Etude des mécanismes de transport d’une famille de lipides d’enveloppe, les polyphléates de tréhalose, chez Mycobacterium smegmatis
Les mycobactéries et leur enveloppe
Généralités sur les mycobactéries
Les mycobactéries sont des bacilles aérobies strictes, asporulés et non mobiles, appartenant à la classe des actinobactéries, dans l’ordre des Corynebacteriales et plus précisément dans la famille des Mycobacteriaceae. Récemment, une analyse phylogénétique d’environ 2000 protéines centrales de 150 espèces mycobactériennes a permis de diviser cette famille en cinq genres distincts : Mycobacterium (clade Tuberculosis-Simiae), Mycobacteroides (clade Abscessus-Chelonae), Mycolicibacillus (clade Triviale), Mycolicibacter (clade Terrae) et Mycolicibacterium (clade Fortuitum-Vaccae) (Figure 4) (Gupta et al., 2018). Chaque genre comporte des marqueurs moléculaires (protéines et indels) spécifiques, en plus des marqueurs moléculaires conservés chez toutes les espèces mycobactériennes.
Les 188 espèces de mycobactéries répertoriées à ce jour sont divisées en deux groupes en fonction de leur caractère pathogène. Les pathogènes stricts incluent les bactéries du complexe M. tuberculosis (MTBC), un ensemble d’espèces responsables de la tuberculose chez l’Homme et l’animal, ainsi que Mycobacterium leprae, responsable de la lèpre. Les mycobactéries restantes sont regroupées au sein des mycobactéries non tuberculeuses (MNT) un large groupe comprenant des mycobactéries pour la plupart saprophytes mais également des pathogènes opportunistes. Les MNT sont divisées en deux groupes en fonction de leur vitesse de croissance. Les mycobactéries à croissance lente forment des colonies sur boite en plus de sept jours, tandis que les mycobactéries à croissance rapide forment des colonies en moins de sept jours.
En 1959, Ernest Runyon est le premier à avoir proposé une classification des MNT en quatre catégories basées sur leur production de pigments, où les trois premières catégories regroupent les bactéries à croissance lente et la quatrième, les mycobactéries à croissance rapide (Runyon, 1959). Trente ans plus tard, une nouvelle méthode de classification a été proposée, basée non plus sur des critères phénotypiques mais sur la comparaison des séquences de l’ARN ribosomique 16S (Olsen and Woese, 1993). Cette méthode a permis la classification de la plupart des MNT.
Certaines espèces ne pouvant cependant pas être clairement classées par cette méthode, l’utilisation d’autres gènes de ménages comme marqueurs a également été proposée, comme la comparaison des séquences codantes pour les protéines Hsp65 ou RpoB (Kim et al., 2005). Enfin, l’amélioration des techniques de séquençage a permis l’entrée dans une nouvelle ère, avec l’analyse des variations d’un seul nucléotide au sein d’un même gène, le séquençage multi-locus et le séquençage sur génome entier. Ces avancées précisent encore d’avantage la classification des MNT (Fedrizzi et al., 2017).
Les mycobactéries pathogènes strictes
Les mycobactéries pathogènes strictes n’ont pas de réservoir dans la nature et se multiplient donc seulement par infection d’un hôte. Parmi elles, le complexe MTBC comprend les principales espèces causant la tuberculose humaine et animale, M. tuberculosis, M. africanum, M. canettii ainsi que M. bovis et la souche vaccinale M. bovis Bacille CalmetteGuérin (BCG) (Orgeur and Brosch, 2018). Ce sont des bacilles à croissance lente dont le temps de doublement est d’environ vingt-quatre heures.
Le complexe MTBC semble avoir évolué à partir d’une espèce de mycobactérie environnementale ayant acquis des mutations clés durant l’évolution, lui permettant de devenir un ensemble de pathogènes très efficaces. Le terme « efficace » vient du fait que l’inhalation d’un seul bacille suffit au déclenchement de la pathologie, la tuberculose. La tuberculose est une maladie très ancienne qui se transmet presque exclusivement par voie aérienne. Elle touche la plupart du temps les voies respiratoires mais peut également se propager à d’autres organes, comme le cerveau. En 2018, la tuberculose a causé plus de 1,2 millions de morts dans le monde, principalement en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Il est estimé qu’environ un tiers de la population mondiale est porteuse de la bactérie M. tuberculosis, en faisant un réservoir très important (World Health Organization, 2019). Le cycle infectieux du bacille de la tuberculose est bien caractérisé (Ernst, 2012). Lors de l’inhalation d’un bacille, celui-ci atteint le poumon et est phagocyté par les macrophages alvéolaires. Cette primo-infection engendre une tuberculose active dans 10 % des cas, caractérisée par des symptômes tels qu’une toux chronique, des expectorations sanglantes, de la fièvre, des sueurs nocturnes et une perte de poids. Dans 90% des cas, une réponse immunitaire est mise en place et aboutit à la formation d’une structure multicellulaire : le granulome. Cette structure permet de contenir le bacille et d’empêcher sa dissémination, mais rarement de l’éliminer. Cette phase de tuberculose latente, asymptomatique, peut durer plusieurs années. Dans environ 10% des cas, la maladie est réactivée suite à un affaiblissement du système immunitaire, entrainant la rupture du granulome et la prolifération et la dissémination des bactéries et l’infection possible d’un nouvel hôte.
