Généralités sur les tokamaks
Le tokamak est l’un des principaux types de machines utilisées pour l’étude de la fusion par confinement magnétique, avec le stellarator. Le plasma y est confiné dans un volume de forme torique par un champ magnétique d’une intensité de plusieurs Teslas. Cette configuration se distingue par l’addition d’une composante poloïdale du champ magnétique générée par un courant plasma. Elle fut développée en Russie dans les années 1950-60. Son efficacité fut mise en évidence en dans la période 1966-69, où il fut montré que le tokamak T3 (Moscou) permettait d’accéder à des performances1 bien supérieures à celles des autres machines existant à cette époque [Peacock 69]. A partir de cette date, de nombreux tokamaks de dimensions de plus en plus grandes furent construit un peu partout dans le monde. Actuellement, une trentaine de machines existent, dont la longueur du grand rayon du plasma va de plusieurs dizaines de centimètres jusqu’à environ 3 mètres pour JET, situé à Culham (Royaume-Uni). Parmi les autres principaux tokamaks peuvent être mentionnés JT-60 (Japon), DIII-D (Etats-Unis), ASDEX (Allemagne), Alcator C-Mod (Etats-Unis) ou Tore Supra, basé à Cadarache (France). ITER, prochain grand tokamak, sera également implanté à Cadarache. Il s’agit d’un grand projet international de recherche, dont le coût prévu est de l’ordre de 10 Milliards d’euros. Le démarrage des expériences devrait s’effectuer vers 2019. Le petit et le grand rayon de la machine seront respectivement d’environ 2 et 6 mètres. Actuellement, une grande partie des recherches en fusion est orientée vers des problématiques directement reliées à son fonctionnement. Les plasmas d’ITER seront majoritairement chauffés par les réactions de fusion, ce qui n’est pas le cas sur les machines actuelles. Alors qu’aujourd’hui le record de puissance fournie par les réactions de fusion est de 16 MW dégagés pour 25 MW fournis2 (obtenu sur JET),les réactions de fusion sur ITER devraient pouvoir générer 500MW pour 50 MW de puissance injectée. Les premières études expérimentales du comportement d’un plasma (confiné magnétiquement) majoritairement chauffé par fusion nucléaire pourront alors être effectuées. En revanche, ITER sera une machine “de recherche”, ne produisant pas d’énergie électrique. Le statut de DEMO, dont la mise en opération est prévue vers 2035, sera différent : cette machine constituera un prototype de centrale capable de fournir environ 2 GW. 1.1 Principe du tokamak Dans un tokamak, un champ magnétique est utilisé pour confiner un plasma de température élevée (de l’ordre de la centaine de Millions de degrés) le plus loin possible de tout élément matériel. En présence d’un champ magnétique suffisamment intense, une particule chargée effectue un mouvement cyclotronique : sa trajectoire est hélicoïdale (figure 1.1). Le mouvement circulaire est caractérisé par la fréquence cyclotronique Ω et le rayon de giration (ou de Larmor) ρL, valant respectivement : Ω = eB m ρL = Vc Ω = mVc eB (1.1) où e est la charge de la particule, m sa masse, B l’intensité du champ magnétique, et Vc sa vitesse projetée dans le plan perpendiculaire aux lignes de champ magnétique. Dans les conditions typiques d’un plasma de tokamak (par exemple B = 3 T, Vc ∼ p kT/m avec une température T = 1 keV), le rayon de Larmor est de l’ordre du millimètre pour un ion Deuterium, et de quelques dizaines de micromètres pour un électron. L’écart d’une particule à la ligne de champ autour de laquelle elle effectue son mouvement cyclotronique reste ainsi très faible devant les dimensions de la machine, de l’ordre du mètre. La géométrie de lignes de champ magnétique d’un tokamak est torique ; celles-ci n’interceptent pas de parois matérielles (excepté dans la région, restreinte, du limiteur/diverteur, au bord du plasma). Un champ magnétique toroïdal est crée par une série de bobines entourant le plasma. Un tel champ n’est pas suffisant pour assurer le confinement : en effet, à cause de l’inhomogénéité de B, dont la composante toroïdale est inversement proportionnelle à la distance à l’axe de symétrie, les particules sont soumises à un mouvement de dérive verticale (cf §2.1.1), dont le sens est opposé pour les ions et les électrons. Si le champ magnétique était purement toroïdal, un champ électrique vertical s’établirait alors pour assurer la conservation 18 Fig. 1.1: Mouvement cyclotronique d’ions et d’électrons le long d’une ligne de champ magnétique (le mouvement parallèle peut également s’effectuer dans le sens opposé). de la charge, en causant un mouvement global du plasma (à cause de la dérive E × B, voir également §2.1.1) vers la paroi externe qui détruirait le confinement. Fig. 1.2: Géométrie du tokamak et lignes de champ magnétiques. Afin de remédier à cela, une composante de B dans la direction poloïdale doit être ajoutée (figure 1.2). Dans un tokamak, celle-ci est créée par un courant d’intensité élevée (∼ MA pour un grand tokamak) circulant dans la direction toroïdale. Les lignes de champ s’organisent alors en surfaces magnétiques de forme torique, sur lesquelles elles sont tracées. Une particule donnée se déplace le long d’une ligne de champ (mouvement à l’ordre zero), et séjourne ainsi alternativement dans les demi-plans supérieurs et inférieurs du Tore. Le mouvement de dérive verticale (ordre un) est dirigé tantôt vers l’intérieur, tantôt vers l’extérieur. Le confinement des trajectoires est ainsi assuré : l’écart radial maximal d’une particule à la surface sur laquelle 19 elle se trouve initialement reste faible devant les dimensions radiales de la machine. La figure 1.3 représente la trajectoire d’une particule projetée dans le plan poloïdal ou (R, Z), où R est la distance à l’axe de symétrie et Z la hauteur relativement au plan médian.
