Géométries crustales, évolution paléogéographique et histoire de l’accumulation terrigène des bassins de la marge passive du craton guyanais
Source to Sink des domaines cratoniques
L’étude Source to Sink d’une région consiste à lier la dynamique érosive d’un domaine continental et un bassin sédimentaire qu’il fournit en sédiments (« sink »), le tout dans leur cadre géodynamique. Ce type d’étude repose sur l’analyse du système sédimentaire dans son ensemble : la production des sédiments, leur transport, leur stockage transitoire et leur accumulation ultime en intégrant les variations de mouvements verticaux et climatiques (Walsh et al., 2016). Ainsi, pour une étude Source to Sink complète, il est nécessaire de déterminer de potentiels domaines en érosion (« source ») au cours du temps, l’histoire de leur dénudation et de l’accumulation terrigène dans le bassin. Elle intègre une analyse sédimentaire, structurale, gémorphologique du domaine continental et des bassins offshore. Dans ce travail nous voulons étudier la formation et l’évolution structurale ainsi que sédimentaire des bassins de la marge passive du Craton Guyanais, étant le terme ultime de son système de routage sédimentaire. Le but est donc de quantifier le budget terrigène accumulé dans cette marge par intervalle de temps depuis son initiation, afin de révéler des événements affectant le craton au cours du temps, tels que les changements climatiques et tectoniques et ainsi comprendre l’évolution de la dynamique d’érosion de ce craton. En dépit de nombreuses études effectuées séparément dans des zones « source » et « sink », le lien entre terre et mer, ainsi que l’histoire d’érosion et d’accumulation dans la marge n’ont jamais été faits à l’échelle du temps méso-cénozoïque en considérant l’ensemble de la marge passive du Craton Guyanais (Fig. 1.1). Ci-dessous nous présentons un rapide aperçu des évènements ayant potentiellement affecté l’évolution du relief du Craton Guyanais au cours du temps et ainsi, la partie « source » du système de routage sédimentaire du craton.
Synthèse régionale des événements affectant potentiellement le système de routage sédimentaire du Craton Guyanais
Le Craton Guyanais est un domaine s’étendant sur une surface de ∼ 1 200 000 km2, dont le relief est dominé par des surfaces d’aplanissement portant des régolithes, n’excé6 Figure 1.1 – Carte géologique simplifiée du Cratons Guyanais et des bassins qui l’entourent (modifiée d’après CGMW 2001 et 2016 ; Mosmann et al. 1986; Tassinari and Macambira 1999; Santos et al. 2000; Delor 2003). dant pas 1000 mètres, formées par l’altération lors d’un climat chaud et humide (Figs. 1.1 ; 1.2 et 1.3 ; McConnell 1968, 1980; Monsels 2016). Elles sont de plusieurs générations, dont les plus anciennes datées (par paléo-magnétisme ; Théveniaut and Freyssinet 1999, 2002) sont paléocènes. Plus à l’intérieur des terres se trouvent des surfaces plus anciennes supposées crétacées supérieur (∼ 71 Ma ; van der Hammen and Wijmstra 1964; McConnell 1968; Bardossy and Aleva 1990 ; Fig. 1.2). Ce domaine s’érode lentement avec des taux d’érosions moyens de ∼ 10 m/Ma (Edmond et al., 1995), ce qui est typique des domaines cratoniques (Beauvais and Chardon, 2013). Cette tendance est en revanche non-homogène, car des périodes de réorganisation fluviatiles et/ou rajeunissement de relief sont documentées, affectant notamment les parties Nord et Est du continent sud américain (le Craton Guyanais, Nord et Est du Brésil ; Fig. 1.3). Elles ont été détectées par des études de : (i) 7 thermochronologie basse température ; (ii) réactivation tectonique ; (iii) âges d’abandon des surfaces altérées et (iv) vitesses d’accumulation dans les bassins de la marge passive du Craton Guyanais (Fig. 1.4). Figure 1.2 – Cartes de répartition des surfaces altérées sur le Craton Guyanais Sapin et al. 2016). Thermochronologie. Des données de thermochronologie basse température révèlent deux périodes d’exhumation de roches au Crétacé, autour de 130 Ma et entre 80 et 60 Ma, sur le Craton Guyanais, au Nord et à l’Est du Brésil. La première période d’exhumation est contemporaine des périodes de rifting de l’Atlantique Sud et Équatorial. Ces exhumations s’expriment donc sur les marges NE (autour de 130 Ma ; Harman et al. 1998) et Nord du continent Sud américain (autour de 124 – 120 Ma ; CONAM, 2002 dans Sapin et al. 2016) et seraient liées aux soulèvements et érosions des épaulements de rifts de ces deux marges (Harman et al., 1998; Sapin et al., 2016), qui est un phénomène systématique se produisant sur les marges lors des rifting (Braun and Beaumont, 1989; Braun, 2018). Harman et al. (1998) enregistrent la deuxième période d’exhumation (entre 80 et 60 Ma) plus à l’intérieur des terres, notamment à l’Est du Craton Brésilien et proposent une dé8 formation à grande échelle en lien avec la réorganisation cinématique globale « santonienne » (Fig. 1.1 ; Benkhelil 1989; Guiraud 1993; Jolivet et al. 2016; Ye et al. 2017). Des exhumations se produisent en effet sur la partie Nord et NE du continent américain, notamment au SE du Brésil (Japsen et al., 2012; Cogné et al., 2012) et sur le Craton Guyanais (Sapin et al., 2016). Une accélération de le dénudation est également constatée à l’Est de l’Amérique du Nord, contemporaine d’une inversion tectonique de cette marge (Amidon et al., 2016) témoignant ainsi un phénomène de déformation potentiellement exprimé sur l’échelle de l’Atlantique. Réactivation tectonique. Durant le Mésozoïque le continent Sud américain a connu trois périodes majeures d’inversions structurales et de réactivations tectoniques susceptibles de rajeunir le relief : (i) au Jurassique, (ii) au Crétacé inférieur et (iii) au Crétacé supérieur. Les deux premières périodes sont contemporaines des rifting respectifs de l’Atlantique Central (∼ 200 – 165 Ma) et Équatorial (∼ 130 – 103 Ma). Cette cinématique extensive sur la marge aurait provoqué des inversions des structures pré-existantes et cisaillement sur le continent se propageant sur l’héritage structural précambrien et paléozoïque (Szatmari, 1983; Mosmann et al., 1986; Costa et al., 2002; Caputo, 2014). (i) Ainsi, au Jurassique un système cinématiquement lié au rifting centre atlantique, s’est exprimé sur une ancienne zone de cisaillement précambrien par des mouvements décrochants NE, coupant le Craton Guyanais en deux (Szatmari, 1983). Au Jurassique supérieur les bassins au Sud du Craton Guyanais (Solimoes et Accre) ont connu des soulèvements régionaux et inversions suite à une tectonique transpressives (Caputo, 2014). (ii) Au Crétacé inférieur des failles NE se sont propagé sur l’intégralité du bassin amazonien, exprimées par une tectonique compressive et transpressive au centre et au Sud du bassin et par une tectonique extensives au Nord (Szatmari, 1983; Mosmann et al., 1986). Durant cette même phase le graben de Marajo était soumis à de l’extension, une structure extensive néoprotérozoïque a été inversée, formant l’arche de Gurupa, qui sépare le graben du bassin amazonien (Figs. 1.1 et 1.3 ; Costa et al. 2002). (iii) D’après des études de terrain au NE du bassin de Parnaiba (Fig. 1.1), Destro et al. (1994) ont montré une réactivation au Crétacé supérieur (dépôts décalés) des linéaments ENE néoprotérozoïques, issus de l’orogène Transbrésilien – Panafricain, par des mouve9 ments transpressifs dextres de même direction. L’orientation des contraintes principales compressives lors de cette réactivation était ONO – ESE, possiblement liées avec le changement de direction d’extension de Gondwana Occidental (lors du drift de l’Atlantique Équatorial) passant de ENE à NE, générant des transpressions sur les marges atlantiques équatoriales (Destro et al., 1994). Une tectonique compressive au Crétacé supérieur, exprimée par des structures en fleur positives, des failles syn-rift du Crétacé inférieur réactivées en inverses et décrochantes, est en effet constatée (après une analyse sismique) sur la marge au Nord du bassin de Parnaiba, à l’extrémité de la faille transformante de Romanche (Fig. 1.1 ; Zalan et al. 1985). Cette tectonique transpressive a engendré un soulèvement de la marge, mettant une partie en émersion jusqu’à l’Éocène. Des inversions, d’âge santonien, sont également observées sur l’extrémité de la faille transformante Saint-Paul, côté africain (Antobreh et al., 2009; Ye, 2018). Sur le continent africain le rift de la Bénoué initié lors de l’ouverture atlantique au Crétacé inférieur, était sujet à l’inversion par une tectonique transpressive entre le Santonien et le Crétacé terminal (Benkhelil, 1989; Guiraud, 1993; Guiraud and Bosworth, 1997). La déformation a débuté au Sud, au Santonien et s’est ensuite propagé au Nord de la Bénoué (Benkhelil, 1989), indiquant ainsi une initiation venant de la marge et potentiellement liée aux transpressions sur les zone de fractures. Sur le continent Sud américain l’épaississement crustal des Andes ne débute qu’au Santonien, alors que la subduction existe depuis le Jurassique inférieur au moins, coïncidant avec la période d’augmentation des taux de convergence (Jaillard and Soler, 1996; Martinod et al., 2010). Toutes les informations citées plus hauts indiquent que la période du Santonien semble propice à un rajeunissement du relief sur le continent Sud américain, mais que la déformation est de grande échelle, affectant trois continents.
