Géochimie isotopique des eaux des formations
argileuses et calcaires du site Andra de Meuse/Haute-Marne
Le Bassin de Paris
Le Bassin de Paris est un bassin intracratonique subcirculaire de diamètre proche de 500 km entouré par des massifs anciens correspondant aux parties affleurantes du socle hercynien: les Ardennes au NE, les Vosges à l’Est, le Morvan au SE, le Massif Central au Sud et le Massif Armoricain à l’Ouest (Figure II- 1). C’est la subsidence, très active au Mésozoïque, qui a permis aux sédiments principalement marins, alimentés par l’érosion et l’altération des reliefs périphériques, de s’accumuler et d’être conservés dans ce bassin (Figure II- 2). Chapitre II : Contexte géologique et hydrogéologique de l’étude Page 21 sur 291 Figure II- 1: Carte géologique du Bassin de Paris; d’après la Carte géologique de la France au 1/1.000.000 (Chantraine et al., 1996): 1 : Quaternaire, 2 : Tertiaire, 3 : Crétacé supérieur, 4 : Crétacé inférieur, 5 : Jurassique supérieur, 6 : Jurassique moyen, 7 : Jurassique inférieur, 8 : Trias, 9 : Paléozoïque et socle hercynien; le cadre blanc représente la zone d’étude, d’après Chantraine (1996). Figure II- 2: Coupe schématique Ouest-Est du Bassin de Paris, d’après Chantraine (1996). Géochimie isotopique des eaux des formations argileuses et calcaires du site Andra de Meuse/Haute-Marne Page 22 sur 291
Histoire de la formation du Bassin de Paris
L’ensemble des informations géologiques consignées ci-dessous sont issues de la Synthèse géologique du Bassin de Paris (BRGM, 1980), de Mégnien (1980) et du Référentiel Géologique du site de Meuse/Haute-Marne (ANDRA, 2001).
1 Ère primaire
La formation du Bassin de Paris débute à la fin de l’ère primaire lorsqu’une distorsion fracture le socle hercynien en trois blocs: le bloc ardennais, le bloc armoricain et le bloc arveno-vosgien. Les failles de la Seine, de Sennely, du Pays de Bray, de la Marne et de Vittel contrôlent le mouvement et la subsidence de trois blocs et en conséquence, la sédimentation dans le bassin. Les sédiments les plus anciens déposés dans le bassin sont les sédiments continentaux du Carbonifère et du Permien. I.A.2 Ère secondaire C’est au cours de l’ère secondaire que s’est produit le comblement du bassin dû à la succession de cycles transgressifs et régressifs et à une sédimentation importante.
Le Trias (-245 à -208 Ma)
L’étirement crustal du Trias permet à la Mer Germanique, à l’Est, d’envahir progressivement le Bassin de Paris. La sédimentation est variée, détritique, puis marneuse et argileuse et enfin évaporitique et gréseuse à argileuse. Chapitre II : Contexte géologique et hydrogéologique de l’étude Page 23 sur 291
Le Jurassique (-208 à -145 Ma)
Au Jurassique, une sédimentation marine importante permet à 3000 m de sédiments de se déposer au cours d’une alternance de transgressions et de régressions. Le climat est de type subtropical. Au Jurassique inférieur, l’ouverture du domaine alpin maintient le régime extensif du Trias, globalement Est-Ouest. La transgression se poursuit à partir de l’Est mais aussi depuis le Sud-Est de la Téthys. La mer progresse sur les terres émergées et recouvre progressivement le Massif Central et les Vosges. La plate-forme calcaire qui s’installe par l’Est et le Sud laisse la place à un bassin à sédimentation argileuse de domaine marin ouvert. À la fin du Dogger, le régime s’inverse et devient régressif. À ce moment, les plates-formes carbonatées s’imposent dans le bassin, de l’Aalénien au Bathonien. À la fin du Callovien inférieur, le jeu des blocs du socle hercynien entraîne l’ennoyage des plates-formes. Les formations calcaires du Dogger sont recouvertes par des dépôts argileux de mer ouverte dont la profondeur est de l’ordre de la centaine de mètres. La fin de l’Oxfordien moyen est marquée par une reprise du régime régressif. Une nouvelle plate-forme carbonatée se met en place, elle évoluera vers un milieu plus confiné qui donnera lieu, à la fin de l’Oxfordien supérieur et au Kimméridgien, à une sédimentation marneuse. Au Tithonien, la sédimentation redevient calcaire avant qu’une émersion quasi-totale ne laisse subsister qu’une lagune au centre du bassin. La sédimentation est alors détritique et évaporitique.
