Histoire des feux, dynamique de la végétation et variabilité climatique de l’Holocène en République de Komi

Histoire des feux, dynamique de la végétation et
variabilité climatique de l’Holocène en République de
Komi

INTERACTIONS FEUX-VEGETATION-CLIMAT DANS LES ECOSYSTEMES BOREAUX  

. Généralités Dans le contexte du changement climatique, l’augmentation et l’intensification des épisodes de sécheresse pourraient générer une modification de la dynamique des feux dans les forêts boréales (Goldammer and Furyaev, 1996). Une augmentation de l’activité de feu (en terme de fréquence, mais aussi de sévérité, avec des incendies plus intenses) est attendue, avec pour conséquences un rajeunissement des populations d’arbres, mais également une diminution du stockage de C par ceux-ci (Stocks et al., 1998) (Figure I.2). Des changements dans la dynamique de la végétation pourraient également résulter du changement de la dynamique des feux et du remplacement progressif des espèces de conifères par des espèces feuillues (Goldammer and Furyaev, 1996). Cependant, les prédictions des modèles concernant la dynamique de la forêt boréale et des feux qui en dépendent dans le contexte du changement climatique sont toujours sujettes à controverses (Randerson et al., 2006). En effet, la végétation, le climat et le les incendies changent en interagissant les uns avec les autres, rendant complexe la compréhension de la chaîne causale (Randerson et al., 2006). Les études paléoécologiques, qui font le lien entre les changements du climat, de la végétation et des incendies au cours du temps retraçent ces interactions étroites. Elles permettent d’apporter un éclairage nouveau sur des intervalles de temps particulièrement pertinents à l’échelle de la vie des arbres (jusqu’à 400 ans pour Picea sp., selon Gromtsev, 2002) et des successions végétales. Cette approche permet d’améliorer la compréhension de ces mécanismes complexes, en particulier au cours de l’Holocène (Randerson et al., 2006; Power et al., 2008; Girardin et al., 2009). De telles études ont été menées au Canada, en Alaska et également en Fennoscandie et au Danemark (e.g. Hu et al., 2006; Girardin et al., 2009, 2013; Clear et al., 2014) et pour des périodes de temps plus anciennes comme le Pliocène (Fletcher et al., 2019). Les travaux menés en Amérique du nord montrent que la fin de l’Holocène était moins favorable aux incendies de forêt (Hély et al., 2010; Ali et al., 2012). Plus précisément, durant les 3000 dernières années, le climat qui est devenu plus froid et plus humide a provoqué une diminution de la fréquence des feux au sein de la forêt boréale (Ali et al., 2012). Les données obtenues montrent également que la longueur de la saison de feux a fortement diminué à partir de 3000 cal. BP (Hély et al., 2010). Cette diminution de la longueur de la saison de feu est corrélée à la diminution graduelle de 1. l’insolation estivale (juillet et août) et à l’augmentation des précipitations annuelles (Hély et al., 2010; Ali et al., 2012). D’autres travaux ont montré que les liens entre le climat et les feux n’étaient pas toujours directs : par exemple en Alaska, une augmentation de l’activité de feu a été observée au cours de l’Holocène, en même temps que la mise en place d’un climat plus humide et plus froid (Hu et al., 2006). Cependant, durant cette période, l’expansion de Picea mariana, une espèce très inflammable explique l’augmentation de l’activité de feu (Hu et al., 2006). En Fennoscandie et au Danemark, une autre étude a mis en évidence l’impact de la végétation sur la dynamique des incendies, par l’expansion de Picea abies, espèce dite sensible aux incendies et qui associée à une faible activité de feu (biomasse brûlée) (Clear et al., 2014). L’ensemble de ces travaux met en évidence le fait que les relations climat-feu-végétation sont complexes, et nécessitent le développement de travaux de recherche retraçant ces interactions à différentes échelles d’espace et de temps.

