Gouvernance territoriale et participation citoyenne
LES DRIVES DE LA GOUVERNANCE
LES DERIVES DE LA GOUVERNANCE OU LE DETOURNEMENT DU DEBAT PUBLIC
Il s’agit généralement de la récupération du débat public et l’accaparement de certains processus décisionnels par des supposés mandataires ou représentants de la société civile voire des populations de manière globale. En effet, malgré les efforts d’implication de différents acteurs dans la prise de décision, il semble que ce soit plutÙt des lobbies ou des groupes d’intér’ts bien organisés qui, par des moyens captieux, tirent le meilleur profit des processus décisionnels ouverts pour satisfaire des visées autres que celles des populations locales qui sont très souvent peu représentées. Les exemples sont éloquents dans le cas de la gestion des risques concernant les populations les plus exposées ; l’aménagement urbain, les habitants des quartiers défavorisés. Ainsi, il n’est pas rare de voir des projets ambitieux auxquels adhèrent les populations d’une localité complètement bloqués voire sabordés, ou encore que d’autres projets risqués soient conduits dans la plus grande ignorance des intér’ts des membres d’une collectivité. Ce qui entraÓne de ce fait des manifestations de mécontentement tels que les phénomènes ´ N.I.M.B.Y. ª (Not In My Back Yard : mouvement de contestation, d’opposition soit à des projets à fort impacts environnementaux, soit à tout autre type d’activités voire de discours rejetés par un groupe/mouvement social, l’opinion publique locale, nationale). Un autre risque de captation du débat public est relatif au développement de la fonction de porte-parole de mouvement associatif, de groupe social ou par la fonction de producteur d’expertises. C’est d’autant plus risqué quand il n’existe aucun mécanisme garantissant un feedback vers les populations dont on porte la voix ou au nom desquelles des expertises sont produites. Le sentiment que les discours sur la transparence démocratique, les processus participatifs et la démocratie participative ne sont qu’un leurre, est grandissant. De ce fait on assisterait, parallèlement, davantage à une restructuration ou à une résurgence des politiques traditionnelles qu’à une réelle mise en úuvre de politique de bonne gouvernance. On assiste alors à un double mouvement qui part, d’une part, du développement d’une très large confusion entre processus participatif et démocratie représentative ce qui supposerait que les objectifs et les attentes pouvaient ‘tre de m’me nature. D’autre part, apparaÓt un fréquent découplage entre les discours et les réalités – entre les consultations et les décisions, entre les décisions et leur mise en úuvre, entre les procédures formelles et les négociations informelles, entre les expériences de délibération et la démocratie représentative avec comme présupposé qu’il existe de plus en plus des difficultés à articuler la politique de l’opinion et les grands choix stratégiques sur les problèmes. Bref, selon Thieys, il semble se dégager l’idée que les formes participatives ou délibératives de gouvernance sont le plus souvent cantonnées soit à une fonction d’alibi, soit à un rÙle symbolique, ou à la gestion des crises dès lors que « les jeux sont faits », ou lorsque les décisions sont marginales et les pouvoirs publics fortement délégitimés.
LES RISQUES D’UNE GOUVERNANCE A OUTRANCE : L’IMPUISSANCE ET LA CONFUSION DES RESPONSABILITES
Les critiques les plus virulentes concernant les nouvelles formes de gouvernance s’attaquent surtout à l’efficacité de cette dernière. La gouvernance est-elle vraiment efficace au vu des résultats auxquels on parvient ? D’aucuns pensent que ces critiques ne sont guère infondées et que cette impuissance serait en fait structurelle avec une contradiction de fond entre gouvernabilité et gouvernance, et peut-‘tre m’me, entre gouvernabilité et participation. Les processus décisionnels et les consultations informelles, les processus de négociation (contrats négociés), les réglementations flexibles, les incitations souples, les accords volontaires, les engagements révisables seraient en cas d’usage excessif, nocifs pour la gestion des affaires publiques. Surtout, quand ils ne sont pas accompagnés d’objectifs clairs et de mandats d’autorité pour les appliquer, ou encore sans sanctions ou moyens de contrÙles efficaces. Ce creux institutionnel pourrait aboutir à des situations o˘ aucune véritable décision n’est prise ou effectivement mise en úuvre. Les administrations publiques modernes connaissent sans cesse des hauts et des bas58. Les gestionnaires publics sont donc censés opérer des changements organisationnels de grande envergure pour atteindre divers objectifs, qui vont du maintien de l’excellence au redressement à la suite de mauvais résultats. Les questions de la gouvernance et leurs enjeux sont toujours plus nombreux et importants. La multiplicité des acteurs et des institutions qui interviennent, la diversité de leurs intér’ts et de leurs moyens, ainsi que celle des échelles et des périmètres de leurs actions génèrent des situations de plus en plus complexes. Le développement et la diversité des acteurs engagés dans la cause publique ne font qu’accroÓtre cette complexité, au m’me moment que le développement d’une culture de la participation plaide pour des approches concertées. Etant une forme de régulation qui n’est ni marchande, ni étatique, la gouvernance apparaÓt comme le résultat dynamique de tensions entre des régularités verticales de type sectoriel et