Graphique et action

Graphique et action

Grâce aux travaux récents de la psychologie, nous pouvons établir un lien entre graphique et action au travers de la notion de tâche. Comme nous l’avons vu précédemment, les graphiques sont d’autant plus efficaces qu’ils sont adaptés à la tâche pour laquelle ils sont utilisés. Les psychologues ont ainsi étudié le lien entre la performance pour une tâche donnée et le type de représentation disponible. Les théoriciens en sciences cognitives parlent de « cognitive fit » (Vessey, 1991). Nous restons cependant au niveau d’un graphique conçu pour l’action, mais pouvant être conçu avant l’action. L’approche sociologique et managériale nous donne des informations sur ce qu’est un graphique mobilisable et flexible dans l’action. Suchman (1990) établit ainsi une distinction entre le plan conçu dans l’action et un plan prédéterminé. L’auteur évoque également le rôle du tableau dans l’échange entre chercheurs au moment de la production scientifique. Schön (1983) prend l’exemple d’un architecte pour illustrer l’importance du graphique dans la création d’un « monde virtuel » qui permet la réflexion dans l’action. Cette dernière constitue une nécessité pour Schön lorsque la « rationalité technique » est insuffisante, à savoir qu’il n’est pas possible de tout spécifier avant l’action. La construction du problème (« problem setting ») se fait dans l’action en raison de l’incertitude et d’un certain degré d’unicité du problème. Nous avons structuré la revue de littérature sur les graphiques et l’action en gestion selon quatre axes : le graphique comme langage permettant l’action collective, une formalisation nécessaire à l’action, un « monde virtuel » pour la réflexion dans l’action et une représentation qui incite à l’action. A. Un langage pour une action collective Si les sciences de gestion peuvent être considérées comme « une théorie de l’action collective » (Hatchuel, 2000), la question de la coordination entre les individus devient primordiale et le langage se situe alors au centre des préoccupations de la gestion (Girin, 1990). Le langage graphique constitue une catégorie particulière de langage qui présente la caractéristique d’être facilement compréhensible d’un grand nombre de personnes. Elle peut être considérée une « écriture universelle » (Dagognet, 1998, p. 150) dans la mesure où les personnes ont naturellement recours au graphique. Elle facilite la communication entre des personnes ne parlant pas la même langue verbale, ce qui est appréciable avec la diversification des conseils d’administration (Hambrick, Davison, Snell et Snow, 1998 ; Snell, Snow, GDavison et Hambrick, 1998) et de manière générale avec l’internationalisation des entreprises. Il existe d’autant moins de limites à son emploi qu’il constitue une ressource très utilisée dans l’enseignement de la gestion en raison notamment de son pouvoir pédagogique (Mayer et Gallini, 1990). Ceci peut en outre s’expliquer par la généralisation de l’utilisation de PowerPoint, qui facilite la conception de graphiques ou la récupération de ceux-ci sur d’autres documents électroniques. Cet outil de communication a certainement participé à la familiarisation avec un certain langage graphique et suppose actuellement que tout le monde le connaisse : « the genre we focus has recently become pervasive in multiple sheres of communicative activity (business, education, government, etc.), and is popularly referred to as “the PowerPoint presentation”. Virtually everyone who works in an organization today is familiar with the bullets, formats, templates, and clip art that comprise the visual presentations associated with this genre » (Yates et Orlikowski, 2007). Dans l’action, toute inscription a son importance dans la mesure où elle permet de laisser une trace et de stabiliser un propos (Schön, 1983). Nous avons déjà évoqué cette idée avec Goody, mais cela prend une importance nouvelle dans le cadre de l’action, puisque les acteurs disposent de deux modalités d’interaction : d’une part la prise de parole et d’autre part la possibilité d’inscrire quelque chose au tableau (Suchman, 1990). L’importance du graphique, et en particulier du schéma, dans ce cadre vient de sa plus faible structuration par rapport à un texte et de la plus grande aisance d’ajouter ou de retirer des éléments sans qu’il faille revoir forcément la structure de l’ensemble du graphique. Avec le texte, il n’est pas possible de modifier une partie de celui-ci sans devoir décaler le reste du texte. L’aspect séquentiel de ce dernier se révèle en effet très contraignant. S’il faut revoir certaines causalités, il suffit, sur un graphique, de rajouter une ou plusieurs flèche(s) et d’en enlever une ou plusieurs. En revanche, dans le cas d’un texte, il convient de revoir des formulations à des endroits différents, dans la mesure où ces causalités auront été expliquées et où il sera avéré qu’il est impossible de les placer simultanément au même endroit dans le texte et que cela peut changer le sens du reste du texte. Ainsi, en explicitant beaucoup plus avec ce dernier, on le rend moins flexible qu’un graphique. Cette utilisation différente de l’espace dans le cas du graphique et dans celui dutexte permet une souplesse dans l’interaction entre les individus. Cela sert à créer un « espace interactionnel partagé » (Suchman, 1990, p. 163) dans le cadre duquel plusieurs personnes 345 peuvent inscrire des informations au même moment. Chacune d’entre elles peut rajouter un « rond » et une « flèche » là où elle considère que son expertise lui donne l’autorité pour le faire. Cela permet une plus grande souplesse que dans le cas d’une liste, dans la mesure où il n’y a pas besoin de décaler des termes parce que nous considèrons qu’il existe une proximité de sens, de valeur entre certains termes. Avec le graphique, nous ne sommes pas astreints à respecter une règle implicite d’horizontalité ou de verticalité entre les éléments. Si un ensemble comporte plus de termes que prévu, alors il est toujours possible de l’agrandir dans un sens ou un autre selon les contraintes d’espace de notre représentation sur le support utilisé. Nous avons dessiné plusieurs ronds en relation et finalement nous souhaitons inscrire davantage de concepts dans l’un des ronds que celui-ci ne peut en contenir. Nous pouvons agrandir ce rond, quitte à ce qu’il devienne une autre figure si l’aspect circulaire n’a pas un sens propre. 

