Pourtant, le souci de la discipline en classe intéresse les spécialistes depuis presque cinq décennies déjà (Charles, 2004). Tous les courants semblent s’y être intéressés et trois d’entre eux ont particulièrement influencé les conceptions de la gestion de classe. Ainsi, le courant humaniste, dans les années 60 et 70, grâce aux apports de Thomas Gordon et de Carl Rogers, fonde une approche basée notamment sur la communication, la conquête de l’autonomie, l’empathie et l’acceptation (Archambault & Chouinard, 2009, p. 13). Ensuite, le courant behavioriste classique des années 70, centré sur le comportement, propose une approche basée sur quatre principes: « le renforcement positif, le renforcement négatif, la punition positive et la punition négative » (Archambault & Chouinard, 2009, p. 13). Enfin, le courant cognitiviste, dans les années 80, commence à privilégier le groupe et à considérer la classe comme un environnement social. La gestion de classe s’étend donc à des pratiques pédagogiques plus larges, telles que l’élaboration des règles de la classe et l’animation (Archambault & Chouinard, 2009, p. 14). Bien évidemment, tous ces modèles ont, depuis, clairement évolué et de nombreux autres chercheurs s’y sont intéressés. Citons par exemple l’ouvrage de Charles (2004) qui présente une analyse des dix modèles de discipline les plus importants des cinq dernières décennies, qu’ils soient uniquement théoriques ou alors pratiques et applicables dans les classes modernes.
Nous voyons donc que la notion de gestion de classe n’est pas nouvelle. Nault et Fijalkow (1999) relèvent d’ailleurs que, si l’on se penche sur l’évolution historique du concept de gestion de classe, nous pouvons noter qu’il coïncide avec les changements socioculturels majeurs qui se sont répercutés dans l’école.
Les années d’après-guerre ont en effet été celles du développement des recherches en sciences humaines et sociales en général, et des recherches en éducation en particulier. On peut penser que si la question de la gestion de la classe a pris autant d’importance dans les préoccupations des acteurs de l’éducation, c’est parce que les chercheurs, prenant le relais des conseillers pédagogiques accablés de demandes relatives à ce propos, ont su faire émerger cette problématique. (Nault & Fijalkow, 1999, p. 455) .
Ces auteurs mentionnent également le rôle des nouveaux problèmes qui se posent au sein de l’école – tels que la montée de la violence – dans l’intérêt actuel évident pour la notion de gestion de classe. Des recherches ont alors fleuri un peu partout afin de mieux saisir la nature de ce phénomène et de donner aux enseignants des outils qui leur permettent de relever les défis de plus en plus complexes que pose l’enseignement (Martineau & Gauthier, 1999).
Le rôle de la gestion de classe dans la genèse des problèmes de
discipline
Il semble donc que la gestion de classe occupe une fonction centrale dans l’enseignement. Martineau & Gauthier (1999) soulignent toutefois que tous les moyens utilisés ne s’équivalent pas nécessairement. Certaines techniques de gestion de classe peuvent même être la source de comportements indisciplinés (Archambault & Chouinard, 2009; Martineau & Gauthier, 1999). Plusieurs études mentionnées par Jones & Jones (2007, cité par Archambault & Chouinard, 2009) démontrent cependant que la majorité des enseignants pense que les problèmes de comportement sont liés à des facteurs d’ordre personnel, familial ou socio-culturel, alors que le rôle de l’école est négligeable. « Cette conviction confine malheureusement bon nombre d’enseignants dans une position réactive » (Archambault & Chouinard, 2009, p. 236). Selon ces auteurs, les enseignants pensent qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose pour améliorer le comportement des élèves, puisque les causes ne sont pas attribuables à l’école. Pour Slavin (1988, cité par Archambault & Chouinard, 2009), la plupart des problèmes de discipline, hormis les problèmes de comportement graves, peuvent être résolus au sein de l’école. Cette perception rejoint l’approche systémique en milieu scolaire, selon laquelle le système classe a nécessairement une influence sur l’émergence et le maintien de certains troubles du comportement (Curonici, Joliat, & McCulloch, 2006). Cela ne signifie évidemment pas qu’aucun facteur externe n’influence ces comportements, mais cette vision place l’enseignant dans un rôle actif et l’aide à ne pas se résigner face à des facteurs sur lesquels il n’a pas de prise directe. C’est pour cette raison que nous avons choisi, dans notre recherche, de considérer que le contexte scolaire a peut-être un rôle à jouer dans la genèse des comportements indisciplinés, en nous concentrant sur la manière dont l’enseignant introduit et enseigne les règles et les procédures.
L’enseignement des règles et des procédures en classe
Pourquoi nous focaliser sur cet aspect de la gestion de classe?
Boynton & Boynton considèrent, dans leur modèle, que des attentes claires quant aux comportements acceptables constituent un quart de l’ensemble des éléments primordiaux de la discipline en classe. « Etablir et enseigner les règles et les procédures ainsi que les comportements acceptables est essentiel à une gestion efficace des comportements des élèves » (2009, p. 27). Beaucoup d’ouvrages que nous avons consultés mentionnent l’importance des règles et des procédures dans la gestion de classe. Toutefois, il est évident qu’il ne suffit pas de simplement établir des règles (Martineau & Gauthier, 1999). Un résumé d’études sur la gestion de classe (Marzano, 2003, cité par Boynton & Boynton, 2009) démontre que, quel que soit le niveau, « le nombre de dérangements dans les classes où les règles et les procédures ont été efficacement établies est de 28% inférieur au nombre moyen de dérangements dans les classes où ce n’est pas le cas » (p. 27). Cette observation est également mentionnée par Richoz; il souligne que « certaines classes ou certains élèves deviennent difficiles simplement parce que les règles de travail en classe n’ont pas bien été établies » (2009, p. 122).
Mais que signifie donc efficacement établies?
Depuis quelques années, certains auteurs recommandent de faire participer les enfants à l’élaboration des règles et des procédures, afin que ces derniers soient responsabilisés et davantage motivés à respecter les choix retenus (Archambault & Chouinard, 2009; Richoz, 2009). En réalité, la participation des élèves n’est pas forcément nécessaire et, surtout, elle ne suffit pas à garantir le respect des règles (Richoz, 2009). Ce qui importe réellement est que les règles soient claires, raisonnables et pertinentes (Archambault & Chouinard, 2009). Ceci est d’autant plus vrai avec de jeunes élèves; « […] les élèves en sont au stade de la morale hétéronome et ils s’attendent à ce que les règles soient posées et expliquées par les adultes » (Richoz, 2009, p. 209). Jones (1987, cité par Boynton & Boynton, 2009) a relevé le fait que plusieurs enseignants ont une mauvaise perception concernant l’enseignement du système d’encadrement. Selon cet auteur, certains enseignants pensent que les enfants devraient seulement connaître les règles, que celles-ci ne doivent être qu’annoncées et que les élèves n’aiment pas passer du temps à écouter l’enseignement des règles.
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