Histoire des Doctrines chrétiennes

ilhelm VISCHER: Valeur de l’Ancien Testament, Commentaires des livres de }ob, Esther, l’Ecclésiaste, le second Esaïe, précédés d’une introduction ; Labor et Fides, 1958 ; 188 p. Karl BARTH ; Petit Commentaire de l’Epître aux Romains, Labor et Fides, 195 7 ; 1 70 p.

Combien rares, les bons ouvrages de bonne théologie sur la situation d’Israël dans le temps de l’Eglise ! Plus rares encore ceux qui paraissent accessibles aux non spécialistes. Aussi faut-il signaler avec une particulière reconnaissance deux petits livres récents, destinés au grand public chrétien, qui y trouvera d’excellents principes à propos de la « Question juive » dans le temps présent. Wilhelm Vischer n’a pas besoin d’être présenté aux lecteurs de Foi et Vie ; ne nous a-t-il pas constamment aidés dans l’élaboration de ces Cahiers d’Etudes juives qui voudraient rompre avec toutes les routines, même théologiques, sans pourtant céder aux séductions de l’originalité, du sentiment ou des modes de notre temps ? Personne ne s’étonnera que ce soit dans un recueil de commentaires sur l’Anelen Testament que nous trouvions un grand secours pour mieux connaître l’Israël moderne : en définitive, c’est toujours la Parole de Dieu qui éclaire nos routes. D’autres rendront compte, mieux que moi, de r ensemble de cet ouvrage ; je me contente de souligner quelques principes et quelques développements qui concernent notre propos. Dès les premières pages de Voleur de l’Ancien Testamcnl, M. Vischer montre que le Christ étant le prêtre-roi du peuple élu, l’exégèse christologique de l’Ancien Testament – et non pas des seuls textes me~sianiques, – loin d’être arbitraire, est lil seule valable ; il insiste sur l’ espérance qui parcourt tout l’Ancien Testa ment et qu’annonce la miséricorde de Dieu : << L’Ancien Testa ment vit de son propre avenir. » Israël aussi, ne nous y trompons pas : « La prédication prophétique de la fin d’Israël, qui ressemble à un sombre nuage répandant la foudre et la grêle sur le peuple élu » [oserai-je ajouter ici : en rassmént trop aisément la conscience, voire l’animosité des Gentils à son égard] « reste toute enveloppée de la clarté du jour Je Pâques ». C’est M. Vischer qui souligne. Dans l’étude de l’Ecclésiaste, W. Vischer pose un autre principe, qui va aussi loin que le précédent : « On se trompe si l’on pense que les Juifs perdraient forcément leur caractère propre en s’ouvrant à un humanisme universaliste … Le Juif cosmopolite peut être plus juif que san frère du ghetto. » Aussi M. Vischer s’accorde-t-il avec Renan pour voir en l’Ecclésiaste un frère d’Henri Heine- voire même d’A. Koestler. Combien notre réflexion s’approfondirait si nous nous souvenions que les Juifs modernes, qui nous déconcertent tellement, sont pourtant de la parenté de cet Ecclésiaste que nous fait connaître la Parole de Dieu ! Et combien nous devrions constamment rapporter à l’Ecriture plutôt qu’à nos propres philosophies de l’histoire la tension entre le « peuple-paria ». qui souffre « pour rien » (Esaïe 52 : 3}, et le peuple saint qui doit devenir prêtre (p. 141 ; cf. p. 166) – ou le redevenir avec la nation sainte, l’Eglise … Car le message du DeutéroEsaïe, c’est Romains 11 : 11 : par la chute d’Israël, le salut parvient aux païens. C’est à cette lumière qu’il faut comprendre Esaïe 50: 1011, où la délivrance et la << malédiction » concernent aussi bien les Nations qu’Israël (p. 16 7). Fa ut-il insister sur l’importance actuelle de l’étude, dénuée de toute acerbe apologétique, d’Esaie 52 et 53 ? Les vingt-cinq pages consacrées au livre d’Esther mènent directement aux raisons mêmes qui nous font publier ces Cahiers J’Etudes juives : « Le fait que Dieu ait lié indissolublement la révélation à l’histoire juive constitue le plus grand scandale de toute la révélation bihlique. » Il faut lire, comprendre et méditer grâce à W. Vischer comment, par la croix et la résurrection, Dieu résout sans l’abolir le problème juif, parce que la potence de cinquante coudées dressée à Suse salue la croix de Golgotha pour prouver sa signification parfaite et unique. Et le livre d’Esther nous oblige à confesser que « Jésus, roi des Juifs crucifié, est Messie d’Israël pour le salut du monde ». Je ne fais qu’indiquer l’extrême richesse de ces pages, et ne puis que renvoyer à celles où W. Vischer montre comment Dieu glorifie aujourd’hui encore sa grâce dans la personne des Juifs. Le livre d’Esther conduit au mystère d’Israël selon Romains 9 à Il. c· est le commentaire de ces trois chapitres qu. on trouvera aux pages 105-137 du Petit Commentaire de l’Epître aux Romains de Karl Barth. En attendant que le lecteur français puisse se reporter aux passages de la Dogmatique qui ne sont pas encore traduits, et dont les commentateurs ont donné des aperçus parfois assez divergents, on doit regarder ces trente pages comme une précieuse introduction à la pensée de Karl Barth sur le Mystère d’Israël et les rapports de l’Eglise avec Israël. Le dirai-je ? C’est probablement un grand bien que ces pages nous soient données avant des exposés plus longs et peut-être plus techniques, car ce chapitre est à la fois inspiré par la nécessaire préci~ sion de la dogmatique et l’aussi indispensable prudence de la théologie pratique. Ce serait ridicule d’insister sur l’intérêt que nous devons porter à ces pages, et téméraire de prétendre les résumer. Je me contenterai de souligner trois ou quatre points. K. Barth prend le plus grand soin, à propos précisément des Juifs, de rappeler qu’en les endurcissant Dieu veut « les toucher et les désabuser en dernier ressort » et que « le der~ nier mot n’a pas été encore dit au sujet de ceux que Dieu a endurcis ». Puissions~nous ne pas laisser de telles remarques dormir dans nos livres. . . En dénonçant l’antisémitisme chrétien, dont il admet l’ existence sans hésiter, Karl Barth maintient le fameux aphorisme, qu’il rapporte nommément aux antisémites chrétiens (pp. 13 3-1 34) : « L’antisémitisme est un péché contre le Saint-Esprit. » La perpétuité Je la Synagogue dans l’histoire, depuis le Christ, loin d’être regardée comme un scandale, est un mystère « divin et adorable )), dont les chrétiens doivent prendre conscience « ici et maintenant ,>, sans le « renvoyer au jugement dernier ». ]e voudrais encore rendre tous les lecteurs du Petit Commentaire attentifs au sens très précis du mot « rejet » (page Il 0). Si le rejet n’est rien d’autre que la non-élection, il faut que nous sachions nous débarrasser dans ce domaine de toutes les constructions pseudo~théol~ giques de l’antisémitisme chrétien, et cela d’autant plus que le cha pi· tre IX (pp. 127 ss.) prouve qu’Israël n’est pas << rejeté >) puisqu’il demeure le peuple élu.

