Histoire naturelle de la maladie de Crohn à début tardif avec atteinte périnéale
Physiopathologie de la MC à début tardif
La pathogénie de la maladie de Crohn serait due à une interaction complexe entre une prédisposition génétique, des influences environnementales et une dérégulation du système immunitaire qui conduisent à une réaction immunitaire inappropriée vis-à-vis des antigènes du microbiote. Figure 1 Physiopathologie des maladies inflammatoires chroniques intestinales [10] Les facteurs environnementaux peuvent jouer un rôle à divers stades dans ce processus, mais n’ont pas été étudiés spécifiquement chez les patients âgés atteints de MICI. La génétique semble être moins importante dans les MC développées à âge tardif comparativement aux patients diagnostiqués à un âge plus précoce. Lorsqu’il est exposé à des antigènes, l’intestin doit distinguer les antigènes nuisibles de ceux présentant une innocuité. Cette distinction est aidée par un épithélium intestinal intact et fonctionnel, un système immunitaire inné et un système immunitaire adaptatif constitués principalement par les lymphocytes B et T qui reconnaissent les antigènes étrangers. Lors du vieillissement, la réduction du nombre de précurseurs de lymphocytes T naïfs et une capacité altérée des lymphocytes T mémoires contribuent à réduire les réponses des lymphocytes T. Cette immunosénescence liée à l’âge est associée aux changements dans la composition de microbiote intestinal et augmente le risque d’aberrations du système immunitaire et le développement de la MC. Le phénomène de dysbiose lié au vieillissement avec augmentation des anaérobies facultatifs et diminution des firmicutes et bifidobactéries est de plus, celui qui est traditionnellement associé aux MC tous âges confondus, et pourrait être impliqué dans la pathogénie de la MC du sujet âgé [11]. 26 Un autre mécanisme est évoqué dans la modification du microbiote liée à l’âge : la fragilité. C’est un syndrome gériatrique caractérisé par des réserves physiologiques restreintes et une résistance diminuée aux facteurs de stress. Elle serait associée à un intestin en profonde dysbiose. Van Tongeren et al ont constaté que les personnes âgées fragiles ont jusqu’à 26 fois moins d’anaérobies et plus d’entérobactéries que les personnes en bonne santé ou moins fragiles [12]. En outre, les patients âgés avec MC présentent une susceptibilité aux infections intestinales puisque la réponse au stress liée à l’inflammation aigue peut être altérée ou amplifiée. Une réponse immunitaire inadaptée peut augmenter le risque de fragilité puisque l’inflammation est associée à l’anorexie, la malnutrition, la perte de poids ce qui peut augmenter la morbidité et les effets indésirables.
Particularités dans la présentation clinique de la MC à début tardif au diagnostic
Le temps médian entre le début des symptômes et le diagnostic est inférieur chez les sujets âgés de plus de 60 ans par rapport aux sujets plus jeunes, avec un temps médian de 2 mois. Une histoire familiale de maladie inflammatoire chronique de l’intestin est moins fréquemment retrouvée (7%) que chez les patients plus jeunes. Comparativement avec ces sujets plus jeunes, il est retrouvé chez les patients au diagnostic tardif de MC, moins de diarrhée, de douleurs abdominales et de symptômes systémiques mais plus de saignements rectaux et de fistules anales. La peur du cancer colorectal dans cette population peut expliquer un accès rapide à l’endoscopie et le court délai diagnostique. La comparaison des caractéristiques de présentation de la MC entre les groupes 60-69 ans et ≥70 ans ne présente pas de différence significative hormis sur le sexe. Le sexe masculin est en effet plus représenté chez les 60-69 ans (45,1%) que pour le groupe ≥70 ans (31,4 %)
Particularités dans la localisation de la maladie
Chez les sujets diagnostiqués après 60 ans, selon la classification de Montréal, la localisation colique (L2–localisation colique pure et L3–localisation iléo-colique) est plus fréquente que dans les autres groupes alors que la localisation L4 (atteinte du tube digestif haut), est moins fréquente [1] [14]. La présentation clinique atypique marquée par de fréquents saignements rectaux est probablement expliquée par cette localisation colique prédominante. La comparaison des groupes 60-69 ans et ≥ 70 ans retrouve des différences dans la localisation de la maladie au diagnostic. Au diagnostic, la localisation colique pure (L2) est significativement plus importante dans le groupe ≥ 70 ans (70,7 %) que dans le groupe 60-69 ans (54,9 %). Au cours du suivi maximal, les résultats sont similaires. Figure 2 Localisation de la maladie de Crohn au diagnostic, selon l’âge chez les patients > 60 ans (n=367) comparés aux autres classes d’âge inférieures [1] Le taux de modification dans la localisation de la MC au cours du suivi est faible avec une stabilité retrouvée chez 92% des patients. Le risque cumulé d’extension de la maladie dans le groupe ≥ 70 ans est de 5% à un an, de 7,6% à cinq ans, et de 7,6% à dix ans. Dans le groupe 60-69 ans, il est de 7,1% à un an, 11,2% à cinq ans, et 16,1% à dix ans. L’extension de la maladie (de L1 ou L2 vers L3) n’est pas significativement différente entre les 2 groupes. Il n’est pas rapporté de facteur au diagnostic associé à l’extension de la maladie. 28 Le taux de lésions ano-périnéales retrouvé au diagnostic de la maladie oscille entre 3,7 et 7,8% et au cours du suivi atteint 17% des patients selon les cohortes. Le taux de fistules anales présentes au diagnostic semble significativement supérieur à celui des classes d’âges inférieures dans la cohorte EPIMAD (7% versus 3 à 5 % selon les classes d’âge). Dans la cohorte IBDSL, le taux de lésions ano-périnéales est significativement plus faible chez les sujets de plus de 60 ans que dans la population adulte (3,7 versus 8,7 %) sans que la nature des lésions ano-périnéales ne soit renseignée.