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Le schéma : une formalisation nécessaire à l’action

Nous avons vu que le mot « schéma » peut être utilisé dans le cadre de la notion de « schéma directeur », lequel constitue un « document administratif à caractère prospectif, utilisé en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire » (Chapuisat, 2005). Ce terme devient alors synonyme de cadre général de réflexion et d’action avec un certain nombre de règles formalisées. Ce sens est lié à la notion de plan dans le management stratégique. Il possède un « caractère plus formel, plus détaillé et plus abouti que la vision » (Koenig, 2004, p. 69). Le plan présente un degré de formalisation qui peut être trop important, qui risque de figer les choix et de rendre ainsi toute remise en cause de la stratégie impossible. Le schéma 346 doit constituer un compromis entre la vision qui est trop évasive et une représentation qui est trop formalisée. Il doit ainsi s’apparenter à une formalisation souple, susceptible de remise en cause, et qui ne contient qu’un ensemble limité de relations. Il doit éviter d’être synonyme de « planification » au sens péjoratif qui lui est attribué depuis les années 1980 : « le schéma de Steiner pour la planification dans une très grande entreprise dissipe tous les doutes que l’on pourrait avoir sur l’appartenance du modèle de Steiner à l’école de la planification : il comprend plus de 130 encadrés » (Mintzberg, 1994, p. 67). La mise en forme opérée avec le graphique doit en outre éviter le choix inverse d’une trop grande pauvreté de l’information représentée. Un moyen de préserver la richesse du graphique pour montrer des situations complexes, incertaines, présentant une certaine unicité est d’avoir une richesse des symboles utilisés et donc des dimensions mises en évidence. N’utiliser qu’un type de « rond » et de « flèche » conduit à une analyse assez pauvre, puisqu’articulée autour d’une seule dimension. Nous ne montrerons alors que des flux de biens entre entités physiques, des flux d’information (en montrant uniquement le système d’information de l’entreprise) ou encore la chaîne de commandement. De plus, le risque est de se tourner automatiquement vers les modèles connus. Par exemple, à la demande : « représentez moi une organisation », la réponse de ceux qui ont suivi un enseignement en gestion se présente généralement sous la forme d’un organigramme (Bilton, Cummings et Wilson, 2003). En offrant de nouveaux symboles servant à représenter des concepts liés à l’activité, et non pas seulement liés à la structure, comme un collectif, un réseau, un nœud de relations, une chaîne d’activités, se distingue une nouvelle approche de l’organisation et de ce qu’elle peut faire (Mintzberg et Van der Heyden, 1999). La question qui se pose à ce niveau est celle d’une formalisation suffisante d’une part pour rendre concret l’objet sur lequel nous travaillons et d’autre part pour rendre possible la remise en cause de ce qui a été dessiné. Il ne faut pas que le graphique donne l’impression que les tracés sont devenus irréversibles. L’autre question que nous venons d’étudier se rapporte à la richesse du graphique afin que nous puissions garder une certaine complexité du problème étudié. Le graphique utilisé dans l’action est celui qui donne à réfléchir, qui favorise l’imagination. Si le problème est connu par avance, alors un graphique limité à la prise en compte d’un petit nombre de variables et conçu précédemment à l’action est possible. L’idée 347 d’une formalisation dans l’action est donc celle de ne pas contraindre la réponse avant l’action, de laisser ouvert le problème, voire même de le définir dans l’action. Nous retrouvons cette idée dans les propos de Suchman (1990 [1988]) sur le plan. Le graphique dans l’action doit être un « construit de sens commun ».

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