Généralités et délimitation des adverbes de temps
Où en sont les études sur les adverbes de temps ? Les adverbes ont des caractéristiques très variées, et il est vrai que, malgré l’intérêt récent qui lui est porté, ce domaine a été plus ou moins négligé par rapport aux verbes, noms et adjectifs. L’idée que les adverbes ne constituent pas un élément obligatoire dans des phrases les a tenus à l’écart dans les études de la langue coréenne. Après H.-B. Choi (1937), ce n’est que par l’influence de la théorie de la grammaire générative de N. Chomsky (1965) dans les années 70 que les adverbes attirent davantage l’attention des linguistes coréens comme dans J.-S. Seo (1978).1 En dehors des études morphologiques ou sémantiques des adverbes, cette approche a ouvert une nouvelle perspective sur l’étude syntaxique des adverbes. Elle revenait souvent à obtenir, avec des données très limitées, une grammaire universelle décrite par un système de règles générales, trop abstraite pour refléter les phénomènes linguistiques tels qu’ils sont. En ce qui concerne les adverbes exprimant le temps, ils n’ont souvent été cités que d’une manière succincte dans le cadre des études globales sur les adverbes en coréen. Pour certains linguistes tels que H.-B. Choi (1937), N.-I. Son (1995), K.-H. Kim (1996), S.-J. Park (1996), l’adverbe de temps constitue une sous-classe des adverbes coréens. La classification des adverbes de temps varie selon les linguistes. H.-B. Choi (1937) et Jong-seon Hong (1991) ont classé les adverbes de temps en 4 classes : adverbes exprimant les points sur l’axe des temps (e.g. jigeum (maintenant), ejei (hier)),2 – adverbes exprimant les segments (ou intervalles) de cet axe (e.g. olai (longtemps)), – adverbes exprimant l’antériorité ou la postériorité (e.g. apeulo (désormais)) et – adverbes exprimant la fréquence temporelle, c’est-à-dire adverbes qui indiquent la répétition des actions exprimées par le verbe (e.g. jaju (souvent)). N.-I. SON (1995) traite ce dernier type comme une sous-classe des adverbes de manière, et non une classe d’adverbes de temps, car ces adverbes expriment une modalité répétitive des actions. J.-S. Seo (1978) a classé les adverbes de temps en 9 classes en recourant partiellement à leur relation de co-occurrence dans des phrases et S.-J. Park (1996) les a classés en 8 classes en fonction de propriétés sémantiques. Nous observons que certaines classifications sont sémantiquement hétérogènes et que des listes sont dressées selon des critères sémantiques a priori sans prendre en compte suffisamment les propriétés syntaxiques. Par ailleurs, l’étude de S.-H. KIM (1987) a été consacrée en particulier aux caractéristiques sémantiques des expressions de temps. En incluant dans son objet d’étude des adverbiaux3 de temps tels que Dnum Ntps dongan (pendant Dnum Ntps) qui ne sont pas traités dans la plupart des études sur les adverbes, S.-H Kim (1987) s’intéresse à la classification aspectuelle des verbes proposée par Z. Vendler (1967)4 et elle l’adopte comme méthode pour analyser les caractéristiques sémantiques des expressions de temps en coréen. Nous aurons l’occasion de reparler de la compatibilité de certains adverbes de durée avec les quatre types de verbes classés selon la méthode de Z. Vendler dans § 3.5.2.
Les adverbes dans le lexique-grammaire
Le lexique-grammaire, notre cadre théorique, est une méthodologie développée à partir de la grammaire transformationnelle de Z.S. Harris (1951, 1968) qui a introduit une approche mathématique de la linguistique. Il a été élaboré et défini par M. Gross (1975) et son équipe du LADL14 (Boons-Guillet-Leclère 1976 ; Guillet-Leclère 1992). Le but en est la description formelle des entrées lexicales d’une langue en fonction de leurs propriétés syntaxiques. Cette description recourt en grande partie à l’accumulation systématique des données linguistiques empiriques.
