne, Laval, 1998, 248p.
Un monde urbain mieux éclairé
A l’inverse d’une économie rurale qui échappe par de nombreux aspects à notre connaissance, l’historiographie a fait une place beaucoup plus grande au commerce propre au monde urbain. La figure du marchand urbain a, en effet, été largement étudiée par les historiens modernistes d’après guerre, dont il résulte une très riche et foisonnante bibliographie centrée sur l’importance du commerce et des commerçants en milieu urbain mais aussi sur la place majeure tenue par ces derniers dans l’économie globale de la France d’Ancien Régime.
Le nombre de parutions concernant le commerce, le commerçant et la ville ne souffre aucune comparaison avec le faible nombre d’études intéressant le commerce et les « commerçants » ruraux.
Deux grandes tendances ont ainsi soutenu les recherches portant sur le commerce et la ville à l’époque moderne. Cette dernière a en premier lieuété souvent étudiée comme le cœur d’un vaste réseau commercial aux échelles nationales ouinternationales. Ainsi les grandes villes françaises, et notamment les villes situées sur les façades maritimes du pays, ont-elles servi le Grand Commerce d’outre mers à destination des Indes du côté oriental ou des Antilles jusqu’au Canada, outre Atlantique. L’étude des artisans de ce commerce lointain (appartenant dans leur très grande majorité au monde urbain), deleur responsabilité dans la réussite ou l’étendue du Grand Commerce, de leurs modes de vies, de leurs aspirations économiques et sociales ainsi que l’impact de leur activité sur les sociétés urbaines elles-mêmes, a été menée sur la majorité des grandes places commerciales oubancaires du pays.
La multiplicité des recherches menées en milieu urbain a ainsi permis de mettre au jour la figure du marchand urbain dans ses différentes facettes, depuis la densité et l’hétérogénéité de ses activités, l’étendue de ses réseaux professionnels, sociaux ou amicaux, jusque ses ambitions et trajectoires politiques. L’étude des villes françaises à l’intense activité commerciale a, de ce fait, largement contribué à la connaissance de ces grands marchands urbains, plus élogieusement dénommés commerçants ounégociants .
Il est à noter, d’autre part, que de nombreuses études sociales ont fait la part belle à ces élites négociantes, sans attachement géographique arquém à telle ou telle ville. Si le décor urbain constitue leur toile de fond, ces travaux entendent analyser les négociants urbains pour eux-mêmes. A la suite duParfait négociant , retentissant ouvrage de Jacques Savary en son temps, de nombreux historiens modernistes se sont penchés sur la strate supérieure du groupe marchand, afin d’en éclairer les mentalités et lesmodes de vies, les multiples relations et réseaux professionnels et de parenté ainsi que la lacep tenue par ces élites négociantes dans les hiérarchies économiques et politiques locales,ou à plus grande échelle17.
Néanmoins, toutes les études concernant le commercecitadin ne sont pas tournées vers de lointains horizons marins, ni vers les membres les plus visibles de l’aristocratie négociante ». Nombre de travaux envisagent en effet le commerce urbain à travers la question du ravitaillement des communautés urbaines. La ville est ainsi perçue en fonction d’un arrière pays destiné à la nourrir, plus ou moins grand selon le poids démographique de la cité dont il est question.
Ici, le marchand urbain est particulièrement mis en valeur puisque il organise et draine à lui tout ou partie des réseaux de commercialisation des produits alimentaires ou de nécessité courante, essentiels à la vie quotidienne des sociétés urbaines.
Dans ce cadre, le nombre d’études consacré au ravitaillement de Paris et à ses marchands est proportionnel au poids démographique, politique et culturel de la capitale dans la France d’Ancien Régime18.
Si la capitale du royaume et la problématique de sa subsistance ont suscité une très forte production historiographique, ces dernières annéesnotamment, il n’en reste pas moins que la question du ravitaillement urbain s’est posée pour un très grand nombre de villes françaises, mettant sous les projecteurs des marchands urbains dont l’activité est apparue comme essentielle pour assurer le fonctionnement et la pérennité des communautés urbaines .