Le Crétacé (-145 à -65 Ma)
Au début du Crétacé, l’assèchement des terres et le climat tropical entraînent une karstification et une importante érosion des formations sédimentaires antérieures par le système hydrographique. Avant de se retirer complètement du bassin, plusieurs ébauches de transgressions ont lieu par le Sud-Est depuis la Téthys, elles sont de faible envergure et ne dépassent pas le centre du bassin. Les dépôts du Crétacé inférieur à moyen sont principalement sableux, détritiques et argileux. Au Crétacé supérieur, le bassin est à nouveau envahi par la mer, cette transgression est d’ampleur mondiale et résulte du contexte extensif lié à l’ouverture de l’océan Atlantique. Géochimie isotopique des eaux des formations argileuses et calcaires du site Andra de Meuse/Haute-Marne Page 24 sur 291 Une relation entre le domaine téthysien et la mer boréale est établie. Le Massif Central et le massif de Londres-Brabant sont toujours émergés alors que le Massif Armoricain est en partie recouvert par la mer. La sédimentation est principalement de nature crayeuse. À la fin du Crétacé, la mer se retire dans les zones les plus basses. I.A.3 Ère Tertiaire À la suite du mouvement des blocs du socle, induits par les tectoniques pyrénéennes et alpines, l’accès au domaine téthysien est fermé dès le début du Tertiaire. Les différentes transgressions de cette ère se feront par le Nord, mais ne parviendront pas à recouvrir totalement le bassin, ce qui donne lieu à une sédimentation lacustre et détritique en bordure de bassin. Les terrains antérieurs sont érodés par le système hydrographique. C’est au cours du Pléistocène et de l’Holocène que le Bassin de Paris prend progressivement sa configuration actuelle. Aujourd’hui, l’épaisseur de sédiments accumulés atteint 3500 m après compaction dans la partie centrale du Bassin. I.B Hydrogéologie globale du Bassin de Paris Le Bassin de Paris comprend globalement quinze formations sédimentaires dont huit sont perméables et sept imperméables. Les aquifères, des plus superficiels aux plus profonds, se rencontrent dans les formations suivante : les sables de l’Albien (Crétacé inférieur), où l’aquifère est constitué d’eau douce, les calcaires dits « lusitaniens » (Oxfordien supérieur) où l’aquifère est discontinu, la salinité de ces eaux peut atteindre 5 g/l, les calcaires du Dogger avec des zones de recharge situées à l’Est et au Sud et un écoulement vers la Manche (NO); la salinité des eaux est généralement de 10 à 20 g/l et peut atteindre 30 g/l dans la partie centrale du bassin, Chapitre II : Contexte géologique et hydrogéologique de l’étude Page 25 sur 291 les grès du Rhétien et du Keuper (Trias) où les aquifères sont caractérisés par des gradients hydrodynamiques très faibles donc à des débits très inférieurs à ceux des aquifères supérieurs; leurs salinités sont élevées et dépassent 100 g/l dans le centre du bassin. Les aquifères du Dogger, du Rhétien et du Keuper ont été largement étudiés pour l’exploitation pétrolière et géothermique (Matray et al., 1989; Fouillac et al., 1990; Matray et Fontes, 1990; Wei et al., 1990; Fontes et Matray, 1993; Marty et al., 1993; Menjoz et al., 1993; Spötl et al., 1993; Matray et al., 1994; Pinti et al., 1997; Pinti et Marty, 1998). Les eaux actuellement présentes dans ces trois aquifères ont une composante saline triasique marquée, mais les processus d’acquisition de cette salinité diffèrent pour chaque aquifère. Les aquifères du Dogger et du Keuper ont été formés par la dilution de saumures marines peu évoluées par des eaux météoriques (Matray et Fontes, 1990) qui ont dû migrer via les grands accidents tectoniques (Matray et al., 1994). L’aquifère du Rhétien est, quant à lui, constitué d’un mélange entre une eau météorique et une saumure secondaire composée par une eau marine qui aurait dissous des évaporites (Fontes et Matray, 1993). Dans ces trois aquifères, on note également la présence de faibles quantités de saumures très évoluées. L’invasion par des eaux météoriques des