Adverbes généralisés
Dans le lexique-grammaire, la notion d’adverbe recouvre les quatre catégories suivantes qui sont traditionnellement considérées comme distinctes : les adverbes simples qui sont des mots simples tels que demain, toujours, etc., les compléments circonstanciels qui sont des groupes nominaux prépositionnels, les adverbes composés tels que à tout instant et les propositions subordonnées circonstancielles (e.g. quand, pendant que), dont la structure générale est formulée comme Prép Dét N Modif où Prép est parfois zéro (M. Gross 1986b). Nous utilisons le terme d’adverbe pour référer à cette notion, comme dans M. Gross (1986b). Pour la langue coréenne, les adverbes simples comme naiil (demain), olai (longtemps) et les adverbes très figés comme saibyeg gati (littéralement, comme l’aube, « très tôt »), bam-naj (littéralement, nuit-jour, « toujours, sans cesse ») sont systématiquement décrits et intégrés dans des dictionnaires, traditionnels ou électroniques, de diverses façons. Mais nous rencontrons d’autres adverbes que nous pourrions décrire dans le cadre des adverbes figés (voir par exemple, M. Gross 1986b et D. Maurel 1989 pour le français, L. Raharinirina 1991 pour les adverbes figés de temps du malgache, J. Baptista 1999 pour certains adverbes figés en portugais) et qui n’ont pas été traités de façon systématique au même titre à cause de leur sens relativement compositionnel et de la grande variété de leurs formes. Dans les phrases : 幫나遙 級오래 旧 渠 慨간 旧 몇 분 동안 旧 세 慨간 넘게糾 집을 비웠다 (4) Ina-ga (olai + 3sigan + myech bun dongan + sei sigan nem-gei) jib-eul biu-ess-da Ina-nmtf (longtemps + 3-heure + quelques minute pendant + trois heure dépasser-Sconj) maison-Acc vider-Mpas-St.déc (Ina s’est absentée de chez elle (longtemps + 3 heures + pendant quelques minutes + plus de trois heures)) les trois formes construites sur des groupes nominaux occupent la même position syntaxique que l’adverbe olai (longtemps) ayant la forme la plus simple qui est constituée d’un seul mot. Elles répondent toutes à la question en elmana (combien (de temps) ou elma dongan (pendant combien de temps). Comparés aux expressions figées dont les propriétés combinatoires sont restreintes par rapport aux formes libres et dont le sens n’est pas compositionnel (M. Gross 1986b, 1994), ces adverbes de temps ne montrent pas d’opacité sémantique, mais ils sont soumis à des contraintes variables. Notre travail consistant à faire une analyse syntaxique des adverbes de temps, ces formes d’adverbe de temps doivent être également prises en compte. Nous donnons ainsi plus d’importance à la ressemblance du comportement syntaxique des éléments linguistiques qu’à celle de leur morphologie. Toutefois, comme D. Maurel (1989) le remarque, dans la pratique, la reconnaissance des propositions subordonnées circonstancielles de temps est beaucoup trop complexe pour une monographie. Elle ne peut s’envisager que dans le cadre d’une compréhension globale du texte lui-même. Nous n’incluons donc pas dans notre travail la description détaillée de ces propositions libres dont la longueur n’est pas bornée.
Phrases élémentaires et adverbes
Nous considérons la phrase élémentaire (ou simple), c’est-à-dire la phrase à un verbe avec ses compléments essentiels, comme l’unité minimale de sens. Car, il n’est 10 pas possible de définir le sens d’un mot sans le placer dans une phrase. Par exemple, des règles d’interprétation des groupes nominaux de temps pourront être établies, d’une part, en fonction des constructions possibles et, d’autre part, en tenant compte des combinaisons de ces adverbes avec des verbes particuliers ou d’autres composants de la phrase. Selon les notations du lexique-grammaire, nous noterons P les phrases et nous formulerons pour la langue française : P =: N0 V W et pour la langue coréenne : P =: N0-nmtf W V où W est la séquence des compléments éventuels comme N1, N2, etc. Ces compléments se divisent traditionnellement en deux : compléments essentiels (ou objets) et compléments circonstanciels (ou adverbes) ; les objets dépendent de chaque verbe alors que les adverbes peuvent être attachés à une série beaucoup plus ouverte de verbes et sont effaçables. Considérons les exemples suivants : (5) La pluie a duré pendant six heures The rain lasted for six hours Jo vit en Iran Jo lives in Iran Jo se comporte de façon étrange Jo behaves in a strange way (M. Gross 1992 : 703) Ils sont courants et représentatifs pour montrer que les adverbes sont essentiels dans certaines phrases. Z.S. Harris (1968, 1976) propose ainsi, pour l’analyse des adverbes, de les introduire dans une phrase élémentaire par une autre phrase élémentaire. Nous aborderons cette introduction d’adverbes dans les deux sections suivantes. Signalons que, tandis qu’en français, la grande mobilité des adverbes dans une phrase15 contribue largement à la distinction entre adverbes et objets : Max a abandonné toute activité DEPUIS PEU Max a abandonné DEPUIS PEU toute activité Max a DEPUIS PEU abandonné toute activité Max DEPUIS PEU a abandonné toute activité DEPUIS PEU Max a abandonné toute activité (M. Gross 1986b : 17)