Hétérogénéité spatiale d’un phénotype plastique.
La plasticité phénotypique est décrite comme une norme de réaction face à un environnement en changement (Stearns, 1989). Une variation de phénotype telle qu’un mécanisme de défense inductible reflète donc que la réaction des organismes à leur environnement ne se fait pas seulement génétiquement, à titre d’adaptation, d’une génération à l’autre, mais aussi momentanément. Ainsi, des pressions sélectives variables vont créer une hétérogénéité spatiale dans l’expression d’un phénotype qu’il soit plastique ou non (Endler, 1977). Il a été démontré qu’une plasticité phénotypique résultant de différentes conditions environnementales contribuait régionalement à des variations géographiques d’une réponse inductible (Trussel, 2000; Trussel et Smith, 2000). Malgré notre connaissance d’un tel phénomène, l’hétérogénéité spatiale à grande échelle reste très peu investi guée en ce qui concerne les défenses induites. Seuls Long et Trussel (2007) l’ont documentée pour la macroalgue Ascophyllum nodosum qui se défend par induction contre le gastropode Littorina obtusata en Europe mais pas sur la côte-est des États-Unis. Ils ont interprété cette variation interpopulation comme une adaptation répondant à deux critères pouvant contribuer à des variations géographiques de défenses inductibles : 1) une proie avec une vaste distribution géographique et une capacité de dispersion limitée et 2) une subséquente adaptation locale à des conditions environnementales telles l’abondance d’herbivores.
Types de stimuli de défense. Un changement de phénotype algal relié à l ‘ herbivorie peut être stimulé par différents facteurs. Le stimulus · mécanique tel que le broutage qui cause un dommage physique de l’algue, est celui qui a le plus souvent été utilisé pour induire une défense dans les études sur le sujet. Malgré que la rupture artificielle de tissus d’algue, par exemple, avec des ciseaux, permet de démontrer une induction de résistance, cette dernière a peu de sens d’un point de vue écologique et évolutif. Les résultats de l’ étude de Long et al. (2007) ont, en fait, démontré que les macroalgues possèdent une grande spécificité quant à la défense induite. Ces derniers ont établi que l’ algue F. vesiculosus se défendait contre le gastéropode L. obstusata, un brouteur spécialiste, alors que le gastéropode Littorina littorea, aussi abondant dans l’habitat, n ‘ était pas sujet au même traitement comme il est un brouteur généraliste qui représente donc une moindre menace. Cette spécificité, dont font preuve les algues dans leurs défenses, a aussi été évoquée chez de nombreuses plantes vasculaires (Karban et Baldwin, 1997). Il est rationnel d’affirmer que d’un point de vue évolutif, une plante qui investirait de l’énergie métabolique dans la production de défenses face à des menaces non-justifiées serait moins compétitive et moins apte à se reproduire que les autres individus de son espèce.
Il n’est donc pas surprenant de voir une algue ou une plante se défendre contre certaines espèces d’herbivores en particulier. Un deuxième type de stimulus qui va provoquer une résistance est celui d’ordre chimique. La reconnaissance d’un herbivore peut se faire chimiquement sans dommage mécanique comme établi par Coleman et al. (2007) qui a montré que la simple application de a-amylase, un constituant de salive de mollusque, était suffisante pour réduire la palatabilité de l’algue A. nodosum. L’étude de la communication chimique entre les plantes démontre aussi que chez plusieurs plantes dont Artemisia tridentala, un individu consommé par des insectes peut envoyer dans l’air des particules qui iront avertir les individus intra-espèce et inter-espèce environnants qu’une menace est imminente et cela va ainsi stimuler une défense à l’avance (Karban et Baldwin, 1997). Le même phénomène a été démontré chez les algues brunes qui captent l’information chimique par le médium de l’ eau pour ensuite induire une défense (Toth et Pavia, 2000).
Algues brunes et Fucus vesiculosus.
Les études sur les défenses inductibles des macroalgues ont pendant plusieurs années concerné que les algues brunes, qui ont été les premières à être identifiées comme possédant des propriétés répulsives chimiques (Van Alstyne, 1988). Par la suite, les algues vertes ont aussi été le sujet de découvertes dans le domaine alors qu’un biais favorisant les algues brunes et les algues vertes semble avoir laissé croire, jusqu’à récemment, que les résistances induites s’ y restreignaient. Si bien que dans une récente méta-analyse, Toth et Pavia (2007) ont estimé que seulement les macroalgues brunes et vertes pouvaient diminuer leur palatabilité pour ainsi réduire la consommation des herbivores les broutant. Toutefois, Rohde et Wahl (2008a) ont par la suite démontré que les algues rouges avaient aussi la capacité d’induire une résistance au broutage alors que trois espèces d’algues se sont avérées réduire leur palatabilité. Ceci confirmait donc l’évolution de ce mécanisme de défense chez les trois groupes d’algues macrophytes : les Chromophytes ou Phéophycées (brunes), les Chlorophytes (vertes) et les Rhodophytes (rouges). La répulsion des herbivores par les algues brunes a été largement associée à la production de phlorotannins diminuant la consommation d’algue (Geiselman et McConnell, 1981; Van Alstyne, 1988; Steinberg, 1988; Peckol et al., 1996 ; Pavia et Toth, 2000). Ces métabolites polyphénoliques sont en fait soupçonnés d’être responsables d’ autres fonctions métaboliques secondaires telles que la protection contre les rayons UV (Pavia et al. , 1997 ; Swanson et Druehl, 2002 mais voir Fairhead et al., 2006) et contre les microbes, les pathogènes et les épibiontes (Targett et Arnold, 1998 ; 10rmalainen et al., 2008).