Quelques aspects du déroulement d’une expérience de tokamak
Fig. 1.4: Principaux éléments d’un tokamak : bobines toroïdales (gris), circuit magnétique primaire (mauve), bobines poloïdales (bleu) (source : www.fusie-energie.nl). Nous poursuivons dans ce paragraphe la présentation du tokamak en suivant le déroulement d’une décharge plasma (expérience) typique. Dans un tokamak, la durée d’une décharge, pendant laquelle un plasma à haute température existe dans l’enceinte, est en général limitée par l’échauffement des divers composants. Ainsi, sur JET, les expériences ne dépassent pas une minute afin de prévenir un échauffement excessif des bobines de champ toroïdal. Sur Tore Supra, grâce notamment à l’emploi de bobines supraconductrices, la durée des décharges peut aller jusqu’à 6 minutes. Une autre contrainte vient de l’emploi d’un solenoïde central pour générer le courant plasma (en rose sur la figure 1.4), dont le flux magnétique est limité. Une tension autour du plasma, de l’ordre du Volt, est en effet créée par une variation continue du flux dans le circuit magnétique autour duquel le plasma est “enroulé” à la manière d’un circuit secondaire de transformateur (loi de Lenz). Le courant dans le solenoïde central est varié pour créer ce flux magnétique, mais doit rester compris entre deux extrema. Ainsi, la quantité de flux 21 magnétique disponible pour générer le courant plasma est limitée, ce qui restreint la durée d’une décharge en l’absence d’utilisation de méthodes de génération non-inductive de courant (i.e. ne consommant pas de flux magnétique) . La création initiale d’un plasma est l’une des phases les plus consommatrices en flux magnétique. En effet, une tension par tour minimale est nécessaire pour ioniser le gaz présent dans l’enceinte à vide, dont la pression est initialement de l’ordre de 10−4 Pa sur Tore Supra. Le champ électrique longitudinal associé est de l’ordre de 1V/m. Au moment de la création du plasma, le courant électrique est trop faible pour que le champ magnétique poloïdal n’assure son bon confinement. A cause de la dérive verticale et du mécanisme décrit dans le paragraphe précédent, un champ magnétique crée par les bobines de champ poloïdales et dirigé verticalement, doit être ajouté pour empêcher le plasma d’être entraîné en direction de la paroi externe. Dans la phase initiale de la décharge, l’effet Joule associé au courant plasma est à l’origine d’une augmentation de la température. La résistivité d’un plasma décroit avec sa température électronique (en T −3/2 e ), ce qui permet à un courant de plus en plus important de circuler pour une tension autour du plasma identique et donc d’un augmenter l’effet Joule…jusqu’à ce que le plasma atteigne des températures de l’ordre du keV où ce chauffage dit ohmique perd son efficacité, la résistivité du plasma devenant trop faible. Il existe deux principales façons d’assurer le contact entre plasma et paroi matérielles : par un limiteur ou un diverteur. Dans le premier cas, le plasma s’appuie directement sur la surface du limiteur, en général spécialement conçue pour absorber des flux de chaleur importants. Dans le cas d’un diverteur, une zone de champ magnétique poloïdal nul permet d’éloigner le plasma des parois matérielles. Celle-ci est créée par un courant exterieur parallèle au courant plasma. L’énergie des ions frappant les surfaces matérielles est alors réduite, ce qui diminue l’émission d’impuretés par pulvérisation. Il s’agit de l’un des avantages de la configuration diverteur par rapport au limiteur. En effet, la présence d’impuretés n’est pas souhaitable : celles-ci diluent le combustible, et refroidissent le plasma par rayonnement. Les températures visées pour réaliser la fusion sont de l’ordre de 10 keV, il est alors nécessaire d’utiliser des moyens de chauffage additionnels. Ceci peut être réalisé par l’injection d’ondes de puissance élevée (plusieurs MW) à des fréquences permettant une absorption résonante par le plasma. Les fréquences caractéristiques utilisées sont la fréquence cyclotronique ionique (ou FCI, dans la gamme 40 − 60 MHz sur Tore Supra) et la fréquence de résonance hybride basse (ou LH pour “Lower Hybrid”∼ 5 GHz). Il existe également un chauffage à la fréquence cyclotronique électronique (ou FCE, ∼ 100 GHz), mais celui-ci est en général plus utilisé dans le but de modifier les propriétés locales du plasma.