GESTION DES PRODUITS CHIMIQUES DANS LES SITES D’ORPAILLAGE
Définition de concepts clés
Produit chimique toxique
Un produit chimique toxique est un produit qui peut provoquer l’altération ou la perturbation au niveau des organismes ou sur les niveaux d’intégration inférieurs (organe, cellule, molécule) (ISN, 2001).
Activité d’orpaillage
L’activité d’orpaillage désigne l’exploitation d’or et de minéraux associés qui se trouvent dans les gites primaires, alluvionnaires ou éluvionnaires par des techniques artisanales jusqu’à une profondeur de 15m (MEM, 2013). C’est une activité très ancienne, elle a été pratiquée le plus souvent par les populations autochtones des zones ou l’or est présent. De ce fait, elle a longtemps constitué une source de richesse pour les empires du Ghana et du Mali (Bathily, 1989). Cependant, l’orpaillage qui a servi à l’émergence et à l’apogée de ces grands Etats et royaumes d’Afrique est remplacé aujourd’hui par un orpaillage de type industriel ou semi mécanisé. Les sites d’exploitation artisanaux ou couloirs sont appelés « Diouras » en Soninkhé. Un orpailleur désigne la personne physique s’adonnant à l’activité d’orpaillage (MEM, 2013). Du point de vue organisationelle, les orpailleurs n’ont pas une structuration formelle, toutefois au niveau du diouras, il y’a une certaine structuration du travail avec plusieurs types d’intervenants qui sont: – le propriétaire du village (Dougoutigui); – le propriétaire du site d’orpaillage (Diouratigui); – le propriétaire de la fosse minière (Damantigui); – le détenteur de la carte d’orpaillage (Cartétigui); – le gardien et un gestionnaire des conflits ou « Tombolouma»; – le financier; – les travailleurs ou « éléments » de la fosse minière : creuseurs (Dougoumas) et les tireurs de cordes (Senfés ou journaliers); – les boiseurs (Maîtres Balandounas); – les ordonnateurs de sacrifices; – les agents de la logistique (forgerons et mécaniciens); Tous ces intervenants sont des orpailleurs.
Gisement alluvionnaire
En condition super gène, la roche mer est érodée, remaniée et transportée sur une longue distance par le système hydraulique (ruissellement). L’or se détache de la roche et se dépose sur le lit des cours d’eau sous forme alluvionnaire (IRD, 2015).
Placer
Zone d’alluvions où se sont accumulés des minéraux exploitables (pépites d’or et pierres précieuses).
Contexte et problématique
Au Sénégal oriental, plus précisément dans les régions de Kédougou et Tambacounda, l’exploitation artisanale de l’or communément appelée orpaillage contribue aux revenus des populations rurales. Dans un contexte de flambée des cours de l’or, l’orpaillage constitue aujourd’hui une manne financière importante pour ces communautés locales dont la majorité vit en dessous du seuil de pauvreté (PNUD, 2013). A titre illustratif, de 2005 à 2012 les cours de l’or ont fluctué de 400 à plus de 1 800 dollars l’once. En outre, une baisse drastique des activités économiques a été notée dans la région de Kédougou pendant la période du 14 août 2014 au 10 mars 2015 suite à la fermeture des sites d’orpaillage par l’Etat du Sénégal (IRD, 2015). De ce fait, l’orpaillage représente actuellement un grand enjeu socio-économique dans la région de Kédougou, où il mobilise 20% de la population et a un impact directe ou indirecte sur la moitié des habitants de la zone soit environ 30 à 50 000 personnes et compte 87 sites (CNDD, 2009). Au total, cela montre que l’exploitation artisanale de l’or est une réalité incontournable, une occupation indéniable des populations villageoises, au même titre que l’agriculture et l’élevage; elle présente des atouts économiques importants pour les populations rurales et pour l’économie nationale (Diène, 2013). Par ailleurs, cette activité utilise en général des technologies ou modes d’exploitation mal adaptées qui provoquent souvent des impacts désastreux sur l’environnement et sur la santé humaine (Ouedraogo et Amyot, 2013). En effet, pour extraire l’or du minerai aurifère, les