Plus proche de nous, René Favier dans son ouvrage Les villes du Dauphiné aux XVIIè et XVIIIè siècles a parfaitement appréhendé les différents terroirs gricolesa des villes de la province du Dauphiné, tout en soulignant l’emprise de ces cités sur les campagnes qui les environnaient.
Ainsi, que les villes du royaume aient eu besoin de grains, de farine, de pain, de fruits ou de légumes, de viande ou de poissons, de produits issu de la proto-industrie des campagnes alentours ou parfois de produits spécifiques et spécialisés , elles ne pouvaient se passer de l’entremise des marchands urbains, dont le rôle pri mordial a été maintes fois soulevé par l’historiographie contemporaine.
Au terme de ce premier tour d’horizon de l’historio graphie concernant notre sujet, il nous faut ainsi souligner la place prépondérante donnée aux marchands urbains, dont les activités et les sociabilités apparaissent mieux éclairées que celles de leurs homologues ruraux. La masse d’études centrée sur les villes dans la France d’Ancien Régime ne pouvait en effet ignorer tous ceux qui alimentaient matériellement et économiquement les communautés urbaines, donnant ainsi leurs lettres de noblesse aux marchands urbains.
Force est de constater qu’il n’en est pas de même pour les marchands ruraux. Si le visage de ces acteurs de l’économie rurale se révèle moins étudié, c’est d’abord parce que le commerce proprement rural est souvent resté dans l’ombre de son pendant urbain. Les études centrées sur le monde rural, et plus précisément sur l’intégration des campagnes dans l’économie globale d’Ancien Régime, se sont davantage intéressées aux évolutions agraires et aux transformations techniques des moyens de production, qu’à la pluriactivité des campagnes dont dépend, par définition, le groupe socio-professionnel des marchands ruraux.
Il nous faut donc, au final, constater un vide historiographique concernant notre sujet. Nous n’avons décelé qu’un seul ouvrage consacré à l’étude sociale de ce groupe d’hommes dans leurs campagnes, et les travaux portants sur le commerce proprement rural se sont révélés peu nombreux au regard de l’abondante production concernant les campagnes et l’économie française d’Ancien Régime. A travers l’historiographie rurale transparait l’idée que les campagnes de l’ancienne France n’ont abrité que des agriculteurs, petits journaliers ou grands fermiers, ou des possesseurs de la terre. Si nous savons, depuis peu, que des artisans peuplaient (parfois en grand nombre) les campagnes de la France moderne22, tel ne semble pas être le cas des marchands, qui ne trouvent que peu d’écho dans l’historiographie contemporaine. Quand nous les croisons, au détour de quelques ouvrages bibliographiques, ce sont le plus souvent des marchands itinérants, des colporteurs, parcourant la France ou l’Europe afin de puiser par le commerce des subsides que leurs terroirs ne pouvaient apporter à la mauvaise saison 23.
C’est, finalement, la perception d’une campagne imm obile, où ne régnaient que des agriculteurs, qui explique en partie l’inexistence du groupe marchand dans l’historiographie de la France rurale d’Ancien Régime.
La tradition d’une campagne immobile et l’inexistence du groupe marchand A la campagne, que des agriculteurs.
La longue tradition de l’Ecole des Annales et la mono activité rurale.
En entrant au Collège de France en 1973, Emmanuel Le Roy Ladurie intitulait sa leçon inaugurale « L’histoire immobile ». A travers ce manifeste, l’auteur dressait le bilan de plus d’une décennie d’orientation de l’école historique des Annales. Le titre employé était éminemment symbolique. Depuis les années 1960, en ffet, les historiens des « Annales » ont examiné les sociétés et leurs multiples activitésansd le temps long, en privilégiant les permanences et les grandes structures qui ont façon né les sociétés anciennes. Ils ne s’intéressaient guère à l’histoire immédiate ou auxmoments forts dans l’histoire des peuples qui, faute de recul suffisant, ne permettaient guère de les appréhender dans toute leur complexité.
