Genèse du modèle Territoire Zéro Chômeur Longue Durée
Les fondements du concept Territoire Zéro Chômeur Longue Durée (TZCLD) ont été posés en 1995 par l’association ATD Quart Monde et le réseau « Travail, Métier » lors d’une expérimentation à Seiches-sur-le-Loir menée par Patrick Valentin.
Le chômage longue durée avait augmenté de 11,8% en 1994 et la courbe de l’emploi marquait une difficile reprise après sa chute amorcée en 1990. De mai 1990 à mai 1994, le nombre de chômeurs était passé de 2,2 millions à 3,1 millions. Les bénéficiaires du RMI (indicateur sur les personnes éloignées de l’emploi) augmentaient de 17,4% par an entre 1989 et 1994 pour atteindre 910.000 personnes fin 1994. Moins de 158.000 personnes bénéficiaient d’un emploi aidé dans une structure associative ou collectivité.
L’économie peinant à créer des emplois, des besoins différents (secteur tertiaire en hausse et autres secteurs en difficultés) et augmentation des demandeurs d’emplois longue durée ont obligé les acteurs associatifs à repenser les modes de prise en charge. L’isomorphisme, souvent induit par la tutelle de l’état, d’un certain nombre de structures de l’IAE a éloigné ces dernières du public visé initialement. En outre, les publics fragilisés ont des difficultés à s’inscrire durablement dans une reprise d’activité dans le champ classique du monde du travail malgré les dispositifs existant:
« Chez nous on a tout : la Mission locale, les entreprises d’insertion, tous les dispositifs qui existent et pourtant on voit que le chômage continue d’augmenter… En fait on ne sert à rien, on est complètement impuissant. Même l’économie sociale et solidaire est amenée à faire le tri, à choisir parmi les gens qui sont au chômage. ».
Un nouveau besoin non pourvu apparaissait et le monde de l’économie sociale et solidaire a modélisé une solution dans l’attente d’une appropriation du problème par l’action publique.
A l’époque, l’Association Intermédiaire de Travail Adapté (AITA), avec son expertise auprès des publics sans emploi, a porté le projet cinq ans après sa création. C’est donc au sein même de l’Insertion par l’Activité Economique qu’une réflexion a été menée sur les modes de prise en charge des publics précaires au sein d’un territoire donné. Les acteurs publics locaux ont tous été actifs sur ce projet dont la question de départ [pour les personnes éloignées de l’emploi] était : « Est-ce du travail utile et à long terme » .
Cette expérimentation reposait sur deux « particularités essentielles » :
-Une « subvention d’équilibre » pour équilibrer le coût salarial en mobilisant les allocations non redistribuées (allocations Pôle Emploi, RMI, FNS, CAF etc).
-La volonté de créer des emplois ne rentrant pas en concurrence avec des emplois existants. Bien que cela soit cohérent avec l’esprit de l’IAE (fonctionnement sur fonds publics et non concurrence avec le secteur marchand), ce projet innovait dans l’approche territoriale de la notion d’utilité sociale et d’insertion :
« Il a été nécessaire de rencontrer tous les interlocuteurs de la Commune, toutes les personnes susceptibles d’indiquer les travaux utiles qui n’étaient pas encore solvabilisés. » .
Entre la participation des personnes sans emploi et les enquêtes auprès des différentes parties prenantes autour de cette Recherche et Développement de l’emploi rural, les principes même de l’ESS sont abordés.
Afin d’atteindre ces objectifs de participation des personnes éloignées de l’emploi et d’utilité sociale, l’association a voulu créer une « entreprise locale polyvalente ». Elle a ainsi travaillé sur un budget prévisionnel incluant les économies réalisées pour les collectivités au travers de la suspension des prestations sociales. Les activités retenues par les habitants et les acteurs publics/associatifs étaient en grande partie source de lien social auprès des jeunes, des personnes âgées et des collectivités dans un territoire étendu. Elles tournaient autour de la culture (foyer jeunes, maison de retraite, bibliothèque, ferme pédagogique), les espaces verts, le tourisme, l’agriculture, les forêts ou encore les services aux personnes/collectivités. Malgré la pertinence et l’utilité de ce projet, le préfet n’a pas pu donner son accord et ainsi orienter les financements qui, déjà à l’époque, instauraient une hybridation des ressources. Le concept d’emploi en CDI et d’utilité sociale sur un territoire était né. ATD Quart Monde et son concepteur, Patrick Valentin, continueront à promouvoir ce projet au-delà d’initiatives locales pendant que l’IAE obtenait reconnaissance et déploiement dans un contexte socio économique de plus en plus dégradé.
