Les cellules souches hématopoïétiques
Les cellules souches hématopoïétiques ou Hematopoietic Stem Cells (HSC) sont présentes au sommet de la hiérarchie de l’hématopoïèse. Ces cellules indifférenciées assurent de façon permanente un renouvellement des lignées myéloïdes et lymphoïdes. Les HSC sont globalement quiescentes, c’est-à-dire en phase G0 du cycle cellulaire.
Les HSC, dites pluripotentes, sont les seules cellules hématopoïétiques capables de maintenir l’hématopoïèse à long terme et regroupent deux propriétés majeures les définissant intégralement : L’auto-renouvellement : capacité à donner naissance à une cellule identique à elle-même, La multi-potentialité : capacité de se différencier et d’engendrer tous les types de cellules sanguines. Cette dualité de propriétés est autorisée grâce à l’asymétrie qui sous-tend le mécanisme de division des HSC. En effet, cette division aboutit à deux cellules filles aux caractéristiques bien différentes : une première cellule identique à elle-même et une deuxième cellule progénitrice ayant perdu la capacité à s’auto-renouveler à long terme mais gardant la capacité de multipotence. Les HSC sont également douées d’un pouvoir de division symétrique permettant leur auto-renouvellement permanent.
La propriété fondamentale d’une cellule souche est de pouvoir reformer entièrement à elle seule l’intégralité du compartiment hématopoïétique après une irradiation létale. Afin d’étudier le potentiel souche d’une cellule, des méthodes d’expérimentation biologique ont été mises en place. C’est grâce à ces méthodes qu’ont pu être mis en évidence par la suite le potentiel souche de certaines populations cellulaires leucémiques.
Premièrement, le test de culture à long terme (LTC-IC), modèle in vitro, permet la numération des cellules souches en se basant sur leur capacité à produire une descendance myéloïde pendant au moins 5 semaines. Pour cela, une suspension cellulaire à tester en dilution limite est mise en contact sur un tapis de cellules stromales qui mime le micro-environnement des HSC. Au bout de 28 jours, les cellules sont récupérées et cultivées en milieu méthylcellulose pendant environ 10 jours. Les Colony Forming Unit (CFU) sont ensuite observées : si toutes les lignées myéloïdes sont observables sur la culture alors il est possible de conclure que la suspension cellulaire initiale contient des LTC-IC, c’est-à-dire des cellules immatures ayant un potentiel cellule souche. Il est également possible de calculer le nombre initial de LTC-IC grâce à la production moyenne de CFU par LTC-IC déterminée par un essai de dilution limite .
Deuxièmement, grâce à des xénogreffes effectuées en série chez la souris, il est possible d’évaluer in vivo la capacité de cellules hématopoïétiques à reconstituer toute l’hématopoïèse normale. En pratique, des souris ayant un syndrome d’immunodéficience combinée sévère (souris NOD/SCID) subissent initialement une irradiation et sont greffées par voie intraveineuse avec des cellules hématopoïétiques humaines. Ces dernières sont qualifiées de SCID-repopulating cells (SRC) si elles démontrent la capacité de coloniser la moelle osseuse murine, d’y proliférer et reproduire ainsi toute l’hématopoïèse. Le potentiel souche de ces cellules est affirmé, si lors d’une greffe chez une seconde souris réceptrice à partir de la première souris greffée (greffe en série), l’hématopoïèse est relancée dans la moelle osseuse murine.
L’hématopoïèse, un processus hiérarchisé
Lorsqu’elles ne se s’auto-renouvellent pas, les HSC se différencient en un progéniteur cellulaire multipotent non engagé vers une lignée cellulaire (MPP) qui, lui, engendre de façon schématique et simplifiée deux progéniteurs multipotents engagés : le progéniteur commun myéloïde (CMP) et le progéniteur commun lymphoïdes (CLP) qui sont capable d’engendrer à eux seuls et respectivement les lignées myéloïde et lymphoïde.
Le CMP donne naissance au progéniteur de la lignée granuleuse-macrophagique (GMP) et au progéniteur de la lignée érythro-mégacaryocytaire (MEP) tandis que le CLP aboutit aux différentes cellules lymphocytaires : B, T et Natural Killer (NK).
Au stade final de maturation, la lignée myéloïde regroupe les plaquettes, les érythrocytes, les granulocytes et les monocytes. Tous les précurseurs de ces cellules (blastes, promyélocytes, myélocytes, érythroblastes…) se retrouvent dans la moelle osseuse.
Cytologiquement, les différents progéniteurs ont un aspect monomorphe et sont donc non identifiables dans la moelle osseuse contrairement aux précurseurs qui eux sont polymorphes et identifiables.
