3% de la population française est végétarienne1. Ce refus de consommer poissons et viandes s’explique par des raisons éthiques ou par une volonté de préserver l’environnement et sa santé. Parmi ce nombre croissant de végétariens existent les personnes véganes. Celles-ci refusent toute forme d’exploitation animale par une alimentation exclusivement végétale, un refus de porter des matières animales et le boycott des activités de loisir impliquant des animaux non humains telles que les zoos et les cirques. Le véganisme constitue donc l’application concrète de l’idéologie antispéciste. Aucun chiffre n’a été publié sur les véganes en France, leur visibilité est donc renforcée sur les réseaux sociaux et dans l’espace public. Le terrain est celui de la ville de Paris. La cartographie des lieux végétariens et végétaliens concerne l’ensemble de la ville
La France est communément décrite comme le pays de la haute gastronomie. La cuisine est perçue comme un art et un vecteur de traditions. Paris incarne donc cette vision de la France dans sa géographie commerçante. Cependant, toute capitale est porteuse d’innovations et d’offres alternatives. Si Paris reste une vitrine de la gastronomie dite française elle n’échappe pas pour autant aux mouvements végétariens et véganes. Ces mouvements, surtout développés en Allemagne et en Angleterre, transforment peu à peu l’offre parisienne.
Le mémoire présentera dans un premier temps la théorie antispéciste et sa place dans la discipline géographique. Il s’agit de présenter le cadre théorique dans lequel a émergé la question animale en géographie. La question animale rassemble tous les travaux portant sur les rapports entre espèces animales non humaines et espèce humaine et leurs conséquences dans les pratiques et les représentations d’une société. La question animale est peu présente en géographie. La géographie dite classique a dissocié « Homme » et « Nature », définissant ainsi l’humain-e comme l’inverse de l’animal en un être rationnel et unique. La théorie antispéciste est étudiée au sein de la géographie anglo-saxonne postmoderniste. Ce courant de pensée est associé au féminisme et au postcolonialisme dans un mouvement global de lutte contre les oppressions. Les apports de la géographie du commerce et de la consommation permettront d’analyser les spatialités véganes commerciales comme lieux de sociabilité porteurs de discours variés. L’étude de la répartition de ces commerces sera liée à une géographie urbaine et sociale parisienne. Cet objet de recherche implique un travail de réflexivité dans la mesure où mon positionnement est engagé. Etudier un mouvement social dont on fait partie impose de réfléchir à certaines problématiques.
Le mémoire sera ensuite axé sur les spatialités véganes à Paris. Les commerces végétariens et végétaliens se développent et le premier objectif est d’étudier leur répartition dans la ville. L’analyse des lieux commerciaux dans leur mise en réseau et en tant qu’indicateurs des dynamiques sociales et culturelles (Lemarchand, 2008, 2011) en géographie des commerces et de la consommation s’accompagnera d’une analyse à la micro-échelle du commerce lui-même et de ses portées symboliques internes. Ces commerces sont des lieux de sociabilité pour la communauté véganes mais aussi des marqueurs visibles au service d’un soft-power ou d’un « soft militantisme ». Par la création de ces commerces, le véganisme devient un mouvement alternatif qui s’oppose mais surtout qui propose. Les discours pluriels révèlent une diversification de la « culture végane » transmise à travers les commerces.
Enfin une autre partie sera consacrée aux performances véganes à Paris. L’association la plus médiatisée et la plus efficace est L214. Celle-ci organise régulièrement des rassemblements militants dans l’objectif de sensibiliser les passant-es sur les conditions de vie des animaux dits de « consommation » et de promouvoir une alimentation sans produits animaux. L’espace public est un vecteur de militantisme : manifestations, affiches, distributions de tracts… Les spatialités du militantisme végane adoptent ces formes traditionnelles d’occupation de l’espace mais innovent également en créant des « Happenings » ou des « Vegan Places ». La particularité de ces modes d’expression réside dans l’ambivalence de l’interaction entre violence en montrant des images de souffrance et convivialité en invitant à découvrir le véganisme. Les actions militantes individuelles seront analysées à une micro-échelle et permettront d’observer la lutte des différentes idéologies dans l’espace urbain. Le corps, à la fois comme premier lieu de résistance végane et comme outil du militantisme, constituera un des fils directeurs du mémoire.