Particularités dans l’histoire naturelle de la maladie
Le phénotype initial des MC survenant chez les personnes âgées est majoritairement B1 (phénotype inflammatoire ou non compliqué) puisqu’on le retrouve chez 78 à 82,3 % des patients selon les cohortes. Le phénotype B2 (sténosant) est retrouvé dans 13,2 à 17 % des cas et le phénotype B3 (fistulisant) dans 4,5 à 5 % des cas. Les phénotypes compliqués (B2 et B3) sont inférieurs comparativement aux patients plus jeunes. Au suivi maximal, le phénotype est B1 à 69 %, B2 à 19 % et B3 chez 12 % des patients. Le comportement de la maladie dans le temps est donc stable chez la majorité des patients avec une évolution d’une maladie simple à compliquée dans 0 à 9 % des cas. La cohorte Hongroise retrouve par analyse de régression logistique, deux facteurs associés à la survenue d’un changement de phénotype à 5 ans. Ces facteurs sont la présence d’une lésion anopérinéale et la localisation non colique qui multiplient respectivement par 5 et par 2 le risque de changement de phénotype [6]. Figure 3 Modification du phénotype de la MC après 15 ans de suivi chez 367 patients diagnostiqués après 60 ans [1] 29 Figure 4 Phénotype de la maladie de Crohn au diagnostic, selon l’âge chez les patients > 60 ans (n=367) comparés aux autres classes d’âge inférieures [1]. Le risque cumulé de survenue d’une complication (phénotype B2 ou B3) est de 2,6 % à un an, 8,4 % à cinq ans et 15,4 % à dix ans chez les patients ≥70 ans ; et de 5,4 % à un an, 9,8 % à cinq ans et 15,1 % à dix ans chez les patients âgés de 60 à 69 ans. Les manifestations extra-intestinales au moment du diagnostic augmentent par 3 le risque d’évolution vers un phénotype complexe.
Particularités dans la prise en charge thérapeutique
Les sujets âgés sont sous-représentés dans les études cliniques et en particulier dans les essais contrôlés randomisés portant sur l’évaluation destraitements. L’objectif des traitements de la maladie de Crohn est d’induire et de maintenir une rémission avec une maladie cliniquement quiescente et une cicatrisation muqueuse. Il est important de prendre certains éléments en considération avant de recourir aux traitements de la MC chez les sujets présentant une MC à début tardif. Nous détaillerons les spécificités de chacun des traitements de la MC lorsqu’ils sont employés chez le sujet âgé et leur utilisation dans la pratique courante.