Toutefois, l’incapacité de plusieurs études à démontrer le rôle anti-herbivore des phlorotannins (voir revue de Amsler et Fairhead, 2006) suggère l’apport répulsif d’autres composés chimiques (Kubanek et al. , 2004 ; Deal et al., 2003) ainsi qu ‘ un haut niveau de variation génétique intra-espèce (Jormalainen et Honkanen, 2004; Koivikko el al. , 2008). Des variations spatiales et temporelles de ces composés selon des facteurs biotiques (abondance d’herbivores) et abiotiques (lumière, nutriments) (Peckol et al. , 1996; 10rmalainen et Ramsay, 2009) et une vulnérabilité des herbivores variant selon le pH de leur intestin (Appel, 1993; Targett et al., 1995), comme les phloiotannins réagissent en milieu acide, ont aussi été suggérées comme explications à ce phénomène. À la lumière de ces multiples observations, il est aussi possible que ces phénols agissent contre les herbivores, mais en tant que produits secondaires d’activités servant d’autres fonctions , par exemple, la réparation de tissus abîmés (Hemmi et al., 2004 ; Lüder et Clay ton, 2004). F. vesiculosus est une macroalgue Phéophycée commune en milieu tempéré qui a été sujet à plusieurs études examinant ses propriétés de défenses chimiques face à différents stimuli. Geiselman et McConnell (1981) et Steinberg (1988) ont démontré que des extraits de phlorotannins de F. vesiculosus diminuaient la consommation d ‘algue des gastéropodes. Il a aussi été prouvé que la simulation de broutage par la coupe de F. vesiculosus pouvait décroître la consommation subséquente de cette algue par un gastéropode (Yates et Peckol, 1993) et un isopode (Hemmi et al., 2004). De plus, un amphipode (Yun et al., 2007), un gastéropode (Rohde et al., 2004 ; Long et al., 2007) ainsi qu’un isopode (Rohde et al., 2004) broutant F. vesiculosus ont tous démontré leur capacité à induire une résistance entraînant une réduction de la palatabilité de l’algue. La communication chimique venant d’une autre macro algue (Rohde et al., 2004) ainsi que d’un herbivore (Yun et al., 2007) a aussi été identifiée comme pouvant induire une défense à distance dans F. vesiculosus.
Rapidité de la réaction de défense.
En lien avec les différents brouteurs qui peuvent sévèrement endommager les macro algues, la dynamique temporelle d’induction de résistances anti-herbivores n’a été étudiée que très peu. Comme la plupart des études n’ont évalué la présence de réduction de palatabilité algale qu’après 2 à 3 semaines d’herbivorie (Pavia et Toth, 2000 ; Rohde et al., 2004; Long et al., 2007; Yun et al., 2007), un paramètre tel que le délai d’induction de défense a souvent échappé à la recherche sur le sujet. Pourtant, le moment entre l’identification d’une menace herbivore et le déploiement d’une résistance peut être crucial pour limiter les dommages des tissus algaux. Hemmi et al. (2004) ont démontré que ce temps de réaction pouvait être que de deux jours suite à la simulation de broutage. Toutefois, Rohde et Wahl (2008b) ont établi qu’en réponse au broutage d’ herbivores, une réduction de palatabilité pouvait apparaître après 10 à 14 jours alors que ce phénomène disparaissait 2 à 4 jours après la cessation du broutage. Cette dernière découverte illustre potentiellement l’avantage qu’est la diminution des coûts en lien avec la défense induite (voir ci-haut) comme la réduction de la résistance se fait beaucoup plus rapidement que son déploiement. Littorina littorea. L’origine du gastéropode L. littorea en Amérique du Nord a été le sujet d’ une controverse jusqu’à récemment alors qu’on n’arrivait pas à déterminer si l’ espèce était endémique ou non. Sa dispersion de Pictou, en Nouvelle-Écosse, en 1840 a été largement documentée mais des évidences (archéologiques, écologiques et historiques)
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