GRH GESTION D’UNE RÉFORME HUMAINE
Le problème, c’est que les employés ne suivent pas les règles et procédures. Ils ne les connaissent pas, ils suivent leur intuition, leur opinion, ce n’est pas professionnel. Le DJB a la capacité financière, l’argent n’est pas le problème. Le problème, c’est la gestion : il n’y a pas assez de personnes qualifiées, ils ont besoin d’expertise et de motivation. Ils ont une quantité énorme de personnel, cette compagnie résout les troubles politiques par l’embauche : dans chaque couloir, il y a six-sept personnes qui sont juste assises là… Et les technocrates sont dans leur zone de confort, ils ne veulent pas changer. Avec cette attitude au sein de l’organisation, on ne peut pas espérer de changement dans la fourniture du service. (consultant pour le DJB, JICA, 17/08/2011) Si un ingénieur pense que les quartiers irréguliers ne devraient pas être raccordés, quelles que soient ses raisons, il peut mener le projet avec suffisamment de mauvaise volonté et de réticence pour que le raccordement se déroule avec difficultés et n’ait pas les effets escomptés. À l’inverse, un employé convaincu du bien-fondé de l’extension des réseaux, quel que soit le contexte technico-social, travaillera avec motivation pour faciliter la viabilisation. Ces attitudes dépendent d’opinions personnelles, d’incitations sociales et politiques, d’injonctions professionnelles difficiles à démêler. Il y a de bonnes raisons de penser que la culture d’entreprise joue un rôle déterminant en fournissant aux employés des outils cognitifs, techniques et organisationnels pour remplir leur mission. Pour cela, en amont, les entreprises elles-mêmes doivent être incitées et/ou prêtes à intervenir dans les quartiers irréguliers. Dans les villes en développement, la gouvernance des services essentiels est particulièrement complexe et politisée en raison des enjeux sociaux sous-jacents et il est par conséquent parfois difficile d’identifier celles des injonctions qui guident l’action. C’est le dernier type d’incertitude à laquelle sont confrontés les professionnels : celle causée par la confusion sur les jugements et les valeurs à l’œuvre, où l’absence de plan urbain laisse la place à plusieurs interprétations et orientations possibles pour le développement urbain. Dès lors, la manière dont les entreprises et leurs employés se saisissent de la signification sociopolitique de la viabilisation, l’interprètent et la traduisent en termes opérationnels pour la transformer en action concrète devient déterminante.
Bien que cette recherche ne porte pas sur les motivations qui sous-tendent la viabilisation, cette thématique s’est progressivement imposée lors des entretiens : les opinions relatives aux services essentiels et aux quartiers irréguliers, dans un cadre de conception de l’intérêt général, sont aussi une clé de lecture des modalités sociopolitiques et cognitives de la viabilisation. L’incertitude relative aux valeurs est d’une nature différente de celles relatives à la coordination des acteurs et à la gestion du temps : elle provient de la confrontation d’idées, de positions et de réactions plus difficilement tangibles. Christensen (1985) décompose cette incertitude en une matrice où se croisent l’accord et le désaccord sur les fins et sur les moyens d’action ; en fonction des configurations, la planification relèvera de la programmation, de l’expérimentation, de la négociation ou du leadership (Schéma 11). Dans nos cas, la fin est évidemment celle de la viabilisation de l’urbanisation irrégulière, mais elle peut donner lieu à des désaccords ; quant aux moyens technico-gestionnaires, nous avons vu qu’ils peuvent eux aussi être controversés. Dès lors, trois questions se posent : d’où viennent et comment sont définis les objectifs ? Sont-ils appropriés par les acteurs pour s’orienter ? Enfin, les moyens pour les atteindre sont-ils adaptés ? De manière générale, nous assimilons l’engagement des entreprises de services dans les quartiers irréguliers à une action de responsabilité sociale : il s’agit de positionnements qui dépassent le cœur de métier conventionnel (Brammer et al. 2007) et charrient des idées de justice envers des tiers (Rupp 2011). Une analyse multiniveau de la RSE permet de distinguer différents motifs qui interagissent aux niveaux international et national, au niveau meso de l’entreprise et au niveau des employés (Aguilera et al. 2007), sur la base desquels les acteurs vont ou non adhérer et s’engager à mener une action à valeur sociale qui s’éloigne de leurs pratiques traditionnelles.