GREFFAGE DE FILMS ORGANIQUES PAR
POLYMERISATION RADICALAIRE
Les techniques de greffages covalents
La polymérisation plasma
La polymérisation plasma, connue depuis plus de 50 ans, conduit à la déposition de revêtements polymères solides1-4. On sait depuis la fin du XIXe siècle que des composés organiques dans un plasma de décharge forment un dépôt solide aux propriétés tout à fait particulières. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que ce type de matériau formé dans un plasma est reconnu comme polymère et le procédé d’élaboration appelé « polymérisation plasma ». Il s’agit donc d’un procédé de préparation de matériaux, le plus souvent amorphes, sous forme de films d’épaisseur supérieure à 1 µm. Il est à noter que les matériaux résultants sont très différents des polymères conventionnels. Sous l’action d’une décharge, des molécules, polymérisables ou non, transportées sous forme gazeuse sont excitées et forment des espèces réactives. De fortes liaisons chimiques, supposées être formées entre les espèces réactives produites à l’intérieur du plasma et la surface du substrat, mènent à des films hautement adhérents. Puisque la décharge incandescente est un procédé très énergétique, les vapeurs ou gaz organiques non polymérisables qui ne sont pas considérés comme étant des monomères pour une polymérisation conventionnelle peuvent être utilisés dans le cadre d’un traitement par plasma. En effet, des radicaux libres sont générés quelle que soit l’espèce organique de départ et le dépôt final est très différent d’un film de polymère conventionnel préparé par une technique usuelle : chaînes de polymère ramifiées, terminées de façon aléatoire avec un haut degré de réticulation et ne contenant pas d’unités de répétition régulières. De plus, dans certains cas, la recombinaison subséquente de radicaux libres restés piégés à l’intérieur de la structure hautement réticulée entraîne un vieillissement prématuré des revêtements. Les applications industrielles de la polymérisation plasma sont larges : protection contre la corrosion, revêtements résistants aux rayures et des applications d’anti-soiling (contre l’encrassement). Malgré les nombreuses améliorations apportées à cette technique, par ailleurs coûteuse, les dépôts obtenus restent peu contrôlés tant en termes d’épaisseur que de la nature du dépôt.
Polymérisation amorcée sur/à partir de la surface (Surface-Initiated Polymerization)
La modification de substrats plans par le greffage de polymère peut se faire selon deux approches principales : le « grafting to » (GT) et le « grafting from » (GF). Il existe également une troisième approche de greffage sur support plan appelée « grafting through ». Cette méthode, que nous ne développerons pas ici, consiste à immobiliser sur la surface, lors d’une étape préalable, des molécules de monomère. Après amorçage de la polymérisation en solution, la propagation peut avoir lieu aussi bien avec des molécules de monomère libres que sur les doubles liaisons greffées. Les chaînes de polymère ainsi obtenues sont liées à la surface par plusieurs points et non par une liaison unique comme c’est le cas du « grafting to » ou du « grafting from ». Dans les méthodes de GT, les chaînes de polymère sont amorcées en solution et réagissent ensuite avec des groupements fonctionnels sur la surface immobilisés dans une étape préalable. Les techniques de GT sont donc limitées par la diffusion des chaînes de polymères et la difficulté de celles-ci à s’intercaler au travers des chaînes déjà accrochées sur le substrat. De ce fait, la méthode de GT mène, généralement, à de faibles densités de greffage des couches de polymère. En comparaison, l’approche par GF permet, dans certains cas d’atteindre des densités de greffage de brosses de polymère élevées puisque la polymérisation est amorcée sur la surface à partir de précurseurs moléculaires préalablement greffés. Cette méthode, aussi appelée Surface-Initiated Polymerization (SIP), conduit, le plus souvent, à la formation de brosses de polymère, c’est-à-dire des chaînes de polymère linéaires densément greffées au substrat par une des extrémités de chaîne. L’avantage du GF réside dans le fait que n’importe quelle technique de polymérisation en chaîne peut être adaptée à la SIP5 dès lors que les précurseurs d’amorceurs de polymérisation sont préalablement immobilisés sur la surface. L’immobilisation par voie chimique des amorceurs procède essentiellement par dépôt de monocouches organiques (cf Annexe I) ou par formation de films de Langmuir-Blodgett (cf Annexe I). Voici les différentes voies de polymérisation en chaîne adaptables à la SIP6 : – Polymérisation radicalaire conventionnelle7,8 ; – Polymérisation radicalaire contrôlée9 ; – Polymérisation vivante10 (anionique11-13, cationique12,14 et par ouverture de cycle (ROP)15-17) ; – Et enfin polymérisation par ouverture de cycle par métathèse18-20 (ROMP). Dans cette partie, nous ne présenterons que les différentes voies de polymérisations radicalaires conventionnelle et contrôlée. En outre, bien que les techniques de SIP soient applicables aux surfaces particulaires, notamment sur les particules de silice colloïdales, nous nous restreindrons, ici, au cadre des surfaces planes inorganiques. a) Polymérisation radicalaire conventionnelle Les amorceurs de polymérisation radicalaire classiquement utilisés en solution sont les peroxydes et les azoïques. Prucker et Rühe7,8 ont été les premiers à synthétiser des brosses de polymères à partir de monocouches de