Les mycobactéries non tuberculeuses
Les MNT regroupent toutes les mycobactéries n’appartenant pas au MTBC et aux souches de M. leprae, soit environ 170 espèces. La plupart d’entre elles sont 20 environnementales et saprophytes, c’est-à-dire qu’elles ne causent pas de pathologie chez l’Homme. C’est le cas notamment de Mycolicibacterium smegmatis, le modèle mycobactérien le plus utilisé en laboratoire, qui a également l’avantage de croître rapidement (temps de génération d’environ trois heures).
D’autres MNT sont, en revanche, des pathogènes opportunistes, capables d’infecter des personnes présentant des prédispositions ou des pathologies avérées (atteintes de mucoviscidose par exemple) ou des personnes immunodéprimées (M.-L. Wu et al., 2018). Ces mycobactéries peuvent causer des pathologies diverses, regroupées au sein du terme mycobactérioses, qui touchent particulièrement les poumons mais aussi les ganglions, la peau, les tissus mous ou encore les os (Koh, 2020). Les cas de mycobactérioses sont en forte augmentation. Aux Etats-Unis par exemple, le nombre de maladies pulmonaires causées par des MNT augmente entre 3 et 8% chaque année depuis la fin des années 90 (Adjemian et al., 2012).
Les MNT à l’origine du plus grand nombre d’infections sont celles du complexe Mycobacterium avium (MAC, comprenant les espèces M. avium et M. intracellulare), suivies ensuite par celles du complexe Mycobacteroides chelonae (comprenant M. chelonae et M. abscessus) et Mycolicibacterium fortuitum (Brown-Elliott and Wallace, 2002; Fleshner et al., 2016.). Le traitement des mycobactérioses nécessite au préalable d’identifier la ou les espèces responsables de la maladie. Cette identification peut s’avérer difficile car les MNT sont naturellement présentes dans l’environnement et peuvent générer des résultats positifs sans être à l’origine des symptômes. Les MNT sont isolées à partir d’échantillons du patient (crachats par exemple) et cultivées.
Après extraction d’ADN génomique, la ou les espèces sont identifiées par séquençage de marqueurs spécifiques comme le gène 16S de l’ARN ribosomal, qui permet de différencier le complexe MAC des autres MNT, ou les gènes de ménage hsp65 et rpoB (Ryu et al., 2016). Le traitement est ensuite adapté en fonction de la MNT responsable. Le traitement d’infection à M. abscessus, par exemple, est particulièrement compliqué, en raison de la résistance intrinsèque de ce pathogène aux antibiotiques (Nessar et al., 2012).
L’enveloppe des mycobactéries
Comme mentionné dans la première partie, les mycobactéries se distinguent des bactéries Gram-négatives et Gram-positives par la structure et la composition unique de leur enveloppe. Cette enveloppe est composée d’une membrane plasmique, d’un espace périplasmique et d’une paroi comportant une couche de peptidoglycane, liée covalemment à une couche d’arabinogalactane sur laquelle sont estérifiés les acides mycoliques, des lipides à longues chaines spécifiques des actinobactéries (Figure 5A). Ces trois molécules forment le complexe mycoloyl-arabinogalactane-peptidoglycane (mAGP). L’enveloppe comprend également un grand nombre de lipides liés de manière non covalente au reste de l’enveloppe, ainsi qu’une capsule (Figure 5A) (Brennan and Nikaido, 1995). Le développement des techniques de microscopie électronique et notamment la tomographie cryo-électronique a permis l’observation de l’enveloppe mycobactérienne dans des conditions physiologiques (Figure 5B).
Ces études ont apporté des précisions importantes sur l’organisation multicouches de l’enveloppe et ont mis en évidence l’existence d’une membrane externe, en plus de la membrane plasmique (Hoffmann et al., 2008; Zuber et al., 2008). Des analyses biochimiques après fractionnement de l’enveloppe ont permis de mieux définir la composition de cette membrane externe, appelée mycomembrane. Cette dernière est une bicouche lipidique dont le feuillet interne est composé presque exclusivement d’acides mycoliques tandis que le feuillet externe comprend les diverses familles de lipides non covalemment liées au reste de l’enveloppe (Bansal-Mutalik and Nikaido, 2014).
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