Migration en eau de mer
La migration implique des comportements spécifiques issus de la sélection naturelle (Dingle et Drake, 2007). En effet, on doit s’attendre à observer chez les migrants une optimisation du fitness par le changement approprié d’habitat (Krebs et Davies, 1993). Le poisson migre si la croissance et la survie sont favorisées, améliorant ainsi leur succès reproducteur, par l’utilisation d’un deuxième environnement et ce malgré le coût que ce déplacement engendre en comparaison des avantages de demeurer dans le même habitat pour la même période déterminée (Gross, 1987). Suite à leurs travaux sur le terrain chez l’omble de fontaine, Morinville et Rasmussen (2003) ont conclu que les poissons migrants adoptaient cette stratégie possiblement à cause d’une limitation énergétique. Les résidents seraient donc les plus performants au niveau de l’efficacité en eau douce, mais ultimement les anadromes au retour de leur séjour en mer seraient plus gros et plus féconds. Ainsi, les oeufs et la progéniture seraient plus gros et auraient de meilleures chances de survie. Une étude sur les effets maternels a d’ailleurs démontré que, chez l’omble de fontaine, le poids de la femelle était fortement corrélé avec la taille de l’embryon, du sac vitellin et de la longueur de l’alevin (Pen)’ et al., 2004).
Parmi les salmonidés, le genre Salvelinus (à l’exception des corégones) est cel ui qui présente l’anadromie la moins prononcée et une résidence en eau salée de courte durée (Power, 1980). Comparativement au saumon atlantique, [‘omble de fontaine présente une smoltification peu développée (McCormick et al., 1985). La migration s’effectue davantage vers les abords de la rivière en eau saumâtre, ou bien dans le cas d’une migration en milieu marin elle nécessite une stabulation en milieu estuarien pour permettre l’acclimatation à l’eau salée (Outil et Power, 1980; McCormick et al., 1985). Les déplacements et la durée du séjour en eau saumâtre semblent être contrôlés par la salinité, la température et la maturation sexuelle (Outil et Power, 1980). Dans la rivière Laval, les travaux de Curry et collaborateurs (2006) ont démontré que les ombles de fontaine migraient principalement à l’intérieur de la baie Laval et que rares étaient les déplacements en dehors de la baie. Les ombles ont été observés à des salinités variant de 1 à 34 ppm, mais majoritairement entre 26 et 30 ppm.
Chez les ombles de fontaine anadromes, la dévalaison se fait au printemps et la durée passée en milieu estuarien peut varier en fonction de divers facteurs abiotiques, tels la température et la salinité et par des facteurs biologiques, notamment la maturation sexuelle (Outil et Power, 1980; Castonguay et al., 1982). Par ailleurs, on sait que la capacité d’adaptation en milieu estuarien varie en fonction de la période de l’année (Claireaux et Audet, 2000). En milieu naturel, au Québec et au nord du Nouveau-Brunswick, les migrations en milieu salé durent de deux à trois mois au printemps et les ombles anadromes remontent les rivières (montaison) du milieu de l’été jusqu’à la période de reproduction. La disponibilité alimentaire en eau salée étant plus élevée, cette migration offre par le fait même la possibilité d’une meilleure croissance (Whoriskey et al., 1981; Ooyon et al., 1991). Différents patrons de migration ont cependant été rapportés démontrant des migrations après la période de reproduction vers l’estuaire supérieur, ce milieu servant alors de refuge hivernal (Castonguay et al., 1982; Lenormand et al., 2004). La smoltification est une étape importante du développement chez les salmonidés.
Elle prépare leur entrée en eau de mer. Il semblerait que le synchronisme entre cette préparation et le mouvement migratoire soit régulé par des facteurs environnementaux. Chez les salmonidés migrants, il a été établi que la smoltification et la maturation sexuelle étaient influencées par les changements photopériodiques du printemps ou de l’automne (Hoar 1988; Randall et Bromage, 1998; Stefansson et al., 2007). De plus, l’atteinte d’une certaine taille semble être liée au déclenchement du processus chez l’omble de fontaine (Morinville et Rasmussen, 2003; Thériault et Dodson, 2003). La smoltification implique des séquences spécifiques d’évènements impliquant des changements au niveau cérébral, endocrinien, structurel, physiologique et comportemental (Hoar, 1988; Boeuf, 1993; McConnick et af., 1998; Ebbesson et al. 2008). Bon nombre de fonctions physiologiques telles que la circulation, l’excrétion, la respiration, la croissance et l’ osmorégulation sont impliquées et affectées lors du processus, signe que la smoltification nécessite l’action de plusieurs systèmes (Boeuf, 1993).