La taïga Eurasienne 

Contrairement à l’Amérique du Nord, la Russie est une région peu documentée en ce qui concerne l’activité de feux passés et les mécanismes qui les relient au climat et à la dynamique de végétation. Pourtant, à l’heure actuelle, c’est une région qui recense annuellement de nombreux feux (entre 10000 et 30000, relevés dans les aires protégées (Goldammer and Furyaev, 1996)). L’activité de feu est particulièrement importante dans la région de Sibérie (Goldammer, 2015). Le régime des feux diffère en fonction du type de taïga. En général, la taïga sombre est associée à des feux de faible fréquence, car les espèces qui la composent sont sensibles aux incendies. Cependant lorsque les incendies se produisent, ils sont intenses et sont des feux de type couronne, brûlant les arbres jusqu’à la cime et étant généralement meurtriers (Schulze et al., 2005). La taïga claire est associée à des incendies qui ont une fréquence élevée, mais de faible intensité, caractérisés par des feux de surface, qui ne brûlent que la partie basse des troncs d’arbres et étant en général non meurtriers pour les arbres qu’ils touchent (Schulze et al., 2005). Les espèces qui composent la taïga claire sont stimulées par les incendies, qui sont bénéfiques dans leur cycle de vie (Goldammer and Furyaev, 1996), (Tableau I.1). Mais commençons tout d’abord par rappeler le contexte climatique dont sont héritées les taïgas eurasiennes. 

Contexte climatique 

De par la taille de ce continent, les régions d’Eurasie répondent différemment aux grandes tendances climatiques. En effet, durant le dernier maximum glaciaire (21000 cal. yr BP), seul le Nord-Ouest européen de la Russie a été recouvert par des calottes glaciaires (Svendsen et al., 2004) (Figure I.3), contrairement à l’Amérique du Nord qui était presque complètement recouvert d’Ouest en Est (Clark et al., 2009). Au cours du Tardiglaciaire (14700 cal. yr BP), le climat s’est rapidement réchauffé avec des oscillations climatiques rapides. L’Holocène est une période climatiquement stable, qui correspond à l’Interglaciaire actuel. Des études sur la Russie du Nord-Ouest ont montré que la première moitié de l’Holocène a été sujette à un réchauffement général des températures, en partie dû à l’impact de l’insolation et du système de circulation océan-atmosphère Nord-Atlantique (Kultti et al., 2003; Väliranta et al., 2003). Ensuite, à partir du milieu de l’Holocène (vers 5500 cal. yr BP), les conditions de températures se sont dégradées, et les précipitations ont augmentées, entrecoupées par une 7 période de réchauffement à 2000 cal. yr BP (Kultti et al., 2003; Seppä et al., 2009a). Plus à l’Est, en Sibérie, une période de réchauffement a également été enregistrée au début de l’Holocène, entre 10000 et 7000 cal. yr BP, liée à une forte insolation, suivie d’une période de détérioration des conditions climatiques de 6500 à 5000 cal. yr BP, avant une nouvelle augmentation des températures à partir de 5000 cal. yr BP, qui peut être expliquée par les effets combinés de la réduction de la glace de mer, de l’augmentation de l’activité cyclonique le long du front polaire, et de l’affaiblissement de l’anticyclone sibérien (Tarasov et al., 2007). Figure I.3 : Extension du glacier du dernier maximum glaciaire en Eurasie, il y a environ 21000 ans, d’après Svendsen et al., (2004) 

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L’écologie des taxons boréaux 