Inscription de la modélisation des TZCLD dans l’action publique
La loi organique n°2003-704 du 1er Août 2003 relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales ouvrira la possibilité d’expérimenter un tel concept. Et il faudra attendre encore huit ans avant qu’ATD Quart Monde relance ce projet et trouve des appuis au travers d’autres associations fondatrices à portée nationale (Emmaüs, Secours Catholique, Emmaüs France, Pacte civique et la Fédération des acteurs de la Solidarité).
Selon la DREES, le nombre de foyers bénéficiaires du RSA dépasse les 2,5 millions en 2015. Soit presque le triplement des personnes vivant avec les minimas sociaux en 20 ans.
Ces chiffres vertigineux s’inscrivent dans un contexte socio-économique dans lequel l’IAE est fortement sollicitée et dont il est nécessaire de comprendre l’évolution depuis ses débuts et les logiques fondatrices d’un projet se voulant différent des structures existantes. Pour mieux saisir le contexte de l’insertion professionnelle, revenons sur les logiques de prise en charge des publics précaires et de la naissance de l’IAE.
L’insertion par l’activité économique
Il n’est pas ici question de faire un procès au secteur de l’IAE, acteur historique de la prise en charge des publics oubliés des politiques publiques, mais de comprendre comment les TZCLD s’inscrivent dans la continuité et la complémentarité de ces dispositifs.
Historique de l’IAE :
Une des formes les plus sociales (tournées vers la précarité) de l’ESS est l’Insertion par l’Activité Économique. Si l’IAE est « rentrée sur la scène politique par les petits boulots » le 3 Mai 1987 par la parution au journal officiel de la circulaire normalisant et légalisant des pratiques citoyennes ou syndicales visant à circoncire le chômage endémique dans certaines zones, ce champ socio-économique est aussi âgé que l’économie sociale et solidaire. Et aussi surprenant que cela puisse paraitre, mon métier d’éducateur technique spécialisé est étroitement lié, de par son Histoire et sa création, à l’IAE et l’ESS. L’industrialisation de la France au début du XVIIIème siècle ayant envoyé les parents dans les usines, de nombreux enfants non scolarisés (et n’ayant pas accès à l’école) se sont retrouvés à la rue et, pour un bon nombre, amenés à commettre des délits. C’est le mouvement philanthropique porté notamment par De Tocqueville, au début des années 1830, qui cherchera des alternatives à la prison grâce à l’insertion par l’activité et l’encadrement de contremaitres bienveillants, formés à la prise en charge des jeunes dans des métiers manuels recherchés tels que le maraichage ou la menuiserie. La ville de Paris proposait également d’accueillir à partir de 1886 les personnes à la rue et notamment les femmes (les « indigentes ») dans des « asiles-ouvroirs » où, en échange du gîte et du couvert, les pauvres devaient travailler 10 heures par jour, excepté le dimanche. C’était le début de « l’assistance par le travail » : « le recours au travail comme un élément central du fonctionnement, ces structures s’inscrivent en rupture avec celles du secteur privé confessionnel ou philanthropique. L’idée est à la fois de faire du travail un moyen de remboursement des frais occasionnés par l’hébergement, mais aussi de proposer un petit salaire pour l’assisté » .
Un de ces centres les plus connus est le CHRS Pauline ROLAND situé dans le 19ème arrondissement de Paris, site ayant accueillit en échange de travail des centaines de femmes en grande précarité pendant plus d’un siècle. Le travail de blanchisserie pour différents services de la commune de Paris permettait d’offrir des dizaines de postes dans des conditions souvent très difficiles.
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