Généralités de modélisation de la RAG
La première réponse face à l’alcali-réaction est d’éviter qu’elle se produise dans les ouvrages nouveaux. C’est l’objet des recommandations établies en 1994 par le LCPC en France [49]. Il s’agit principalement de ne plus utiliser les granulats très réactifs et de limiter la teneur en al- calins des ciments. On note cependant qu’il est en général beaucoup plus économique d’utiliser pour la construction des granulats locaux. Cette considération se heurte parfois à l’interdiction de l’utilisation de certains granulats locaux à cause d’un environnement propice à l’alcali-réaction. Toute compréhension des phénomènes microscopiques se produisant lors de l’alcali-réaction per- mettant d’utiliser des granulats qui sont interdits peut donc permettre des économies sur certains chantiers. On pense notamment à la possibilité pour un granulat réactif d’être beaucoup moins nocif s’il est broyé à une taille donnée.Concernant les ouvrages existants, un certain nombre de techniques ont été tentées pour ralentir la réaction ou diminuer ses symptômes. L’addition de béton armé supplémentaire pour limiter le gonflement a par exemple été réalisée sur le stade de Lille. Sur d’autres ouvrages, comme des barrages ou des ponts, le béton a été mis hors eau de façon à diminuer l’apport d’eau pour le gonflement du gel. L’injection de résine dans les fissures à la surface a également été effectuée. Un des exemples de travaux très importants a été réalisé sur le barrage du Chambon, en France, qui a été scié de façon à relâcher les contraintes de compression importantes accumulées à cause du gonflement du béton lors de l’alcali-réaction. Ces dépenses importantes engagées pour garantir une durée de vie satisfaisante aux ouvrages atteints ne sont pas toujours couronnées de succès. Il est donc important de disposer d’outils de simulation pour pouvoir évaluer la durée de vie restante des structures attaquées, et éventuellement l’amélioration qui serait permise par une intervention sur l’ouvrage.Ces considérations soulignent la nécessité de bien comprendre les mécanismes microscopiques de l’alcali-réaction, et de les intégrer dans des codes de calcul à l’échelle de structures qui per- mettent d’évaluer la durée de vie des ouvrages atteints. Nous allons dans cette partie présenter une étude bibliographique sur les modèles pour l’alcali-réaction, en les classant en trois grandes catégories : modèles de chimie et de transport, modèles mécaniques à l’échelle microscopique, modèles mécaniques à l’échelle de la structure.
Intéressons-nous tout d’abord aux modèles de chimie et de transport lors de l’alcali-réaction. Ces modèles ont pour objectif principal de prédire la quantité de gel produite au niveau d’un site réactif donné, en fonction de la disponibilité des espèces chimiques réactives dans les granulats (silice), dans le béton (ions alcalins, hydroxydes, calcium, eau), et apportées depuis l’extérieur (alcalins et eau). Ce modèle [28], également appelé U.F.O., du nom des trois auteurs décompose l’alcali-réaction en un certain nombre d’étapes. Tout d’abord les ions hydroxydes et alcalins diffusent dans le gra- nulat. Ces ions réagissent ensuite avec la silice des granulats. Comme les ions alcalins et hydroxyde interviennent dans la même réaction de dissolution, et que leur diffusion se fait ensemble, seule la diffusion des ions hydroxydes est considérée en réalité.
L’étape limitante pour la dissolution est la diffusion qui permet la disponibilité des espèces, non la réaction chimique en tant que telle. La diffusion des ions hydroxydes suit une loi de Fick avec terme de puits pour représenter leur consommation par les réactions chimiques, et se fait depuis la surface vers l’intérieur de granulats sphériques. La concentration à la surface du grain, qui sert de condition aux limites à l’équation de diffusion, varie en fonction de la quantité totale d’ions alcalins disponible. Les produits de réaction sont ensuite considérés à la surface du granulat, et peuvent pénétrer dans une zone poreuse à la surface des granulats, la pression n’augmentant qu’une fois que cette zone est pleine. Le modèle est testé sur l’essai accéléré de 24h américain (ASTM C-289), lors duquel les granulats broyés sont plongés dans une solution alcaline. Les auteurs remarquent que comme la phase limitante est la diffusion, on peut simplifier l’équation de diffusion et obtenir une équation différentielle sur la profondeur d’attaque, et ainsi trouver que cette profondeur d’attaque évolue en racine carrée en fonction du temps (avec les hypothèses que la couche attaquée est fine par rapport à la taille du grain, et que tout le grain est attaqué). Leurs observations sont cohérentes avec cette évolution en racine carrée, la vitesse ne varie pas avec la taille des grains mais dépend de la concentration initiale en alcalins. La dépendance de la vitesse de réaction en la température est prise en compte par une loi d’Arrhenius. Le modèle est ensuite appliqué sur l’attaque d’une barre de mortier (ASTM C-227), les granulats considérés étant des verres. Une relation affine est trouvée expérimentalement entre la quantité de produits de réaction et le gonflement, le retard de démarrage du gonflement étant dû au remplissage des auréoles de transition. Un effet pessimum en fraction volumique et en taille de granulats est observé.