formations du Dogger et du Trias est survenue à une/des époque(s) où les marges du bassin étaient émergées. Le début du Crétacé est la période la plus ancienne possible, lorsque le soulèvement du bloc vosgien a pu créer une charge hydraulique dans la partie Est du Bassin de Paris et ainsi établir un écoulement de fluides basé sur la gravité, qui aurait déplacé les fluides des marges vers le centre du bassin. Un autre écoulement de fluide a pu être établi pendant l’Oligocène par un soulèvement majeur. Matray et al. (1994) ont noté que les événements les plus probables sont relativement tardifs, d’âge plio-quaternaire, et concernent les mouvements tectoniques qui ont donné au bassin le régime hydrologique actuel. L’estimation des paléotempératures de recharge (Pinti et al., 1997) dans les eaux du Dogger fournit, dans le centre du Bassin de Paris, des eaux anciennes rechargées sous un climat tropical (26°C), datant de l’Éocène (55-36 Ma), ainsi que des eaux rechargées à une période plus froide (15 °C), probablement Miocène-début Pleistocène (20-1,6 Ma). Pour l’aquifère du Dogger, les zones de recharge actuelles sont situées à l’Est et au Sud comme le suggère la simulation Géochimie isotopique des eaux des formations argileuses et calcaires du site Andra de Meuse/Haute-Marne Page 26 sur 291 numérique réalisée par Menjoz et al. (1993) dont les lignes d’écoulement sont représentées Figure II- 3. L’ensemble des données de la littérature montrent que les eaux connées originelles ont été remplacées dans les aquifères profonds du Bassin de Paris par invasion d’eaux météoriques et que ces eaux sont anciennes et ont été préservées sur des périodes de temps estimées à plusieurs millions d’années. Figure II- 3 : Écoulements dans l’aquifère du Dogger du Bassin de Paris, d’après Menjoz et al. (1993). Les lignes de courants sont superposées à la distribution des profondeurs moyennes de production (lignes tiretées) ainsi qu’aux principales failles. Chapitre II : Contexte géologique et hydrogéologique de l’étude Page 27 sur 291 II La zone d’étude À l’Est du Bassin de Paris, dans la région où le Jurassique supérieur et moyen affleure, la zone d’étude est comprise entre le fossé de Gondrecourt à l’Est, la flexure d’Aulnois en Pertois au Nord, et les fossés de la Marne et de Joinville à l’Ouest (Figure II4). Elle est délimitée sur la carte .Sur le site du laboratoire souterrain de Meuse/Haute-Marne, elle correspond grossièrement : aux calcaires du Barrois, formation calcaire karstifiée à l’affleurement, à la formation marno-calcaire d’âge Kimméridgien, considérée comme semiperméable, aux calcaires de l’Oxfordien, peu perméables, mais présentant plusieurs niveaux faiblement producteurs d’eau, à la formation hôte du laboratoire souterrain de recherche, constituée par les argilites d’âge Callovo-Oxfordien, très imperméables, aux calcaires du Dogger, (bathoniens et bajociens) peu perméables mais présentant des niveaux producteurs d’eau, aux argilites du Toarcien, très peu perméables, aux formations triasiques qui sont des aquifères à l’échelle régionale, mais dont les propriétés aquifères ne sont pas connues sur la zone d’étude en raison de l’absence de forages les atteignant. Les calcaires de l’Oxfordien et du Bathonien ont subi des paléocirculations de fluides, avec pour conséquence la réduction de leurs porosités respectives par précipitation de ciments calciques secondaires dans la porosité primaire, les géodes et les microfractures. L’eau parente de cette calcite secondaire est d’origine météorique (Buschaert, 2001; André, 2003; Buschaert et al., 2004, Hibsch et al., 2005) et seraient dues à des circulations de fluides en provenance des formations triasiques sous-jacentes (Maes, 2002). Les paléocirculations de fluides n’auraient pas affecté les argilites du Callovo-Oxfordien plus imperméables (Buschaert et al., 2004). Géochimie isotopique des eaux des formations argileuses et calcaires du site Andra de Meuse/Haute-Marn.
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