Le réchauffement caractéristique du début de l’Holocène a permis la mise en place de la forêt boréale et l’installation des espèces qui la constitue. Des zones refuges ont pu permettre le maintien d’individus de certaines espèces, au-delà de leur aire limite de répartition et ont pu permettre à ces population de se développer lorsque les conditions climatiques se sont montrées plus favorables (Gervais et al., 2002). Ainsi, des espèces pionnières comme Pinus sylvestris et 8 Betula spp. ont pu se développer rapidement. Pinus sylvestris est un taxon eurythermique (Tableau 1.1), capable de supporter de grandes amplitudes des températures et dont la répartition actuelle s’étend à toute l’Europe (Farjon, 2010). Il est caractéristique des taïga claires, tout comme Betula spp., car il est adapté aux incendies fréquents (s’adapte à des valeurs de FRI, Intervalle de retour de feu : nombre d’année entre deux évènements de feu consécutifs très faibles, autour de 30 à 40 ans) grâce à l’auto-élagage (ses branches basses tombent et ne permettent ainsi pas au feu de se propager vers sa cime), et grâce aussi à une écorce très épaisse. De plus le passage d’un feu permet l’amélioration des conditions de germination des graines de Pinus sylvestris (Goldammer and Furyaev, 1996). Un autre taxon caractéristique des forêts boréales de Russie est Picea spp. (Picea abies au niveau de la Russie européenne et Picea obovata au niveau de la Sibérie (Giesecke and Bennett, 2004; Schulze et al., 2005; Bezrukova et al., 2013). Picea spp. est également une espèce eurythermique (Tableau 1.1) et lorsqu’elle est le taxon dominant au sein d’une forêt, celle-ci est alors plutôt caractéristique d’une taïga sombre (Goldammer and Furyaev, 1996). Picea abies a lentement colonisé les forêts boréales en Eurasie dès le début de l’Holocène, par le Nord-Ouest de la Russie lorsque les populations de Picea obovata sont restées présentes en Sibérie (c’est-à-dire à l’Est du continent) au cours du LGM (dernier maximum glaciaire, il y a environ 21000 ans) puis se sont développées vers l’Ouest (Giesecke and Bennett, 2004; Tollefsrud et al., 2015; Tsuda et al., 2016). Les deux espèces se sont hybridées au cours de l’Holocène dans la région de la République de Komi (Tollefsrud et al., 2015). Picea spp. ne tolère pas les incendies, tout comme Abies sibirica et Pinus sibirica, qui forment la taïga sombre (Goldammer and Furyaev, 1996). C’est pourquoi ces espèces ne peuvent s’établir que lorsque le FRI est élevé, avec des valeurs supérieures à 200 ans, qui permettent ainsi à l’arbre de croître jusqu’à sa maturité sexuelle (jusqu’à 200-300 ans) pour générer des graines, ce qui peut arriver à un âge avancé de l’arbre, notamment pour Pinus sibirica (Goldammer and Furyaev, 1996; Kharuk et al., 2009).

Table des matières

Remerciements
Avant-propos
Sommaire
Liste des figures
Liste des tableaux
Liste des abréviations
Résumé de la thèse
Abstract
Chapitre I.
Introduction générale
1. 1. interactions feux-végétation-climat dans les écosystèmes boréaux
1.2. Objectif de la thèse et hypothèses de travail
1. 3. Les zone d’étude et stratégies d’échantillonnage
1. 4. La paléoécologie : des outils et méthodes pour reconstituer les changements environnementaux
Chapitre II. Augmentation progressive de l’activité des feux de forêt pendant l’Holocène dans la région du Nord de l’Oural (République de Komi, Russie)
2.1. Abstract
2.2. Introduction
2.3 Methods
2.3. Results
2.4. Discussion
2.5. Conclusion
2.6. Acknowledgments
2.7. Appendices
Chapitre III Le feu a-t-il contrôlé la composition de la forêt boréale de conifères dans le nord de la région de l’Oural
(République de Komi, Russie) ?
3.1. Abstract
3.2. Introduction
3.3. Materials and methods
3.4. Results
3.5 Discussion
3.6 Acknowledgements
3.7 Biosketch
3.8 Appendices
Chapitre IV Interactions entre le climat, la végétation et les incendies dans l’Oural du Nord (République de Komi,
Russie) pendant l’Holocène : une approche multi-proxy
4.1. Abstract
4.2. Introduction
4.3. Material and Methods
4.4. Results
4.5. Discussion
4.6. Conclusion
4.7. Appendices
Chapitre V. Synthèse sur les relations entre le feu, la végétation et le climat au cours de l’Holocène en République de Komi et comparaison de la dynamique de feux de la Carélie, la République de Komi et la région du Lac Baïkal
5.1 Interactions feux-végétation-climat en République de Komi et fonctionnement de la forêt boréale
5.2. La dynamique des feux de l’Holocène en Russie : République de Komi, Carélie et région du Lac
Baïkal
5.3. Conclusions et Perspectives
Bibliographie
Annexes

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