orpailleurs utilisent en général des techniques de traitement qui font appel à des produits chimiques dangereux, et d’un autre côté l’activité génère également des substances chimiques qui portent atteinte à l’environnement. – 5 – Les deux méthodes chimiques, les plus connues et les plus utilisées dans l’activité d’orpaillage sont l’amalgamation et la cyanuration ou lixiviation. La première, consiste à mélanger un concentré aurifère avec du mercure avec un taux de récupération de l’or estimé à 80% par les orpailleurs. La deuxième méthode consiste à mélanger un sel de cyanure (cyanure de sodium, cyanure de potassium, cyanure de calcium) avec de la boue aurifère permettant ainsi une meilleure récupération du métal précieux allant jusqu’à 90% (IRD, 2015). En exemple, à Kharakhéna et à Bantaco, d’après l’ONG La Lumière (2014), 125 bassins de cyanuration ont été remblayés en 2014 après la fermeture des sites. Dans le même ordre d’idée, le chef de la division régionale de l’environnement et des établissements classées de Kédougou (DREECK) affirme, que des saisies record ont été opérées pendant la même période de fermeture, par les services compétents de la région de Kédougou. Il relate qu’une moisson « effrayante » des saisies s’est résumée à plus d’une tonne de cyanure, plusieurs milliers de litres d’acides nitrique et sulfurique, des quantités importantes de mercure, d’aluminium imbibé de cyanure, de borax, etc. (Dieye, 2015). En somme, il est important d’insister qu’aujourd’hui, l’activité d’orpaillage est caractérisée par une utilisation systématique de produits chimiques dangereux. Ce sous-secteur est indexé comme étant le plus grand consommateur de mercure au monde. Cette consommation est estimée à l’échelle mondiale à plus de 1 400 tonnes en 2011 (PNUD, 2012; www.mercurywatch.org). De ce fait, l’orpaillage constitue aujourd’hui, non seulement comme étant la plus grande source de pollution par le mercure au monde (air et eau) mais également, la deuxième plus grande source de pollution atmosphérique par le mercure au monde, après la combustion du charbon (PNUE, 2012). Cette utilisation irrationnelle se justifie en partie par des taux de récupération très élèves du métal jaune avec un temps de travail très réduit (Niang, 2009). En outre, les enquêtes menées en 2010 dans le cadre du programme d’appui au secteur des mines (volet orpaillage) ont montré également que l’usage du mercure est en expansion et qu’on le retrouve déjà dans les cours d’eau majeurs et dans tous les rejets qui sont laissés en bordure de fleuve (PASMI, 2010). De ce fait, les deux grands cours d’eau de la région (la Falémé et le fleuve Gambie), qui alimentent le parc National de Niokolo Koba (PNNK), sont de plus en plus menacés par la pollution avec l’érection de bassins de cyanuration et de sites d’amalgamation au mercure le long des rives desdits cours d’eau. Or, le parc National de – 6 – Niokolo Koba (PNNK) est inscrit par l’UNESCO, depuis 1981 sur la liste des sites du patrimoine mondial de l’humanité et il est le plus grand des parcs nationaux du pays avec une superficie de 913 000 hectares soit deux fois la région de Thiès. Dans le cinquième rapport du centre de suivi écologique (CSE), les résultats d’analyses des métaux lourds effectués par l’ITA suite aux différents prélèvements d’échantillon à Kédougou, ont montré des concentrations élevés de mercure (Hg) qui varient de 10-4 à 4.10-4 mg/L, de plomb (Pb) dont les teneurs sont comprises entre 6.10-3 et 394.10-3 mg/L et de Cadmium (Cd) avec des teneurs de 2.10-4 à 3.10-3mg/L. Les valeurs les plus élevées en Cadmium sont rencontrées dans les eaux de puits de Bantako et les eaux de surface de Diaguiry où la valeur directive de 3.10-3 de l’OMS est atteinte (CSE, 2015). De plus, dans une récente analyse des échantillons d’eaux de puits de Diakhaling par le laboratoire de Sabodala Gold, les résultats ont montré une concentration de zinc total entre 714 et 963 ug/L et de zinc dissout de 626 à 