5-ASA (Acide 5 aminosalycilique)
Généralités
Plusieurs études in vitro et in vivo ont suggéré de multiples effets biologiques bénéfiques du 5-ASA dans la maladie de Crohn. Le 5-ASA inhibe le chimiotactisme des leucocytes par une action directe sur les cellules de l’inflammation et par l’inhibition de la synthèse de certains eicosanoïdes et de 30 l’interleukine 8. Le 5-ASA stimule également la synthèse du PPARγ et inhibe faiblement le facteur nucléaire κB ce qui entraine une régulation de la synthèse des cytokines pro-inflammatoires. La libération du 5-ASA se fait à 80% dans l’intestin grêle et le reste dans le colon. Ce traitement présente peu d’effets indésirables et est très bien toléré. Les anomalies rénales induites par le 5-ASA (tubulo-néphrites interstitielles, voire nécrose tubulaire aiguë résolutive), bien que rares doivent être dépistées annuellement en cas de traitement au long cours. L’efficacité du 5-ASA est faible dans le traitement des poussées de MC. Pour le maintien de la rémission induite par corticothérapie, l’efficacité du 5-ASA serait retrouvée dans certains sous-groupes mais est également modeste
Spécificités du 5-ASA chez le sujet âgé
La cohorte EPIMAD retrouve un large emploi du 5-ASA chez les patients présentant une MC à début tardif. Ils ont été administrés chez 73,2 % des patients avec une probabilité de les recevoir à un an de 68%, à cinq ans de 77% et à dix ans de 80%. Plus de la moitié des patients issus de la cohorte sujets âgés (MC et RCH) n’a jamais été exposés à d’autres drogues que le 5-ASA pour leur traitement. Il n’y avait pas de différence dans la prescription de 5-ASA pour les patients atteints d’une maladie iléale (L1) par rapport aux patients ayant une localisation colique (L2/L3). Le profil peu sévère de la maladie de Crohn précédemment décrit dans la population âgée et la relative innocuité du 5-ASA expliquent son utilisation importante chez ces patients.
Corticoïdes
Les effets anti-inflammatoires des corticoïdes s’exercent par la fixation de la molécule sur le récepteur cytoplasmique aux glucocorticoïdes. Ses effets sont multiples, parmi lesquels a été décrite l’activation de l’expression de la lipocortine-1 qui inhibe la phospholipase A2, enzyme clé dans la synthèse des dérivés de l’acide arachidonique (leucotriènes, prostaglandines, platelet activating factor), de l’interleukine (IL)-10 et de l’antagoniste du récepteur pour l’IL-1 (deux cytokines anti-inflammatoires), de IκB (la protéine inhibitrice du NF- κb). 31 1.1.7.2.2. Spécificités des corticoïdes chez le sujet âgé Le profil de tolérance des corticoïdes est médiocre, avec notamment chez les sujets âgés qui ont fréquemment des facteurs de risque cardio-vasculaires associés, le risque de décompensation d’un diabète ou d’une hypertension artérielle et la survenue d’effets oculaires (glaucome, cataracte) [16]. Akerkar et al ont rapporté qu’il n’y avait pas de risque accru d’infection sévère ou de mortalité associée à la corticothérapie chez les patients âgés hospitalisés atteints de MICI, mais qu’il y avait un risque plus important d’hypertension, d’hypokaliémie, de séjour prolongé et d’altération de l’état mental comparativement avec ceux qui n’étaient pas traités [17]. Ils entrainent également un risque accru d’ostéoporose et d’ostéonécrose avec des doses cumulatives élevées de corticostéroïdes. Le risque de fracture de la hanche est le plus élevé chez les patients âgés de plus de 60 ans [18]. Les corticoïdes sont pour cette raison utilisés sur de courtes périodes et leur principale indication est le traitement des poussées de MC. En cas de poussée de MC iléo-caecale localisée, selon le degré de sévérité, peuvent être utilisés le budésonide à la dose de 9 mg/j ou les corticoïdes classiques dans les poussées les plus graves. En cas de MC colique en poussée, les corticoïdes classiques sont le traitement de référence. Dans la cohorte EPIMAD, 47,3 % des patients ayant développé une MC à début tardif ont reçu des corticoïdes. L’utilisation des corticoïdes n’était pas significativement différente entre les patients de plus de 70 ans et les patients âgés de 60 à 69 ans. La probabilité de recevoir des corticoïdes était de 32% à un an, de 45% à cinq ans et de 47% à dix ans. La durée médiane d’exposition au CS était de 5,5 mois. Neuf pour cent des patients sont devenus corticodépendants et 6% corticorésistants. Les manifestations extra-intestinales au moment du diagnostic multipliaient par trois le risque d’exposition aux corticoïdes [13]. Dans la cohorte IBDSL, l’âge tardif pour la survenue de MC était significativement moins associé à l’utilisation des corticoïdes comparativement aux classes d’âge inférieures à 60 ans (38,7% contre 61,0%) [2]. Le choix de la corticothérapie chez les sujets âgés doit dépendre de l’estimation du risque d’effets secondaires, évalué principalement selon leurs comorbidités et de leurs polymédications. Ce groupe de patients peut bénéficier d’agents locaux administrés par voie orale (Budésonide), étant donné le phénotype de la MC à début tardif, une maladie moins sévère avec plus d’atteinte colique.
1. Introduction |