Le choix de lire beaucoup et de rédiger une longue partie théorique semblait nécessaire à l’appréhension globale de l’antispécisme et permettait de saisir les apports du mouvement en géographie. Lire avant et pendant le terrain était une clé indispensable à la compréhension des mécanismes à l’œuvre dans le militantisme antispéciste. Lire permet également de connaître son positionnement et donc d’entamer une démarche réflexive.
Le corpus est composé de :
• littérature scientifique ethnologique, sociologique
• littérature scientifique géographique
• articles de presse pour étudier les représentations
• livres visant les véganes
• articles de presse spécialisée
• flyers militants
• publicités, affiches .
Le corpus scientifique fut analysé dans l’objectif de rendre un « état de l’art » sur la question animale en géographie (rapport espèce humaine – espèces animales, débat éthique, rapport aux animaux comme révélateur de dynamiques sociales ou politiques, comme producteur d’identités).
Le choix de l’orthographe épicène s’inscrit dans une démarche d’écriture non sexiste. Le langage forme la pensée et constitue donc le premier vecteur de normes discriminantes. Les formes choisies « .e » dans l’écriture tendent à une visibilité des femmes dans le discours. Cependant, ce mémoire est ma première écriture non sexiste et il est possible que de nombreux accords aient été oubliés. Ces oublis permettent de démontrer le poids des normes. La déconstruction est difficile, même lorsqu’on le souhaite.
Le langage non spéciste a été ajouté au langage non sexiste. Le terme « les animaux » a été utilisé pour fluidifier les phrases mais de temps en temps le choix d’écrire « les animaux non humains » permettait de rappeler la proximité entre les espèces et de dénoncer le spécisme.
L’observation participante permettait de saisir au mieux les dynamiques militantes du terrain. L’intégration aux groupes militants s’est transformée en « recherche de l’intérieur ». Je n’avais jamais milité avant ce travail d’observation, l’imbrication des démarches militantes et scientifiques serait une piste de réflexion intéressante à intégrer dans une thèse. Cet apport réflexif questionne aussi les émotions du chercheur.e dans la recherche. Des fiches d’observation ont été rédigées après des évènements types : conférence, manifestation, distribution de tracts et happening.
Les conférences et les actions militantes furent le terrain des « questions informelles». Lors de rencontres j’exposais mon travail de recherche puis je demandais si je pouvais poser quelques questions dont les réponses seraient intégrées ou non à la restitution du mémoire. Cette méthode permettait de ne pas couper l’échange avec un questionnaire papier figé.
Un fichier excel a été réalisé pour croiser toutes les bases de données concernant les restaurants végétariens et véganes. Des cartes ont ensuite été réalisées à partir de cette base de données. Cette ressource est à la base de l’analyse spatiale du véganisme à Paris. Cependant, le fichier a été effectué au mois de mars 2016 et ne recense donc pas ceux qui ont ouvert après cette date.
Ces lieux ont ensuite été explorés à partir d’un choix typologique portant sur ces lieux comme des micro-lieux du véganisme parisien. L’analyse du discours passait par l’observation des lieux et de ses codes visuels mais aussi par la participation. S’attabler à un restaurant végane dans le cadre d’une recherche fait référence à une nouvelle méthodologie des sens qui pourrait être pertinente à approfondir dans un travail de thèse. L’observation doit être participante dans un restaurant. Se restaurer créé un lien avec les autre client.e.s et permet d’analyser les pratiques du lieu et ses représentations.
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