Géodynamique d’un hydrosystème tropical peu
anthropisé, le bassin supérieur du Niger et son delta intérieur
Le milieu naturel et humain
Nous insisterons, dans ce chapitre, sur l’opposition permanente entre le bassin supérieur du fleuve Niger et son delta intérieur, dualité qui structure l’ensemble de ce travail, et sur les facteurs influençant l’hydrologie du système et les phénomènes d’érosion chimique et mécanique. Ces facteurs vont commander la plus ou moins grande abondance des flux hydriques et régir la composition des contenus dissous et particulaires des eaux naturelles1 En abordant la description des processus physiques, chimiques, biologiques, et les perturbations anthropiques, qui peuvent agir sur les processus d’érosion, notre présentation n’a aucune prétention d’exhaustivité. Elle est volontairement limitée aux aspects pouvant intéresser ce travail, étant entendu que des développements ultérieurs pourront compléter l’information ébauchée ici. Elle comprend cependant, quelques développements plus généraux auxquels il pourra être fait référence dans la suite de cette étude. La structuration du chapitre s’appuie sur la succession logique, : des caractéristiques du milieu « récepteur » (cadres géographique, géologique et pédologique), dont son érodibilité, mais aussi le cadre hydrogéologique et la chimie de ses eaux souterraines ; des caractéristiques du climat, intervenant extérieur modelant le milieu, responsable de ses transformations, dont le pouvoir érosif des précipitations ; du cadre biologique résultant des cadres précédents avec en tout premier plan la végétation venant à son tour interférer sur les processus étudiés dans ce travail. L’ensemble a été réuni sous l’intitulé « facteurs conditionnels de la dynamique hydrologique et géochimique ». Les perturbations anthropiques sont évoquées dans une dernière partie : « l’occupation du milieu par l’homme », avec un bref aperçu de géographie humaine et un accent mis sur les sources ponctuelles et diffuses de pollution. Il convient de préciser que les aspects « eau, environnement, santé », avec tout ce qui concerne la bactériologie et les vecteurs de maladies, sortent du cadre de cette étude.
LE CADRE NATUREL DU BASSIN SUPERIEUR ET DU DELTA INTERIEUR DU FLEUVE NIGER
Facteurs conditionnels de la dynamique hydrologique et géochimique observée sur les cours d’eau du bassin du Niger : L’existence du fleuve Niger est déjà évoquée dans l’antiquité (Ptolémée, IIè siècle après J-C), puis par les voyageurs historiens arabes comme Ibn Battûta au XIVe siècle. Il apparaissait alors comme un tributaire du Nil issu de l’Afrique de l’Ouest (cartographie qui sera reproduite en Europe jusqu’au XVIIIe siècle). Il est également reconnu par les voyageurs européens entre la Guinée et Tombouctou tels que Mungo Park (1796) puis René Caillié (1828).Issu de la Dorsale Guinéenne qui sépare la Moyenne Guinée et la Guinée Forestière du Sierra Léone et du Libéria, le Niger, est le troisième fleuve d’Afrique par sa longueur (4200 km) après le Nil et le Congo. Il s’écoule suivant une direction générale Nord-Est jusqu’aux confins du Sahara. Il décrit alors une grande boucle dans sa traversée des régions sahéliennes et subdésertiques formant un delta intérieur (plus de 40 000 km2 ) où il perd une part importante de ses apports hydriques. Le cours du Niger retrouve ensuite la route de l’océan au fond du golfe de Guinée où il se jette, après la traversée d’un grand delta maritime, de 20 000 km2 (Figure 1). Le Niger traverse quatre pays (Guinée, Mali, Niger, Nigeria), mais avec ses affluents, son bassin versant intéresse aussi le Cameroun, le Bénin, le Burkina-Faso, et la Côte d’Ivoire. Huit pays sont donc concernés par le régime hydrique du Niger. Chapitre I Le milieu Naturel et Humain – 7 – 1.1. Cadre physique et géographique La partie du bassin du Niger qui intéresse cette étude comprend le bassin supérieur du fleuve Niger proprement dit et le basin du Bani, puis le delta intérieur du Niger (en amont donc du Niger moyen et du bas Niger) et s’étend entre le 9° et le 17° de latitude Nord. Cette zone couvre une superficie de 342 000 km2 (Error! Reference source not found.). Elle se situe principalement en Guinée (28%) et au Mali (62%), ainsi que de faibles superficies en tête de bassin en Côte d’Ivoire (environ 7%) et au Burkina-Faso (autour de 3%). La région du delta intérieur du Niger, zone tout à fait particuliere du cours du Niger, s’étend des environs de Ségou à Tossaye, le long du fleuve, bien que le delta intérieur proprement dit s’arrête à Korioumé (port de Tombouctou). Cette zone forme un grand parallélogramme d’axe SO-NE de 400 km de longueur et 125 km de largeur, sans limites de bassin versant bien établies (cf. chapitre VII).