Taux d’accumulation dans les bassins de la marge passive du Craton Guyanais
La dynamique de relief d’un domaine cratonique doit se refléter directement dans la dynamique de remplissage sédimentaire des bassins de la marge passive le bordant. Ainsi, trois périodes d’accélération et de décélérations des vitesses d’accumulation sédimentaire ont été documentées dans le bassin de FOZ : 1. une augmentation de l’accumulation entre le Santonien et le Maastrichtian (>100 m/Ma ; Sapin et al. 2016) ; 2. une faible accumulation au Paléogène (< 10 m/ Ma ; Sapin et al. 2016; van Soelen et al. 2017) 3. de forts taux à partir du Pliocène (Figueiredo et al. 2009; Watts et al. 2009; Gorini et al. 2014; van Soelen et al. 2017 ; estimée à > 500 m/Ma ; Sapin et al. 2016).
Résumé
D’après les études citées plus haut, quatre périodes de rajeunissement de relief et/ou d’augmentation potentielles des aires drainées se dégagent : lors des rifting de l’Atlantique Central (1) et Équatorial (2) ; entre le Santonien et le Maastrichtian (3) et à partir de la fin du Miocène (4). Les événements 1. et 2. correspondent aux soulèvements des épaulements de rifts et à leur érosion durant le rifting. Cette dynamique est classique sur les marges passives et se caractérise de forts apports terrigènes dans les rifts (Poag and Sevon, 1989; Rouby et al., 2009; Guillocheau et al., 2012; Ye, 2016; Ponte, 2018). Les soulèvements des épaules opèrent en revanche sur une bande estimée étroite (Ye, 2016). De nombreuses structures précambriennes et/ou paléozoïques ont été réactivées durant ces deux périodes de rifting et semblent donc liées. 3. Un événement majeur se produit au Crétacé supérieur affectant l’intégralité de l’Atlantique, potentiellement lié à la réorganisation cinématique des plaques. Cette période est en effet contemporaine de changements de direction d’extension du Gondwana Occidental (Zalan et al., 1985; Destro et al., 1994; Benkhelil et al., 1995; Marinho et al., 1988), du continent Nord américain passant de NW à EW (Klitgord, 1986; Amidon et al., 2016), d’inversion du rift de la Bénoué marquant le début du cycle alpin (Benkhelil, 1989; Guiraud, 1993; Guiraud and Bosworth, 1997; Jolivet et al., 2016) et d’accélération de convergence andine ainsi que du début de son épaississement crustal (Jaillard and Soler, 1996; Martinod et al., 2010). Sur le Craton Guyanais cette période correspond à un épisode d’exhumation 14 et potentiellement de soulèvement (CONAM (2002) dans Sapin et al. 2016) et à l’abandon surfaces altérées S0 (∼ 71 Ma ; Bardossy and Aleva 1990; Vasconcelos et al. 1994) marquant une période érosive. Les vitesses d’accumulation sédimentaire augmentent sur la marge entre le Santonien et le Maastrichtian. Sapin et al. (2016) propose une augmentation de l’aire drainée alimentant le bassin de FOZ durant cette période. 4. Les forts apports sédimentaires sur la marge (Figueiredo et al., 2009; Watts et al., 2009; Gorini et al., 2014; Sapin et al., 2016; van Soelen et al., 2017) et l’abandon de la surface altérée S4 résulteraient du changement climatique et de la réorganisation du drainage de l’Amazone suite à l’inversion régionale des pentes grâce au comblement des bassins d’avant pays andin, inversant ainsi son cours d’eau en direction de l’Atlantique (Hoorn et al., 1995, 2010, 2017; Roddaz et al., 2005). A l’actuel des taux de dénudation enregistrés par 10Be dans les rivières andines sont au moins 18 fois supérieur que dans les fleuves cratoniques (Wittmann et al., 2011b), constituant ainsi la source majeure d’apport sédimentaire à la marge du Craton Guyanais. L’essentiel des sédiments érodés depuis le Craton Guyanais est aujourd’hui stocké dans les bassins de sa marge passive. Effectuer une étude approfondie du remplissage sédimentaire de cette marge, dans le but de comprendre son évolution depuis le rifting du Trias – Jurassique, permettrait de contraindre le routage sédimentaire du Craton Guyanais. Il n’y pas eu d’études de la dynamique d’accumulation terrigène reliée à la dynamique d’érosion de ce craton sur l’échelle du Méso-Cénozoïque. Ce type d’étude a en revanche été mené avec succès sur la marge conjuguée. Le Craton Ouest Africain (WAC : West Africain Craton) et serait donc un bon cas de référence méthodologique pouvant être appliqué sur le Craton Guyanais. De plus ils partagent des conditions climatiques similaires et favorisant la formation des surfaces altérées (Fig. 1.5).
Contexte scientifique |