Gestion du réseau sociotechnique
Le réseau
1.1-Interface homme/homme : le réseau social
Les notions théoriques qui entourent cette notion sont comme nous l’avons déjà mentionné relativement connues, aussi nous ne les détaillerons pas ici. Nous évoquerons par contre un élément original de compréhension à travers l’idée de signaux forts et de signaux faibles développés par Pierre-André Julien1 qu’il applique à l’entrepreneur. Il distingue les signaux forts par des caractéristiques de fortes proximités au premier rang desquels figure le réseau personnel composé de membres de la famille, d’amis de longue date et de certains personnels de confiance au sein de l’entreprise. Ce premier réseau a un rôle de « miroir » pour l’entrepreneur qui pourra ainsi chercher à tester certaines de ses idées, ou trouver des éléments de réponses décalées sans engager imprudemment sa crédibilité. Il sert aussi souvent comme source de confortation et d’encouragement dans les orientations prises tout en offrant aussi la possibilité de partager les « coups durs ». En résumé, on pourrait qualifier ce réseau de base arrière, lieu de ressourcement où s’opère la gestation de nombre de ses idées. Le deuxième réseau à signaux forts concerne les relations professionnelles englobant tout à la fois les fournisseurs, les banquiers, les transporteurs, les distributeurs, les conseillers et certaines entreprises partenaires. Ce réseau offre l’avantage de regrouper des personnes partageant l’essentiel de sa culture d’entreprise dont nous aurons l’occasion d’évoquer ses spécificités dans le chapitre III de cette partie. Ces personnes connaissent pour la plupart le marché dans lequel s’insère l’entreprise et sont en prise directe avec de nombreux éléments connexes à son activité (marchés complémentaires, tendance lourde du macro-secteur, …). Les informations émanant de ce réseau s’en trouvent donc d’une part facilitées dans leur formulation et leur compréhension en raison d’une culture professionnelle largement partagée, et d’autre part fortement pertinentes dans la mesure où elles concernent l’environnement proche du projet de l’entreprise. De plus, le contenu de l’information échangée est de nature à engendrer des processus d’innovation en signalant les évolutions et les nouveautés qui sont en cours. Ce réseau est de ce fait présenté comme étant à signaux forts pour différentes raisons : − la fréquence des rencontres avec les individus concernés, − une bonne connaissance des pôles d’intérêts des uns et des autres, que ce soit en terme de besoins, de capacités ou d’habitudes, − une facilité certaine de la circulation de l’information. Comme le souligne justement Pierre André Julien, « ces réseaux à signaux forts reposent donc sur une confiance mutuelle pour fournir de l’information privilégiée et souvent tacite qui permet de soutenir le processus d’innovation. »1 En opposition, les réseaux à signaux faibles se caractérisent par des sources d’informations plus épisodiques et plus éloignées de l’entrepreneur. Cette notion semble avoir été développée en premier dès 1975 par Ansoff2 , elle fait notamment apparaître qu’il s’agit de réseaux faisant intervenir des acteurs partageant des cultures professionnelles plus éloignées de celle de l’entrepreneur : centres de recherche, cabinet de conseils, agences gouvernementales, … De ce fait, les informations qui en émanent sont aussi relativement décalées de l’environnement habituel de l’entreprise. Or cette caractéristique est centrale pour comprendre le rôle qu’ont ces informations dans l’apparition de l’idée d’une innovation : de par sa nature « incongrue » et donc originale, cette dernière offre en effet l’opportunité de la naissance d’une nouveauté. Ainsi, reprenons l’exemple des lampes photovoltaïques développé par Madeleine Akrich1 : des promoteurs de cette technologie visaient les marchés des pays sahéliens, or pour différentes raisons le projet cafouille. La surprise apparaîtra de la rencontre et des échanges d’informations à priori « incongrues » entre ces promoteurs et des responsables de mosquées en France. Le résultat de cet échange d’informations permettra de sauver cette innovation par le recours à un second processus d’innovation résultant pour l’essentiel de cette rencontre de deux milieux habituellement peu en relation. Ainsi, comme le montre cet exemple, l’innovation « jaillit » tout d’abord des informations de ces réseaux faibles et ce n’est que dans un second temps que les réseaux forts permettront d’apporter les réponses nécessaires sur la faisabilité potentielle de cette idée. De ce point de vue, ces deux réseaux sont donc tout à fait complémentaires.
Interface homme/machine : le réseau sociotechnique
Dans le chapitre I de cette partie, nous avons déjà évoqué certains aspects de cette problématique à travers diverses écoles et notamment celle du Centre de Sociologie de l’Innovation. Toutefois, la plupart de ces écrits traitent de projets innovants en leur époque tels que celui du métro parisien « Aramis »2 ou celui de l’alimentation photovoltaïque3 destinée à des pays du sud ; en revanche la simple interface homme/machines n’y est que peu abordée dans le cas de machines tout à fait banales. A travers le terme « machines banales », nous n’évoquons pas les ustensiles de la vie quotidienne dont une certaine littérature4 s’est beaucoup préoccupée, mais plus des machines-outils qui représentent le cœur de notre analyse. La « banalité » de ces machines ne signifie pas qu’elles ne suscitent pas l’innovation bien au contraire, c’est pourquoi il nous semblait important de citer ici les travaux de Nicolas Dodier1 qui alimente notoirement la compréhension du transfert technologique comme nous le verrons. Pour ce faire, ce dernier analyse les réseaux sociotechniques en mettant à jour une notion originale qui est la solidarité technique : cette dernière constitue, selon lui, le moyen qui permet à ce réseau de fonctionner ; elle réunit les hommes et les machines autour de ce but. « On peut parler de solidarité technique dès lors où plusieurs humains participent ensemble à un horizon commun d’activité : faire fonctionner un ensemble technique, c’est à dire être dans une attitude fonctionnelle vis-à-vis de celui-ci. Dès lors où des personnes sont engagées dans cette activité on peut en parler comme des opérateurs. »2 Il y met en exergue notamment le fait que le réseau peut se polariser sur certaines exigences d’un de ces éléments. Ces derniers doivent alors s’adapter coûte que coûte afin de ne pas s’exclure du réseau, ce qui permet alors à l’auteur d’introduire un autre aspect de sa recherche qu’est la violence au sein de ce réseau. Il montre en effet comment chaque élément négocie avec les autres afin de pouvoir atteindre les objectifs de fonctionnement. Ces situations apparaissent notamment en cas de pannes ou de changements que ce soit concernant le process ou le produit.