Dans un premier temps, afin d’inscrire la description du terrain d’investigation dans un contexte social et historique, la notion d’agriculture urbaine sera développée ci-dessous dans ses dimensions fonctionnelles, terminologiques et culturelles.
Avènement de l’agriculture urbaine en tant que loisir.
L’agriculture est une activité ancestrale, cependant sa pratique a au cours des siècles passablement évolué. Cette évolution a été particulièrement marquée au 19e siècle. La révolution industrielle a profondément changé la structure de la société. La révolution des transports ainsi que la révolution agricole ont favorisé un exode rural massif. Les travailleurs exilés de leur campagne se sont retrouvés concentrés dans les villes. Beaucoup de ces paysans devenus ouvriers ont découvert un nouveau mode de vie. Bien que contrainte par le rythme imposé par la rationalisation du travail, cette population a progressivement acquis un relatif pouvoir d’achat et du temps libre. C’est à partir de la deuxième moitié du 19e siècle qu’Alex Corbin parle de « l’avènement des loisirs » (Corbin, 1995). On voit alors se développer les jardins ouvriers et des parcs publics qui deviennent des éléments urbains associés au bien être et à l’épanouissement des citadins comme nous le suggère Scheromm. (Scheromm, 2013).
L’agriculture urbaine ses fonctions et ses dénominations
Duchemin qualifie l’agriculture urbaine de multifonctionnelle. Il a identifié huit fonctions principales à savoir : les loisirs, l’éducation, l’intégration sociale, l’aménagement urbain, l’environnement, la sécurité alimentaire, l’économie, la santé. (Duchemin, 2010). Ce professeur en sciences de l’environnement, considère l’agriculture urbaine comme étant un outil multidimensionnel pour le développement de quartiers. En effet, l’importance de chacune de ces fonctions dépend du contexte ainsi que des motivations des populations. Dans les villes des pays en voie de développement ainsi qu’au cœur des villes dévastées par les crises industrielles, l’agriculture urbaine correspond d’abord à un moyen permettant de se nourrir ou de dégager un petit bénéfice tiré de la vente de la production. Dans des régions où l’économie est plus forte, les enjeux se situent plus au niveau des interactions sociales qui en découlent. Il est nécessaire de relever que d’autres types de jardins existent au sein des villes, leur vocation étant différente, ils ne seront que peu considérés dans cette recherche. En l’occurrence, ce sont les jardins privés, le plus souvent cachés derrière des barrières à l’abri des regards ; les jardins familiaux constitués de parcelles privatives en périphérie des communes : les jardins thérapeutiques ou pédagogiques, qui apparaissent dans les hôpitaux, les homes, les établissements pour les personnes en situation de handicap et les établissements scolaires. Les types de jardins se multiplient, de sorte qu’il est difficile de s’y retrouver. Il faut dire qu’une longue liste de termes pour classifier les jardins existe depuis des siècles pour les distinguer les uns des autres selon différentes caractéristiques. « Traditionnellement, on distingue, les jardins selon… Leur utilité : production, éducation, conservation, recherche, décoration, spectacle, jardin d’agrément, jardin public… Leur emplacement : intérieur, cour intérieure, accessible… Le style : jardin à la française, jardin à l’anglaise, jardin à l’italienne, jardin chinois, jardin japonais… Mais la nouvelle vague de termes émerge plutôt en fonction des usages sociaux que l’on fait de ces jardins. » (Marcotte J.-F., 2013, p1). En particulier, ce que l’on nomme tour à tour « les jardins communautaires », « les jardins collectifs » ou « les jardins partagés » qui sont directement en lien avec des usages sociaux particuliers et qui sont le produit de processus plus larges de transformation sociale et urbaine.
Dimension contestataire du jardinage dans les sociétés contemporaines.
Si l’activité n’est pas nouvelle, cela fait quelques années qu’il est possible d’observer une transformation dans les différentes manières de la pratiquer. Les jardins prennent de nos jours une nouvelle dimension militante. Ils sont devenus des espaces où la participation citoyenne et la consultation sont encouragées. Ces nouveaux usages peuvent être reliés, entre autres, au besoin de recréer des liens à une échelle locale entre les habitants d’un quartier. La dimension collective de ces espaces reflète également le besoin d’agir ensemble pour se réapproprier un environnement en lui donnant par l’usage un caractère accueillant. Ces actions individuelles ou collectives, à la manière du street-art, s’apparentent fréquemment à de la désobéissance civile dans le sens où elles sont visibles dans l’espace public, font passer un message et que celles-ci sont réalisées parfois avec, mais aussi bien souvent sans autorisation.
Histoire et contexte du Jardin partagé de Sion
En 2013, un groupe de citoyens motivés par un même projet, celui de mettre sur pied un jardin collectif où chacun, chacune, pourrait venir librement participer à son élaboration, s’est constitué. Etiks, une plate-forme ayant pour but de regrouper des individus autour de différents projets participatifs a permis à cette nouvelle cellule de se constituer. Différentes démarches alors ont été entreprises pour trouver un terrain. Les démarches engagées auprès des autorités municipales n’ont pas débouché sur une collaboration permettant l’utilisation de terrains communaux. Cependant parallèlement à cela, des demandes ont été effectuées auprès de propriétaires de terrains privés. Une première parcelle avait été proposée en périphérie de la ville, mais pour des raisons d’accessibilité cette proposition n’a pas été retenue. Un des critères préalablement définis par le groupe était que le jardin soit accessible facilement au moyen d’une mobilité douce, donc idéalement situé près des habitations ou au minimum, relié à un système de transport public. Un autre motif qui a joué en défaveur de ce terrain était sa proximité directe avec les cultures intensives, un milieu où la présence, et donc la contamination, par des produits phytosanitaires est inévitable. Un terrain a finalement été mis à disposition par des habitants de Sion, les propriétaires ayant fait le choix de ne pas construire sur une friche dont ils avaient fait récemment l’acquisition, et cela malgré les nombreuses propositions de rachat qu’ils ont reçu de la part des agences immobilières de la place. En mars 2014, c’est une trentaine d’intéressés qui se sont alors retrouvés sur cette friche urbaine pour faire connaissance, parler de la vision qu’ils avaient d’un tel espace et de ce qui les motivait à venir s’investir dans ce projet. Par la suite, d’autres réunions ont notamment permis de créer une cohésion au sein du groupe et d’organiser la vie du jardin. Lors de ces réunions, les points suivants ont été abordés: la dimension collective de l’action, la nature des échanges et relations, les méthodes de jardinage, l’attribution de rôles et la mise en place de permanences ainsi que la définition du sens de l’action. Les plantages ont commencé sur le site au printemps 2014, ce qui représente pour les jardiniers investis dans ce projet depuis ses débuts, trois années d’expérimentation.
1. Un espace urbain en mutation |