Généralités autour du principe non bis in idem

GÉNÉRALITÉS AUTOUR DU PRINCIPE NON BIS IN IDEM

Bases légales
Différentes dispositions protègent le principe non bis in idem. Dans l’ordre chronologique, on peut citer : l’article 14, §7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 4 du Protocole n°7 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales, l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, l’article 20 du Statut de la Cour pénale internationale et l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

L’article 4 du Protocole n° 7 qui est l’instrument international duquel il sera le plus fait  mention dans ce travail prévoit que : « 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. 2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu. 3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. » .

Il existe des nuances entre ces normes : alors que l’article 54 de la Convention d’application  de l’Accord de Schengen fait référence « aux mêmes faits », les autres mentionnent « une [même] infraction ». La Cour de Justice de l’Union Européenne déduit de l’utilisation du  terme « infraction » le fait qu’il faille reconnaître une certaine pertinence à la qualification juridique qui est donnée aux faits en droit interne, dans la détermination de l’application du principe non bis in idem. Cependant, comme il sera exposé plus loin, ce critère ne peut pas être le seul à être pris en considération.

Règle
Ce principe contient une interdiction de poursuivre ou condamner deux fois une même personne, pour de mêmes faits à l’occasion d’un procédure pénale telle que l’interprète la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après « Cour EDH »). Il faut, pour que cette interdiction trouve à s’appliquer, que la première décision soit devenue définitive.

Critères Engel
La Cour EDH se caractérise — entre autre — par le fait qu’elle donne une interprétation autonome aux notions rencontrées dans la Convention de Sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales (ci-après « Convention EDH»). Elle ne se laisse pas influencer par les différentes interprétations qui peuvent exister au sein des Etats parties et développe sa propre acception. Cette manière de faire contribue à une uniformité d’interprétation et d’application au sein des différents Etats parties à la Convention.

Confrontée au concept d’ « accusation en matière pénale » de l’article 6 de la Convention EDH, la Cour EDH distingue d’une part la notion d’ « accusation » et d’autre part celle de « matière pénale », et va exercer son autonomie d’interprétation vis-à-vis de chacune d’elles. Concernant l’accusation, elle la définit comme étant : «la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale ». Pour déterminer  ce qui relève de la « matière pénale », la Cour EDH a, dès 1976, développé trois critères qui portent le nom de critères Engel . Ils consistent à tenir compte de :
1) la qualification juridique donnée à l’infraction par le droit interne : est-ce que le droit national fait relever ce comportement du droit pénal ou du droit disciplinaire ? Il est important de noter que ce premier critère n’a qu’une valeur purement formelle et relative ;
2) la nature même de l’infraction : la norme qui établit l’infraction a-t-elle un but dissuasif, préventif, répressif ? ;
3) le degré de sévérité de la sanction : il convient de tenir compte de la peine maximale telle qu’elle est prévue par les dispositions juridiques de droit interne, et pas la peine effectivement infligée .

En se fondant sur ces différents critères, la Cour EDH tente d’apporter une réponse à la question de savoir si le comportement incriminé porté devant elle est constitutif d’une « accusation en matière pénale » au sens où l’entend l’article 6 de la Convention EDH.

Par ailleurs, les deuxième et troisième critères sont appréciés de manière alternative; cependant, une approche de type cumulatif reste possible, dans l’hypothèse où l’examen individuel de chacun des critères laisse subsister des doutes quant à l’existence d’une éventuelle accusation en matière pénale .  Les critères Engel ont reçu une légitimation de la part de la jurisprudence ultérieure.

Jurisprudence Zolotoukhine et ses suites
Par son arrêt du 10 février 2009 , la Cour EDH procède à une harmonisation de sa  jurisprudence relative au principe non bis in idem. Le raisonnement de la Cour EDH peut être synthétisé autour de trois axes .  Tout d’abord, elle commence aux paragraphes 52 à 56 par faire usage des critères Engel pour évaluer si la procédure ou l’accusation à laquelle elle est confrontée revêt un caractère pénal. En l’absence de cette qualification pénale, l’article 4 du Protocole n° 7 ne trouve pas à s’appliquer. En l’espèce, la Cour EDH retient la qualification pénale, ce qui lui permet dans un second temps de s’interroger sur la notion de non bis in idem. Pour ce qui est de la branche « in idem » du principe, la Cour EDH précise que c’est l’idem factuel qui est visé, c’est-à-dire des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes, comme elle le spécifie en son paragraphe 82. « La Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées.» Finalement, l’élément « non bis » requiert qu’une première décision soit déjà intervenue. Il est indispensable que cette décision soit passée en force de chose jugée, c’est-à-dire devenue définitive, pour que la garantie du principe non bis in idem puisse être revendiquée. La Cour EDH ne se limite pas aux doubles condamnations, mais prend aussi en compte les doubles poursuites. En effet, elle lit dans l’article 4 du Protocole n° 7 une triple protection selon laquelle : « nul i. ne peut être poursuivi, ii. jugé ou iii. puni deux fois pour les mêmes faits ».  On peut constater que la Cour EDH a utilisé le même type de raisonnement dans de nombreux arrêts postérieurs, dont l’arrêt Grande Stevens et al. c. Italie dont il sera question  ultérieurement.

Table des matières

INTRODUCTION
I. GÉNÉRALITÉS AUTOUR DU PRINCIPE NON BIS IN IDEM
i. Bases légales
ii. Règle
iii. Critères Engel
iv. Jurisprudence Zolotoukhine et ses suites
II. NOTION D’ABUS DE MARCHÉ
Section 1 : Délit d’initié
i. Définition
ii. Personnes concernées
iii. Comportements concernés
iv. Sanctions
Section 2 : Manipulation de marché
i. Définition
ii. Sanctions
Section 3 : Divulgation illicite d’informations privilégiées
i. Définition
ii. Sanctions
Section 4 : Contrôle
i. Au niveau de la Belgique
ii. Au niveau européen
III. APPLICATION DU PRINCIPE NON BIS IN IDEM AUX ABUS DE MARCHÉ
Section 1 : Arrêt Grande Stevens
Section 2 : Enseignements de cet arrêt
i. Effet direct de la Convention européenne des droits de l’homme
ii. Enseignement n° 1 : Confirmation de la jurisprudence Zolotoukhine
iii. Enseignement n° 2 : Notion d’accusation en matière pénale
iv. Enseignement n° 3 : Principe du cumul
IV. SOLUTIONS
i. Régime Una Via
ii. Juridiction ad hoc
CONCLUSION

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