Histoire de la maladie de Crohn
Nous avons souhaité investiguer au cours de nos entretiens, la façon dont les patients inscrivent leur maladie dans leur histoire de vie. Il apparait que le vécu de leur maladie évolue en fonction des divers moments auxquels les sujets sont confrontés aux récidives. Ainsi à travers leurs diverses expériences, le vécu des patients parait évoluer à travers différentes phases allant de l’apparition des symptômes au vécu actuel de ceux-ci. À partir du discours du patient, nous allons présenter dans cette partie l’histoire du vécu de la maladie à travers trois temps : avant l’annonce diagnostique, au moment de l’annonce, et enfin de l’annonce jusqu’à aujourd’hui. Afin de faciliter la lecture, nous avons résumé les sous thématiques relatives à ces trois temps, dans le tableau ci-dessous.
Vécu des symptômes avant l’annonce du diagnostic
La manifestation de la maladie peut revêtir plusieurs formes. En effet, certains patients de notre échantillon ont été confrontés à la maladie brutalement lors de la présence d’une crise violente de la maladie ayant abouti à une hospitalisation en urgence. De cette hospitalisation a découlé l’établissement du diagnostic. Pour d’autres en revanche, la présence de symptômes de plus faible intensité a duré dans le temps, retardant le diagnostic et entrainant une incompréhension Vécu des symptômes avant l’annonce diagnostique Incompréhension des symptômes Angoisse de mort Sentiment d’être incompris par l’entourage Vécu de l’annonce du diagnostic Soulagement de l’annonce Sentiment de maitrise Exclusion du risque létal Irresponsabilité et légitimité face aux troubles Sentiment d’être sécurisé par l’équipe médicale Choc de l’annonce L’incompréhension à l’annonce Angoisse de mort Vécu de la maladie à la suite du diagnostic Appréhension passée de la maladie Le déni de la maladie Anxieté liée à la réapparition des symptômes Apparition de manifestations dépressives Vécu émotionnel passé de la maladie Un vécu d’injustice Un sentiment de colère Honte et tabou Sentiment de solitude Sentiment de culpabilité Choc de la rechute 295 pour le sujet et son entourage. Nous allons à présent nous concentrer sur le vécu des troubles pour cette catégorie de patients. Dans l’après coup et avec leurs connaissances actuelles de la maladie, les patients ne rapportent pas de mécanismes de déni pour décrire leur appréhension des premiers symptômes. En effet les symptômes aujourd’hui bien perçus et reconnus semblent influencer les perceptions antérieures des troubles. Toutefois, les sujets mettent en avant le déni de la maladie chez leur entourage familial. Du récit des patients, transparait une forte inquiétude ressentie liée à des symptômes mal identifiés. En conséquence, certains patients ont joué un rôle actif dans l’établissement du diagnostic.
Incompréhension des symptômes
Pour beaucoup de patients, les symptômes gastro intestinaux relatifs à l’apparition de la maladie sont semblables à ceux d’une gastroentérite et entrainent à ce titre un nombre important d’erreurs diagnostiques ainsi que la mise en place de traitements ne pouvant calmer l’inflammation intestinale. Le maintien des troubles dans le temps, la douleur ressentie ainsi que la résistance de la symptomatologie aux traitements deviennent des sources importantes d’anxiété pour les patients. Les sujets évoquent l’incompréhension relative à leur état de santé somatique et les fortes inquiétudes qui en découlent. Ne parvenant pas à expliquer l’origine de ceux-ci, ils tentent en vain à travers plusieurs tests alimentaires de trouver une solution pour calmer leurs troubles. « Oui, parce qu’avoir tout le temps des problèmes de diarrhées, bon… je me disais est-ce que c’est alimentaire ou ça n’a vraiment rien à voir. C’est-àdire que je pouvais manger par exemple du riz, ça ne m’empêchait pas d’avoir des diarrhées. Je me suis dit y’a quand même quelque chose qui doit pas être normale. » Sylvie, 48 ans. L’inquiétude face aux symptômes entraine les patients à consulter leur médecin généraliste ou un gastroentérologue. En plus de la gestion de leur douleur, certains patients évoquent la souffrance liée à l’impossible identification de la maladie. La rareté de la maladie de Crohn vient en effet compliquer et ralentir le processus diagnostique. 296 « C’est vrai ça a été difficile au début les symptômes parce que bon on ne savait pas ce que j’avais. Voilà c’est surtout le fait de ne pas savoir. » Christophe, 39 ans.
Angoisse de mort
L’anxiété ressentie donne lieu pour certains à la création de scénarios basés sur la présence de maladies pour lesquelles un risque létal est présent. L’inquiétude perçue se transforme alors en angoisse de mort, menaçant l’intégrité physique et psychique des sujets. En tentant de puiser dans leur histoire personnelle, certains patients évoquent les maladies graves rencontrées par leur proche en comparant leurs symptômes à celles-ci. « Disons que mon papa… bon c’était un cancer du côlon, mais il avait des symptômes qui étaient un peu les mêmes que les miens parfois. Et comme tous les médecins me disaient que non, j’avais fait ma coloscopie et qu’on me disait que non, que ça… que ça c’était pas ça, donc euh… je savais pas trop/ c’est pareil j’avais un doute. Je me disais est-ce que c’est un cancer, est-ce que… c’était flou on va dire. » Sylvie, 48 ans. Léa mentionne la panique ressentie en amont du diagnostic devant la vision d’un corps qui ne cesse de se décharner. Nous notons que d’autres patients font également référence à l’image du zombie pour qualifier leurs représentations corporelles. En effet, l’aggravation des symptômes fait écho dans l’imaginaire au fantasme de leur propre mort et d’une entité capable de les détruire qu’ils ne parviennent pas à stopper. « Mais sur le moment, moi je ne savais pas ce qui m’arrivait, ben forcément au bout de quatre mois on est dans la panique, parce que perdre 10 kilos d’un coup, ne plus pouvoir s’alimenter je me suis dit non mais attend qu’est ce qui m’arrive. Je dois avoir quelque chose de grave pour que ça se passe comme ça. […] A ben c’est ce que je me suis dit, avant l’annonce. Parce que je me voyais dépérir à vue d’œil et je me suis dit si il n’y en a pas un qui se remue, je vais finir dans une boite quoi parce que… les semaines et les mois passaient et bon. » Léa, 31 ans.