Gestion des déjections au niveau de l’usager
Aucune interface usager
Comme l’indique l’Ancien Testament, pour faire leurs besoins, les peuples nomades s’éloignaient du campement (militaire) qui assure la protection, à une distance jugée suffisante pour prévenir toute nuisance et garantir l’intimité naturelle Tu auras un lieu hors du camp, et c’est là que tu iras, en dehors. Tu auras dans ton équipement une bêche avec laquelle, quand tu iras t’asseoir à l’écart, tu creuseras le sol et, en partant, tu recouvriras tes excréments129 . Solution très basique sans aucune technologie (voir Figure 17), la figure de campagne désigne la défécation ou la miction en plein air, avec l’exposition publique de cette anatomie qu’on ne montre, ou plutôt qu’on ne découvre qu’à la campagne, au coin d’une haie bien fournie, ou à l’ombre d’un hêtre touffu, lorsqu’on se croit bien seul dans la nature 130 . Cette locution concerne donc, en l’absence de latrines publiques, une population non négligeable des villes contrainte de faire ses nécessités en plein air. Si dans les villes des XVIIIe et XIXe s., des latrines sont présentes dans de nombreuses habitations et bâtiments publics, les plus démunis sont contraints de se soulager dans l’espace public, à l’écart des voies passantes, dans d’étroites ruelles bien nommée Basse-Fesse ou des Aisances, et d’obscurs culs-de-sac, voire sur les quais au bord de l’eau, à l’abri des regards . Illustration lyonnaise de ces lieux publics voués à recevoir la souillure des indigents, située au pied des pentes de la colline de Fourvière, la rue au nom évocateur de punaise, de fait un égout à ciel ouvert, a longtemps fait office de sanitaires publics. Comme le sous-entend le quai de la Feuillée, les bords du Rhône et de la Saône, surtout de nuit, offrent aussi une solution à cette population. Même si aujourd’hui la miction dans la rue demeure pour un petit nombre une réalité dans les villes occidentales, une part considérable de l’Humanité ne dispose pas d’autres solutions132 . L’abandon sur la voie publique ou dans la nature de ses déjections est très probablement la plus ancienne des solutions, car elle n’exige aucun équipement. Progressivement et par leur sédentarisation, l’augmentation de la densité de population et l’intensification de l’agriculture, les hommes ont occupé de façon permanente des habitations dans lesquelles la gestion des déjections a pris une nouvelle dimension, avec des équipements évoluant en complexité croissante.
Les interfaces usager mobiles
Les interfaces usager mobiles se classent en deux groupes, avec des équipements ultra-mobiles comme le vase de nuit et l’urinal qui se transportent à la main, et la chaise percée, plus complexe, qui cache le récipient ou tinette qui reçoit les déjections.
Les vases de nuit et urinaux mobiles
Interface usager avec ou sans contact, employée par les deux sexes, en position assise, allongée ou accroupie, le vase de nuit et l’urinal sont les premiers équipements mobiles développés par les êtres humains pour gérer leurs déjections liquides et solides sans sortir de l’habitation 133 . Leur usage est attesté depuis l’Antiquité à Lyon comme le révèlent des fouilles archéologiques 134 . Réceptacle plus ou moins hermétique et sophistiqué, le vase de nuit se nomme également pot de chambre et vaisseau de garde-robe. Version moderne réservée aux femmes du pot de chambre, le bourdaloue serait une dérivation de Louis Bourdaloue (1632-1704), père jésuite du règne de Louis XIV surnommé de son vivant le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois, excellent orateur qui passionna la Cour et le tout Paris par ses prêches. Pour ne rien perdre des propos, les femmes venaient à la messe avec un pot de chambre placé sous leurs robes à panier. Equipements légers d’une manipulation aisée, ce qui permet un usage dans la chambre en position alitée, le vase de nuit comme l’urinal présente le défaut de sa faible contenance et de pouvoir heurter la sensibilité, car il exige d’être vidé et nettoyé manuellement. Cependant, sa facilité de transport lui confère un rôle déterminant en médecine. Comme l’illustrent la Figure 18 et la Figure 19, l’urinal, comme le vase de nuit intéressent le médecin, qui établit son diagnostic en observant la couleur et la constance des urines comme des selles de son patient. Pratique médicale autrefois très répandue135, l’uroscopie désigne l’examen visuel de l’urine pour diagnostiquer les symptômes de maladies.
L’hydroglyphe, une invention lyonnaise sans lendemain
La question des latrines mobiles est bien représentée dans la base de données historiques de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) 153 , avec un total de 45 brevets de sièges inodores enregistrés entre 1819 et 1855, ce qui démontre que ce mobilier a inspiré de nombreux inventeurs. Alors que l’arrivée de l’eau potable à domicile est encore émergeante à Lyon et qu’il convient de l’économiser, un industriel nommé Couturier dépose le 10 septembre 1841 un brevet (voir Figure 29) avec une exclusivité sur 10 ans pour un siège inodore adaptable avec un anneau d’étanchéité hydraulique 154 Figure 29 – extraits du brevet n°1BA222 pour un siège inodore (1841) Célébrée par le Dr Pointe du Grand Hôtel-Dieu de Lyon, établissement considéré plus loin, s’exprimant au nom de l’élite médicale lyonnaise, cette invention, grâce à sa pédale mobile à charnière et sa précieuse rainure dans laquelle s’emboîte le couvercle… rend impossible tout contact de l’air intérieur avec l’air extérieur… Cet appareil… est ingénieusement confectionné et consiste essentiellement dans une rainure remplie d’eau, qui entoure la lunette d’un cabinet d’aisance, d’une chaise percée ou d’un vase de nuit, et dans laquelle pénètre de quelques millimètres le bord recourbé du couvercle, ce qui constitue un système efficace en termes d’odeurs .