741 ug/L. Ces valeurs de zinc sont inhabituelles et difficiles à expliquer si bien que les normes de l’OMS ne sont pas atteintes (Téranga Gold, 2016). Quant au mercure, les concentrations sont certes inférieures à la valeur directive de l’OMS (10-3 mg/l), mais compte tenu du pouvoir d’accumulation du mercure dans la chaîne alimentaire, sa seule présence constitue une menace pour la santé publique (CSE, 2015). En vérité, la variabilité saisonnière notée dans les concentrations en mercure des sédiments confirme le caractère anthropogénique de son introduction dans l’écosystème. Les teneurs maximales sont notées pendant la saison séche lorsque les activités d’orpaillage atteignent leur maximum d’intensité (Niane, 2014). Au regard de ces résultats d’analyse, on note que les autres sites d’orpaillages de la région ne sont pas exemptes de pollutions de métaux lourds (mercure, nickel, zinc, cuivre, arsenic, cadmium, plomb, etc.) par apport aux normes nationales et internationales en vigueurs. A Kharakhéna, site le plus actif et le plus fréquenté de la région de Kédougou avec 14 nationalités d’après le sous-préfet de Saraya, on note également une utilisation démesurée de produits chimiques dangereux dans l’artisanat minier de l’or (Ngom, 2014). En effet, la cyanuration se faisait dans le bassin de Gamba-Gamba dudit site où les burkinabés, après achat des rejets issus du premier traitement, effectuaient un retraitement avec le cyanure. Suite à ce deuxième traitement, ils arrivaient même à récupérer plus d’or que dans le premier traitement. Le taux de récupération de ces rejets peut aller jusqu’à 5 g/tonne (Ngom, 2014). – 7 – Par ailleurs, d’après Hounugbe (2013) et d’autres auteurs (Taylor et al, 2004; Ouedraogo, 2006 et Niane, 2014.), l’utilisation de produits chimiques toxiques dans l’extraction artisanale de l’or engendre un véritable problème de santé publique. En outre, les rejets de produits chimiques dans l’environnement provoquent également des impacts négatifs sur les ressources naturelles, en l’occurrence les sols. De plus en plus les terres agricoles se réduisent du fait que la fertilité des sols est menacée par ces substances chimiques utilisées dans l’artisanat minier de l’or (Bamba et al, 2013). Dans la même perspective, Niane (2014), dans sa thèse de 3iéme cycle, portant sur les impacts environnementaux liés à l’utilisation du mercure à Kédougou, a montré que malgré l’introduction très récente dans ladite région, les quantités de mercure mesurées dans les sédiments, les sols et l’eau dans les sites d’exploitation d’orpaillage dépassent de loin les normes internationales et commencent à induire des effets réels sur l’environnement et menace la santé des populations (Niane, 2014). A côté de l’utilisation systématique de substances chimiques dangereuses, l’activité ellemême peut générer des quantités énormes d’acides, de sulfates et de métaux solubles pouvant provoquer une acidification ou une salinisation des sols. Lorsque des matériaux sulfurés sont excavés et exposés à l’oxygène atmosphérique, les sulfures commencent à s’oxyder et les eaux qui y circulent (eaux de pluies) ont la capacité de transporter des produits de cette réaction (acides, sulfates et métaux solubles) vers les eaux de surface et les eaux souterraines (Bruno Bussière et al, 2005 ; Earth Systems, 2012). En effet, la gestion efficace de ces produits chimiques ainsi que leur incidence sur l’environnement et sur la santé humaine demeurent problématiques. Une étude de l’UEMOA, réalisée en 2008 sur l’encadrement et le développement des exploitants miniers artisanaux à petite échelle, a montré une utilisation inconsidérée et sans protection des produits chimiques interdits et une négligence de la dimension environnementale dans les sites d’orpaillage (UEMOA, 2008). La gestion non rationnelle des produits chimiques est source d’impacts négatifs sur l’environnement et la santé humaine et animale.
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