L’histoire des campagnes n’a pas échappé à cette méthode historique et a également préféré l’étude des grandes structures par rapport aux oscillations conjoncturelles de l’histoire économique ou politique. En réaction aux « agitations de surface », qui avaient jusque là retenues l’attention, les historiens ont cherché, au contraire, à scruter les forces profondes qui animaient les sociétés et à donner leurs lettres denoblesses aux grandes stabilités. Si, au début des années 1970, certains historiens arguaient que cette histoire était « froide » ou immobile », Emmanuel le Roy Ladurie rappelait en 1973 qu’elle n’en avait pas moins permis de saisir les sociétés anciennes dans leur lobalitég et leur complexité, en offrant à l’historien des clefs de compréhension des sociétésdu passé.
Pour autant, les historiens ruralistes actuels émetent quelques critiques vis-à-vis des travaux issus de la tradition des Annales24, soutenant l’idée que si l’histoire large promue par les Annales fut nécessaire en biens des points, elle a malgré tout privilégié certains acteurs des sociétés anciennes et en a oublié d’autres.
Les historiens des Annales ont, en effet, largement étudié les sociétés rurales de la France d’Ancien Régime, avec pour postulat une vision structurelle statique. Dans ce cadre, les acteurs majeurs du monde rural ancien ont été passéau crible des historiens, qui ont mis en avant le poids de la terre et la prégnance des activités essentiellement rurales dans la France d’Ancien Régime. Ainsi, l’immense majorité des français vivait directement ou en grande partie de la terre et leur horizon se limitait pour l’essentiel au clocher de leurs paroisses. Le français sous l’Ancien Régime vivait donc de la terre, soit qu’il la possédait, soit qu’il l’exploitait ou les deux, concomitamment ou successivement. Depuis le Moyen Age avec George Duby, jusqu’aux prémices de la révolution industrielle qui a bouleversé les campagnes, les travaux des historiens ont avant tout cherché à saisir les différents modes d’exploitation de la terre ainsi et se sont centrés sur ceux qui la travaillaient. Le français d’Ancien Régime a par conséquent été essentiellemenassocié au laboureur ou au journalier, au fermier ou au métayer, au gros possesseur ou aumicro-possesseur foncier. Les habitants de l’ancien monde rural ont par conséquent été longtemps perçus comme étant essentiellement des agriculteurs, la terre étant, pensait-on, l’unique source de revenus pour des millions d’hommes et de femmes peuplant les villages.
Table des matières
Introduction
Remerciements
Table des abréviations
Chapitre I. : Historiographie. Bilan et état de la recherche sur le groupe socioprofessionnel des marchands ruraux
Chapitre II. : Les marchands ruraux dans les écrits contemporains : quel corpus our quelles utilisations ? Sources et outils documentaires susceptibles d’enrichir nos connaissances du groupe marchand dans les campagnes d’Ancien Régime.
Chapitre III. : Premiers résultats de recherche : Les apports des rôles de capitation
Conclusion
Bibliographie : Les marchands ruraux dans la province du Dauphiné sous l’Ancien
Régime
Chapitre I. Instruments de travail
Chapitre II. Ouvrages généraux sur l’histoire économique et sociale de la France ’Ancien Régime
Chapitre III. Pluriactivité professionnelle et diversité sociale dans les campagnes de la France moderne.
Chapitre IV. Marchands et commerce dans la France d’Ancien Régime
Chapitre V. Le Dauphiné sous l’Ancien Régime
Sources utilisées pour l’étude du groupe socio-professionnel des marchands ruraux sous l’Ancien Régime
Chapitre I. Archives départementales de l’Isère
Chapitre II. Archives départementales du Rhône
Chapitre III. Bibliothèque Municipale de Grenoble
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