dérivés de l’AIBN (azobisisobutyronitrile). Dans le cas de monocouches de chlorosilanes sur wafers de silicium (SiO2) ou de thiols sur or, les molécules d’amorceurs sont respectivement fonctionnalisées par un groupement chlorosilané21 ou un groupement thiolé. Une fois la monocouche d’amorceurs greffée sur la surface, la polymérisation radicalaire est amorcée à partir de la surface par activation thermique ou photochimique22. De cette façon, Dyer et al. 23 ont greffé des brosses de polyacrylonitrile amorcé à partir de SAMs d’un dérivé thiolé de l’AIBN activé à température ambiante par voie photochimique sous un rayonnement d’une longueur d’onde de 300 nm. Advincula et al.24 ont, quant à eux, travaillé à partir d’un dérivé chlorosilane de l’AIBN pour amorcer la polymérisation du vinylcarbazole par voie thermique (50 – 60°C) sur ITO (Indium Tin Oxide). b) NMP amorcée à partir de la surface (SI-NMP) Les trois principaux mécanismes de contrôle d’une polymérisation radicalaire sont basés sur un équilibre dynamique entre chaînes dormantes et chaînes actives. Dans le cas de la polymérisation radicalaire contrôlée par les nitroxydes (ou NMP pour Nitroxide Mediated Polymerization), l’équilibre repose sur des réactions de terminaison réversibles à partir d’une alcoxyamine capable de se dissocier thermiquement en un radical carboné amorceur et un radical nitroxyde stable. Hussemann et al.10 ont été les premiers à appliquer la NMP à la SIP en 1999. Ils sont parvenus à greffer des brosses denses de chaînes de polystyrène (PS) à partir de l’immobilisation d’alcoxyamines dérivées du TEMPO (2,2,6,6- tetramethyl-1-piperidinyloxy). Le caractère vivant de la polymérisation a été amélioré en ajoutant l’amorceur alcoxyamine libre en solution afin d’augmenter la concentration globale de TEMPO libre. La nature vivante du polymère greffé a ensuite été vérifiée par un réamorçage des chaînes greffées conduisant à des brosses de copolymères à blocs. Plus tard, Devaux et al.25 ont obtenu des densités de greffage plus élevées pour un système équivalent en immobilisant l’alcoxyamine par la technique de Langmuir-Blodgett (cf Annexe I). Le contrôle du dépôt des amorceurs est un point clé pour augmenter la densité de greffage ainsi que le caractère vivant/contrôlé de la polymérisation (amorçage et croissance simultané des chaînes de polymère). c) ATRP amorcée à partir de la surface (SI-ATRP) La polymérisation radicalaire contrôlée par transfert d’atome (ou ATRP pour Atom Transfer Radical Polymerization) est de loin, la technique la plus largement appliquée à la SIP sur une grande diversité de substrats incluant les surfaces planes, les particules et les matériaux poreux. L’ATRP, comme la NMP, implique une terminaison réversible (activation – désactivation réversible des chaînes de polymère en croissance) en présence d’un catalyseur de cuivre. Les amorceurs communément utilisés en ATRP sont des espèces halogénées (Br ou Cl). L’exemple le plus ancien de SI-ATRP remonte à 199826. Dans cet exemple, la croissance des brosses de PMMA est amorcée à partir d’un amorceur d’ATRP immobilisé par la technique de Langmuir-Blodgett. Après 12h, l’épaisseur des films est égale à 80 nm et le caractère vivant de la polymérisation est prouvé par des indices de polydispersité (Ip) faibles et une linéarité entre masses molaires et conversion. Brittain et al. ont également synthétisé par ATRP des brosses de copolymères à blocs de polystyrène-b-polyacrylates à partir de monocouches de chlorosilanes sur silice . Des études théoriques et expérimentales ont également démontré l’importance de la densité de greffage de l’amorceur sur la conformation des chaînes de polymères résultantes de la SIP (« brosses » ou « champignons »). Il a été démontré que l’épaisseur du film de polymère augmente avec la densité de greffage de la monocouche d’amorceurs sur silice. Par ailleurs, le seuil de transition des régimes « champignons » – « brosses » se produit pour une densité de greffage égale à 0,0065 chaîne/nm2 . D’autres études similaires menées par Huck et al.28 ont également démontré qu’une seule chaîne de polymère greffée était crée pour 10-12 molécules d’amorceurs immobilisées, preuve d’une faible efficacité d’amorçage. Depuis peu, une nouvelle voie d’immobilisation des espèces amorceurs a été mise au point par Matrab et al. à partir de la réduction électrochimique de sels d’aryldiazonium bromés29 (cf § I.2.2.4). Des sels de diazonium de structure analogue à celle d’un amorceur classique d’ATRP en solution sont greffés de façon covalente sur le substrat. Cette technique d’immobilisation des amorceurs par électrogreffage offre plusieurs avantages : – Greffage covalent des amorceurs ; – Résistance de la couche d’amorceurs à haute température et aux ultrasons ; – Accès à une plus grande diversité de substrats (autres que silice et or). La gamme des métaux est ainsi élargie aux fer29, nickel, zinc, cuivre. Il est également possible de fonctionnaliser du carbone vitreux30, des nanotubes de carbone31 ou encore du diamant . Le caractère contrôlé des chaînes de polystyrène greffées a été vérifié (faible Ip et évolution linéaire de la masse molaire moyenne en nombre avec la conversion). De plus, la présence d’extrémités vivantes Br a été confirmée par spectroscopie XPS. Contrairement aux autres techniques citées précédemment, l’efficacité de l’amorçage est suffisante et il n’est pas nécessaire d’ajouter d’amorceur libre en solution.
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