Récemment, la théorie selon laquelle le modèle hiérarchique hématopoïétique humain découle d’une dichotomie restrictive myéloïde/lymphoïde a été remise en question suite à la découverte de progéniteurs lymphoïdes dont le potentiel myéloïde a été démontré. Ces nouveaux intermédiaires s’inscrivant directement dans la hiérarchie hématopoïétique ont été mis en évidence grâce à des études phénotypiques par cytométrie en flux (CMF). Une fois séparés par tri cellulaire induit par fluorescence (FACS), le potentiel de lignée de ces progéniteurs a été étudié grâce aux techniques de LTC-IC et de xénogreffes en séries.
La découverte du Lymphoid-Primed Multipotent Progenitor (LMPP) initialement chez la souris en est l’exemple phare. Ce progéniteur détient partiellement un potentiel de lignée myéloïde et assoit la théorie que les granuleux peuvent à la fois découler de progéniteurs précoces myéloïdes mais aussi lymphoïdes . De plus, grâce à des analyses phénotypiques, Doulatov et ses collègues décrivent en 2010, un nouveau progéniteur dans la hiérarchie hématopoïétique portant le nom de Multi-Lymphoid Progenitor (MLP). Ce MLP est capable d’engendrer toutes les cellules lymphoïdes mais également des cellules de la lignée myéloïde en proportion moins importante tels que des monocytes ou encore des cellules dendritiques . Le MLP, selon le modèle révisé d’Adolfsson, serait situé en aval du LMPP .
Notion de niche hématopoïétique
Le concept de niche hématopoïétique a été énoncé pour la première fois en 1978 par Schofield et al. fait suite à la démonstration que la rate était incapable de soutenir à elle seule les HSC contrairement à la moelle osseuse. Cela suggérait ainsi la présence dans la moelle osseuse d’une zone spécifique composée de cellules particulières participant au maintien et à la régulation des cellules souches .
Par définition, la niche hématopoïétique regroupe les HSC ainsi que le micro-environnement dans lequel ces cellules sont retrouvées et peut être perçue comme un espace bien défini. Des interactions cellulaires étroites y ont lieu ainsi que la sécrétion de nombreux facteurs solubles interagissant avec les cellules souches hématopoïétiques.
Plusieurs composants de cette niche hématopoïétique ont été proposés durant les dernières années : des cellules extra-hématopoïétiques comme les ostéoblastes/ostéocytes, les cellules endothéliales, les cellules stromales mésenchymateuses, les cellules de Schwann mais également des cellules hématopoïétiques comme les macrophages ou les lymphocytes T régulateurs. A travers cette niche, les HSC détiennent un support leur permettant de maintenir leur potentiel d’auto-renouvellement ainsi que leur capacité de différenciation. Grâce aux chimiokines telles que CXCR4, elles sont accrochées au stroma médullaire constitué de fibroblastes et d’adipocytes. D’une façon simplifiée, les adipocytes permettent la nutrition et la protection des HSC. Cet environnement leur offre une protection contre les agressions environnementales extérieures potentielles : effets du système immunitaire ou agents cytotoxiques.
Ces niches sont généralement localisées proches des travées osseuses et portent souvent le nom de niches ostéoblastiques. Les ostéoblastes détiendrait un rôle majeur dans la régulation de l’hématopoïèse notamment par le biais de l’activation de la voie de signalisation Notch1 impliquée dans la différenciation cellulaire des HSC .
Par ailleurs, les lymphocytes T régulateurs présents dans la niche sécrètent de l’IL-10 afin de maintenir les cellules souches proches de l’endosteum et ainsi les protéger de la clairance immunitaire en supprimant l’activation des lymphocytes T .
De plus, CXCL12 est un des facteurs majeurs sécrétés dans la niche hématopoïétique. Il aurait un rôle essentiel dans le maintien du pool de cellules souches mais également dans le maintien de leur état de quiescence dans le cycle cellulaire .
Les leucémies aiguës myéloïdes
En conséquence de l’altération de l’hématopoïèse physiologique qui bascule alors vers une hématopoïèse pathologique, un grand nombre de maladies ou hémopathies existent actuellement. Les leucémies aiguës myéloïdes (LAM) sont des hémopathies malignes agressives caractérisées par l’expansion clonale d’un précurseur myéloïde ayant perdu sa capacité à se différencier et devenant donc incapable d’achever une maturation correcte pour devenir fonctionnel. En conséquence, l’altération de l’hématopoïèse normale entraîne l’accumulation et/ou la prolifération dans la moelle osseuse de cellules immatures, dénommées blastes. Par définition, le diagnostic de LAM est posé lorsqu’au minimum 20% de blastes (sauf exceptions) sont recensés dans la moelle osseuse. Pouvant engager le pronostic vital à court terme, la LAM est une urgence diagnostique et nécessite une prise en charge thérapeutique rapide .