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Jean DANIÉLOU : Histoire des Doctrines chrétiennes avant Nicée : [. Théologie du judéo~christianisme, Paris~Tournai, Ed. Desclée et C », 1958.

Le Père Daniélou rassemble les éléments de la première expression de la pensée théologique chrétienne de structure juive, qui se caractérise par des textes apocalyptiques et visionnaires d’allure gnostique. Ce « judéo-christianisme » est donc compris au sens large, et n’implique pas forcément de lien ethnique avec la communauté juive, mais s’ex~ prime jusqu’au milieu du 11• siècle dans des cadres empruntés au judaïsme, même s’il s’agit d’auteurs venus de la Gentilité. Il faut d’abord explorer ou reconstituer les sources que les découvertes de Qumran permettent de mieux comprendre. Le P. Daniélou retrouve l’héritage littéraire du judéo-christianisme (outre les citations ou les fragments qu’on peut glaner chez les Pères) dans l’Ascension d’Isaïe, 2 Hénoch, les Testaments des XII Patriœrches, les livres V à VII des Oracles sybillins, l’Evangile de Pierre, l’Evangile selon les Hébreux, !’Apocalypse de Pierre, !’Epître des XII Apôtres, la Didachè, les Odes de Salomon, l’Epître de Barnabé, le Pasteur d’Hermas, les Lettres d’Ignace d’Antioche et, dans un « fond judéostoïcien », 1 Clément. Enfin, les Traditions des Presbytres chez Papias et Clément d’Alexandrie. Mais il y a aussi des sources judée-chrétiennes hétérodoxes. II s’agit des textes, soit judaïsants, soit gnostiques, que les récentes découvertes de Haute-Egypte ont éclairés. La seconde partie de l’ouvrage concerne le « milieu intellectuel ». Y a-t-il eu des traductions, des paraphrases et des commentaires judéochrétîens de l’A.T. ? La réponse positive permet de mieux comprendre l’utilisation de l’A.T. dans les textes du N.T., grâce à l’étude minutieuse de l’exégèse et de l’apocalyptique judée-chrétienne parmi les textes énumérés plus haut. Abordant, un peu avant la moitié du livre, la synthèse qui permet de préciser les doctrines, le P. Daniélou montre comment le développement de l’ angélologie dans le judaïsme a été utilisé par le judéochristianisme, qui a mis l’accent sur la dépossession des anges par le Christ. En ce sens, angélologie et christologie sont profondément liées, et l’arianisme s’inscrit dans cette perspective. On note l’importance trinitaire de la théologie du « Nom » pour désigner ]ésus-Christ et de la doctrine de la descente du Fils parmi les hommes à l’insu des r.nges. Le judée-christianisme a donné à la théologie de la rédemption l’article du Symbole des Apôtres sur la descente de Jésus aux enfers pour la délivrance des justes de l’Ancien Testa ment. De même, l’ascension doit-elle être regardée, dans le contexte judée-chrétien, comme une glorification du Verbe incarné. Le P. Daniélou montre combien la victoire cosmique du Christ, la théologie du mysterium crucis, caractérise la foi judée-chrétienne, au point que la croix, elle-même, devient une catégorie théologique. Prenant le relais de la réflexion judaïque sur Israël, le judée-christianisme a élaboré une théo!ogte de l’Eglise, peuple de Dieu.

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