macroéconomique, et des régularités horizontales caractéristiques des dynamiques endogènes des espaces économiques locaux selon l’expression de Gilly et Pecqueur(1997). La gouvernance apparait sous cet angle comme un processus non plus linéaire et irréversible, mais plutÙt comme une démarche itérative de co-construction d’une vision et d’un sens collectivement partagé, et de co-production de l’action publique locale. Ainsi, le processus de suivi-évaluation est plus facilement inclusif et partagé. Benko et Lipietz (1992) caractérisent la gouvernance comme : ´toutes les formes de régulation qui ne sont ni marchandes, ni étatiques ª. Et Bertrand N., Moquay P. (2004), paraphrasant Gramsci pour qui l’…tat est égale à la société civile plus la société politique), voient la gouvernance comme étant ´ la société civile moins le marché ª. Mais, il convient d’y ajouter la société politique locale, les notables, les municipalités bref, d’autres acteurs, souvent méconnus mais influents. Pour R. Pasquier et al. (2007), la gouvernance est une grammaire, au sens ´ d’un ensemble de règles et de styles rendant possible la conduite d’une action publique ª dans un contexte de différentiation (et d’autonomisation) de plus en plus poussée de la société et de multiplication des parties prenantes. Elle est aussi souvent perÁue comme un gouvernement du compromis ou comme un ´ processus de coordination multi-niveaux et multipolaires, dans un contexte polycentrique et fortement asymétrique ª selon les termes de Gaudin (1999). 58 L’exemple le plus proche de nos mémoires est constitué par les détournements de biens publics au bénéfice de personnes privées souvent au détriment de l’efficacité de l’action publique et de la justice collective. En outre, Gaudin estime qu’en continuité des innovations institutionnelles engendrées par la décentralisation et la contractualisation, les acteurs sont amenés à expérimenter de nouvelles formes d’action publique et de participation aux décisions, glissant de la logique de pyramide à celle de réseau. Cette distinction entre les logiques en cours à savoir le modèle centraliste qui procède d’une démarche Top-Down (du haut vers le bas) et le modèle décentralisé et de gouvernance locale qui part d’une approche Bottom-Up (de la base vers le sommet) est souvent transposée dans la confrontation entre la logique de gouvernement et celle de gouvernance. En atteste le tableau ci-dessous Analyser le concept de gouvernance, c’est se poser un ensemble de questions finalement assez simples ñ celles des objectifs suivis, celles des intér’ts servis, celles des alliances nouées, celles des instruments utilisés, qui débouchent éventuellement sur d’autres, moins simples : celles du décalage éventuel entre objectifs affichés et résultats effectivement atteints, et celles des effets imprévus, sinon pervers, qui livrent souvent le sens réel de la gouvernance. Le décalage entre réalisations concrètes et ambitions institutionnelles est devenu une préoccupation constante pour un nombre croissant d’autorités politiques en charge de la gestion de la chose publique. Quels sont alors les apports et les limites des formes de gouvernance en place ? Quels sont les aménagements nécessaires pour garantir une gouvernance capable de révéler les enjeux des politiques publiques au Sénégal? Aborder ces questions revient à centrer l’attention sur la capacité collective d’action pour gérer les enjeux du développement, en explorant de nouvelles formes de gouvernance, et en les articulant aux enjeux de participation et de médiation populaire. Mais, la première difficulté dans l’analyse de la gouvernance vient de sa conception. Les acteurs ont des manières de voir souvent différentes lorsqu’il s’agit de définir le concept de gouvernance. Chacun y va de sa propre compréhension, laquelle compréhension reflétant assez souvent les réalités de son propre environnement culturel, politique, historique et ou encore économique. La réalisation de la gouvernance pose des problèmes, qui exigent des stratégies bien précises dans un contexte de conditions locales parfois très variables. Dans la partie, il s’agit de mettre en évidence les enjeux actuels de la gouvernance, surtout à l’aune de l’émergence du local à travers une politique de décentralisation de plus en plus assumée au Sénégal. Pour ce faire nous nous attellerons à expliciter les fondements théoriques et examiner les pratiques en matière de gouvernance locale, nous mettrons également en exergue les obstacles à une bonne gouvernance locale effective, obstacles que nous qualifions construits ou du fait souvent du défaut de coopération des acteurs ; c’est-à-dire montrer les logiques en confrontation des acteurs et les faiblesses des dispositifs en vigueur et émergents. Nous identifierons les apports et les limites des réformes institutionnelles et des approches participatives. La prise en considération de ces obstacles, en particulier, ceux qui sont construits par les acteurs de la politique de décentralisation, est un moyen d’améliorer la gouvernance, non seulement à propos des affaires publiques, mais aussi à propos des affaires assimilables. Cela permet également de se doter d’outils opérationnels pour l’analyse de situations concrètes et pour la construction de modes de gouvernance adaptés. Enfin, nous analyserons ce que l’on entend par gouvernance et bonne gouvernance, deux notions proches que nous définirons sur la base de leur contenu, de leurs principes et de leurs critères.
SIGLES ET ABREVIATIONS |