Les hormones impliquées Plusieurs hormones sont impliquées dans le contrôle endocrinien de l’osmorégulation lors du passage de l’eau douce vers l’eau salée. La prolactine est reconnue comme étant l’hormone d’adaptation à l’eau douce. L’hormone de croissance (GH), le facteur de croissance de type insulinique (IGF-l) et le cortisol seraient plus spécifiquement impliqués dans l’acclimatation à l’eau salée (Sakamoto et al., 1993; McCormick, 1996; McCormick, 2001). Chez le saumon atlantique, un traitement d’hormone de croissance (GH) augmente le nombre de récepteurs au cortisol dans les branchies (Shrimpton et McConnick, 1998), ce qui a pour effet de stimuler l’activité de la Na+/K+ATPase (Shrimpton et McCormick, 1999). Le rôle des hormones thyroïdiennes en lien avec la smoltification a aussi été étudié. Certains rôles de la glande thyroïde sont bien définis, notamment pour l’empreinte olfactive (Hoar, 1976) et la livrée argentée (Hoar, 1988). Plusieurs études ont pu démontrer des profils saisonniers des concentrations d’hormones thyroïdiennes.
Les valeurs maximales étaient atteintes au printemps chez le saumon coho (Oncorhynchus kisutch) (Dickoff et al., 1982) et chez l’omble de fontaine (Audet et Claireaux, 1992). Comme ce moment coïncide avec la migration, le développement des mécanismes osmorégulatoires semble nécessiter une activité de la glande thyroïdienne puisqu’une augmentation de la concentration plasmatique en T3 (triiodothyronine) et du ratio T3/T4 (thyronine) suite à un transfert en eau salée est observée chez la truite brune et la truite arc-en-ciel (Leloup et Lebel, 1993). D’autres études ont montré des variations de concentration en lien avec l’adaptabilité à l’eau de mer chez l’omble de fontaine (Boula et al., 2002; Lavallée, 2004). Par contre, le lien direct entre les hormones thyroïdiennes et les mécanismes d’ osmorégulation n’est pas encore clair (Leatherland, 1994; Ebbesson et al., 2008).
Plasticité phénotypique ou divergence génétique? D’un point de vue évolutif, Curry et collaborateurs (sous presse), ont récemment émis l’hypothèse que le comportement de résidence aurait émergé des individus anadromes était la plus probable pour expliquer la présence des deux formes. D’ailleurs, lorsque que l’environnement le permet, le comportement anadrome est exprimé. La présence simultanée des deux formes est donc le résultat d’une sélection naturelle sur l’adoption d’une stratégie menant vers une divergence génétique. La présence d’une plasticité phénotypique montre que les deux formes seraient actuellement moins différenciées que lorsqu’une divergence génétique est achevée. La plasticité phénotypique se définie comme étant un changement dans les caractéristiques d’un organisme en réponse à un signal environnemental (Schlichting et Smith, 2002). Ainsi, ces différences de stratégie de vie peuvent être interprétées comme découlant d’une grande plasticité phénotypique, les ombles pouvant adapter leur physiologie et leur comportement à une vaste étendue de conditions environnementales (Hutchings, 1996). Des études ont montré des différences physiologiques, principalement liées à l’allocation d’énergie (Morinville et Rasmussen, 2003) et des différences morphologiques (Morinville et Rasmussen, 2008), soit l’existence d’une relation entre la taille et la tactique utilisée (Thériault et Dodson 2003; Thériault et al., 2007b) chez l’omble de fontaine.
Signe de la présence d’une plasticité phénotypique, Thériault et collaborateurs (2007a) ont observé que les deux fonnes se reproduisaient entre elles et que la progéniture en résultant était viable. Ainsi, sur la rivière Ste-Marguerite (un tributaire du Saguenay), les ombles de fontaine anadromes et résidents feraient partie du même pool génétique. Sur la rivière Laval (Côte-Nord), la situation est différente de celle de la rivière Ste-Marguerite. Dans cette rivière (Laval) l’étude des ombles de fontaine anadromes et résidents a établi que les deux fonnes constituaient deux populations distinctes (Boula et al., 2002). Chez les jeunes stades, Perry et collaborateurs (2005a) ont mis en évidence que la différenciation entre les anadromes et les résidents de la rivière Laval pouvait être attribuable à la sélection naturelle et serait donc adaptative. Nous savons aussi qu’en milieu naturel ces deux populations montrent des différences physiologiques dans un même environnement, notamment au niveau de l’activité de la Na+/K+ATPase branchiale et des honnones thyroïdiennes (Boula et al., 2002; Lavallée, 2004).
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