Le bassin supérieur du Niger et le bassin du Bani
Le bassin du Niger supérieur se limite vers l’aval à la région de Ségou et forme un ensemble qui s’étend entre 8°35′ et 14° de latitude nord et 4° et 11° 30′ de longitude ouest, il est essentiellement constitué d’une zone de plateaux s’inclinant progressivement vers le nord-est, encadré au nord-ouest par le plateau Mandingue qui vient longer le fleuve, à l’ouest par le massif du Fouta-Djallon et au sudouest par les nombreuses chaînes d’origines géologiques très différentes qui viennent s’y raccorder. Le fleuve Niger prend sa source en Guinée, à 800 mètres d’altitude. Il draine, avec ses affluents et sous affluents, presque 100 000 km2 du territoire guinéen, correspondant aux régions naturelles de la Haute Guinée constituées essentiellement de plateaux. Ces plateaux, situés à une altitude moyenne de 400 m, s’étalent sub-horizontalement vers l’est, des contreforts du Fouta-Djallon à l’Ouest et de la dorsale Guinéenne au sud. Le reste du bassin descend en pente douce vers le nord-est entre les cotes 400 et 300 m, constituant une pénéplaine. La monotonie du relief, due à la longue érosion subie par les roches, est rompue par endroits par des buttes latéritiques à surface horizontale au sud-ouest et des plateaux gréseux dominant de vastes étendues de collines et plaines. A partir de là, le Niger coule à travers un paysage de plus en plus plat sur des dépôts continentaux quaternaires. Le cours du Bani, principal affluent du Niger (constitué par la confluence du Baoulé et du Bagoé), se situe presque entièrement dans la zone Mali-Sud (85% de son bassin à Douna). Cette zone est caractérisée par des plateaux très plats et de faible altitude (entre 280 et 400 m). Le Plateau Dogon, ou plateau de Bandiagara à l’est, s’étirant de Koutiala jusqu’à Douentza, constitue le seul relief important de la zone (791 m vers Koutiala sur le rebord est). Peu après la confluence entre le Baoulé et le Bagoé, le Bani coule sur les alluvions quaternaires pour finalement atteindre la plaine deltaïque avant Sofara, puis rejoindre le Niger à Mopti. Ces quelques lignes montrent que l’hypsométrie des deux bassins du Niger et du Bani est donc bien différenciée. Le Tableau 1 permet de mieux apprécier la répartition des altitudes pour le bassin du Niger à Koulikoro et celui du Bani à Sofara.
Le delta intérieur du Niger
A partir de Ségou pour le Niger et de Douna pour le Bani, le cours du Niger entre dans une immense plaine alluviale comblée par différents dépôts du quaternaire. Cette zone, connue sous les différents noms : delta central, cuvette lacustre, cuvette intérieure, ou delta intérieur du Niger, se caractérise par une géomorphologie qui rappelle les deltas rencontrés habituellement à l’embouchure des fleuves (dépôts d’alluvions et ramifications multiples). Géographiquement, les limites du delta sont définies par l’extension des eaux de crue (Ce thème sera plus amplement abordé dans le chapitre VII). Cette extension est toutefois limitée (outre les phénomènes hydrologiques), à l’est, par les reliefs du plateau de Bandiagara, dont l’altitude moyenne est de 700 m, soit à 400 m au dessus du delta ; à l’ouest, par le « delta mort », zone de dépôts anciens au dessus de l’actuel delta et enfin au nord, par une série de dunes orientées est-ouest (Gallais, 1967). La morphologie du delta intérieur du Niger se présente en quatre grands types morphologiques aux caractéristiques distinctes, largement décrits par ailleurs (Gallais, 1967 ; Gallais, 1979 ; Jaccoberger, 1987, 1988 ; Blanck & Lutz, 1990 ; McCarthy, 1993 ; Poncet, 1994). (1) le « haut delta » s’étend au sud d’une ligne schématique Tenenkou-Kouakourou-Sofara. Le milieu hydrique de cette zone comprise entre les deux tributaires du delta (Niger et Bani) s’organise autour de grands troncs hydrographiques permanents ou semipermanents bien marqués au tracé assez rectiligne. Pour Gallais (1967) la dynamique dominante était l’ablation des matériaux par les grands cours d’eau qui rongent leurs rives escarpées et déblayent les dunes aplaties. Les chenaux sont larges et bien tracés, stabilisés entre de hautes berges constituées par les dépôts alluviaux anciens. Ces derniers, forment des levées massives, exondées en permanence et à dominante sableuse.
Influence de la morphologie sur les phénomènes d’érosion/sédimentation
Les phénomènes d’érosion chimique et mécanique, ou les dépôts qui leur sont liés, trouvent à des degrés divers des éléments d’explication dans la morphologie et le relief des bassins versants. Les quelques concepts généraux présentés ici sont tirés de travaux dont les références récentes ont été sélectionnées. En faisant varier la surface d’exposition (surface de contact entre le minéral et la solution), le relief va avoir une influence sur l’altération chimique des roches (Berner & Berner, 1987, Viers,1998). Cependant, si l’étude de Summerfiel & Hulton (1994) indique bien que la variabilité des taux de dénudation chimique sur 30 grands fleuves s’explique par un paramètre de relief, cette influence sur l’érosion chimique reste un sujet de controverse (difficulté à isoler son rôle des autres facteurs influençant l’altération). L’importance de la pente sur l’érosion mécanique et son rôle relatif par rapport aux phénomènes climatiques, sont également difficiles à résoudre à l’échelle globale (Walling & Webb, 1996). De nombreuses études sur les écoulements et les matières en suspension transportées par les cours d’eau ont cependant montré une relation étroite entre le relief et la morphologie des bassins d’une part, et l’érosion mécanique d’autre part (e.g. Pinet & Souriau, 1988 ; Milliman & Syvitski, 1992 ; Summerfield & Hulton, 1994 ; Ludwig & Probst, 1996). Cette relation souligne le lien entre les taux de sédiments transportés par les rivières et la tectonique globale, facteur difficilement numérisable dans les études statistiques précédentes (Milliman & Syvitski, 1992).
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