Ce sont les leucémies aiguës les plus communes chez l’adulte mais également celles qui ont le taux de survie le plus faible avec une survie globale à 5 ans d’environ 24% . Tout comme les cancers dits solides, ces hémopathies sont initiées par des désordres génétiques. Ainsi, plusieurs facteurs de risques ont pu être identifiés comme par exemple l’existence au préalable chez les patients d’une maladie génétique tel que le syndrome de Down, ou encore l’exposition à des agents chimiques ou physiques comme le benzène, les chimiothérapies ou les radiations. Selon le rapport Synthèse de l’Estimation Nationale de l’Incidence et de la Mortalité par Cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018 publié en 2019 par Santé Publique France , le nombre de cas incident estimé de LAM en France en 2018 est de 3428 avec un âge médian au diagnostic de 69 ans pour les hommes et de 72 ans pour les femmes. Le taux d’incidence standardisé sur la population mondiale pour cette période est de 1,2 pour 100 000 personnes années pour les hommes contre 0,9 pour les femmes ; ce taux augmentant avec l’âge.
Hématopoïèse clonale et état pré-leucémique
Certaines mutations génétiques connues pour être impliquées dans la genèse des leucémies aiguës sont détectées également chez des individus sains suggérant l’existence d’une hématopoïèse clonale pré-leucémique (26). Cet état est aujourd’hui plus connu sous l’appellation d’hématopoïèse clonale à potentiel indéterminé (CHIP).
Les gènes DNMT3A, ASXL1, TET2, JAK2, SF3B1, SRSF2 et TP53 semblent constituer un panel de gènes retrouvés fréquemment mutés dans cette CHIP. D’une façon plus générale, des mutations affectant la méthylation de l’ADN ou la modification de la chromatine ont été identifiées comme étant des événements pré-leucémiques alors que des mutations activant des voies de signalisation apparaissent plus tardivement dans la leucémogénèse .
De plus, une hématopoïèse clonale peut s’installer avec l’âge (ARCH) et est retrouvée chez plus de 10% des patients dont l’âge excède 70 ans suggérant une fois de plus que l’instabilité hématopoïétique est corrélée positivement à l’âge des patients. En fonction des scénarios clinico-biologiques, l’évolution clonale est différente.
Table des matières
INTRODUCTION
I. Hématopoïèse et Niche hématopoïétique
1. Hématopoïèse physiologique
2. Notion de niche hématopoïétique
II. Les leucémies aiguës myéloïdes
1. Définition
2. Des hémopathies hétérogènes
III. Hématopoïèse clonale et état pré-leucémique
IV. Le concept de cellules souches leucémiques (LSC)
1. Historique
2. L’hétérogénéité, une notion phare dans la définition des LSC
3. La LSC comme cellule régénératrice de leucémie (LRC) ?
V. Le suivi de la maladie résiduelle dans les leucémies aiguës myéloïdes
1. Maladie résiduelle Minimale (MRD) : définition et intérêts
2. Evaluation de la MRD par biologie moléculaire
3. Evaluation de la MRD par cytométrie en flux
4. Utilisation combinée de l’approche MRD LAIP et de l’approche LSC
5. MRD en RT-qPCR Versus MRD en CMF (approche LAIP/DfN)
MATERIEL ET METHODE
I. Matériel
1. Echantillons de moelle osseuse
2. Patients témoins
3. Patients au diagnostic de LAM et au suivi
II. Méthode
1. Pré-analytique
2. Analytique
3. Post-analytique
RESULTATS
I. Patients
1. Patients témoins
2. Patients au diagnostic de leucémie aiguë myéloïde
3. Patients au suivi de leucémie aiguë myéloïde
II. Approche LAIP/DfN
1. Détermination du seuil pour une MRD positive sur le LAIP CD7/CD56
2. Approche LAIP/DfN au diagnostic de LAM
3. Approche LAIP/DfN au suivi
4. Comparaison entre l’approche LAIP/DfN en méthode Ficoll ® et l’approche LAIP/DfN en Lyse
macrovolume
5. Approche LAIP/DfN à la rechute
6. Approche LAIP panel LA Versus Approche LAIP panel LSC
III. Approche LSC
1. Identification des HSC chez les patients témoins
2. Détermination du seuil de positivité définissant la présence de LSC chez les patients atteints de LAM au suivi
3. Approche LSC au diagnostic des patients atteints de LAM
4. Approche LSC au suivi des patients atteints de LAM
5. Approche LSC à la rechute d’un patient atteint de LAM
IV. Suivi de la MRD en biologie moléculaire des patients de l’étude
V. Distinction fragile entre HSC et LSC, difficulté conceptuelle ?
DISCUSSION
I. Pré-analytique
II. Analytique
1. Standardisation et réglage du cytomètre
2. Robustesse du panel LSC
3. Sensibilité et spécificité analytiques
III. Post-analytique
1. Approche LAIP
2. Approche LSC
IV. Applicabilité des approches de la MRD dans les LAM au CHU de Caen
1. Difficultés organisationnelles
2. Proposition de panel au CHU de CAEN
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE