Généralistes en soins primaires des risques de violence dirigés à leur encontre

Généralistes en soins primaires des risques de violence dirigés à leur encontre

L’empathie, ou la résistance mentale à attaquer autrui

L’empathie est la capacité de s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent. C’est une aptitude permettant de répondre émotionnellement aux affects d’un autre être vivant, conduisant l’observateur à ressentir et partager les émotions constatées, notamment la souffrance. C’est une aptitude en partie héréditaire, qui a pu être observée chez les nouveaux nés, et qui continue ensuite à se développer sous l’influence de facteurs psycho-socioenvironnementaux.Au sein d’une société, humaine ou animale, dans un contexte relationnel normal, c’est un frein naturel à l’utilisation de la violence, et un verrou comportemental destiné à empêcher de blesser gravement ou de tuer l’un de ses congénères. L’empathie est donc par essence plus forte envers les individus nous ressemblant le plus, (sexe, âge, origine ethnique, sociale etc.) et plus largement diminuée envers les individus nous semblant les plus dissemblables. 

Rôle inhibiteur de la violence 

L’empathie a donc un rôle essentiel d’inhibition de l’acte violent, dans une optique de coopération sociale et de préservation des individus d’une même espèce. D’après Grossman, un acte violent ne serait ainsi possible que lors d’une rupture temporaire d’empathie, avec une interruption temporaire de la capacité à se projeter dans l’autre, permettant à l’agresseur de désinvestir la victime de ses caractéristiques humaines, et la réduire à l’état d’objet. Cette théorie semble se confirmer dans la pratique, avec notamment l’apport des récits recueillis auprès des militaires engagés dans des combats ou d’auteurs de crimes génocidaires, tels ceux rapportés par Jean Hatzfeld [74] auprès des Hutus au Rwanda : « On ne voyait plus des humains. (…] Je veux dire des gens pareils à nous, partageant la pensée et les sentiments consorts… Pour moi c’était comme si j’avais laissé un autre individu prendre mes apparences vivantes, et mes manies de cœur, sans tiraillement aucun. » « On allait et venait sans croiser une idée. Nos bras commandaient nos têtes, et nos têtes ne disaient plus rien » 

La Vallée de l’étrange 

La Vallée de l’étrange, est une théorie du roboticien Japonais Masahiro Mori.Elle suggère qu’il n’y a pas de relation linéaire stricte entre l’intensité du lien empathique et le degré de ressemblance. Ainsi, pour un être qui nous serait quasi-semblable, mais dont certaines caractéristiques nous apparaitraient comme ostensiblement différentes de nous, il existerait une zone de forte diminution des capacités affectives, entrainant l’apparition d’un fort sentiment de dégoût et de rejet. Cette théorie met donc en perspective la redoutable efficacité de tous les conditionnements et stratégies, conscients ou non, volontaires ou subis, visant à nier tout ou partie de l’humanité d’un individu ou d’un groupe d’individus, et faciliter ainsi le passage à l’acte violent à leur encontre. 

Pathologies neuro-psychiatriques et empathie 

La diminution des capacités empathiques au cours de certaines pathologies psychiatriques, notamment la psychopathie est un phénomène connu et bien documenté, avec une propension à utiliser la violence supérieure à celle de la population générale, associée à une sur-représentation dans le milieu carcéral. De même l’altération du jugement, la levée d’inhibition, et les troubles du comportement dues à des lésions frontales cérébrales au cours de pathologies neurologiques ou neurodégénératives sont connues depuis longtemps, pouvant parfois entrainer des comportements violents, à l’égard de l’entourage ou des soignants. e- Empathie et stratégies de prévention de la violence L’apport de l’analyse des données militaires avec des entretiens réalisés auprès des vétérans des conflits du XIXe et XXe siècle par Du Picq, Marshall, [80, 81], puis de nombreux autres, a montré que l’efficacité des soldats au cours des combats ne reposait en réalité que sur les faibles capacités empathiques d’une minorité de soldats engagés, extrêmement efficaces pour blesser ou tuer leurs adversaires lors des affrontements. En revanche, la majorité du contingent de soldats présentait elle une inhibition forte à blesser ou tuer, et ne se contentaient que d’adopter des postures guerrières et de n’effectuer des tirs que largement au-dessus des combattants ennemis au cours des combats. Suite à ces constatations, des conditionnements spécifiques ont été élaborés et intégrés à la formation des soldats, effectifs à partir du Conflit Vietnamien (1955-1975), ou la proportion de but atteint par tir effectué augmenta drastiquement. Les grands axes de ces conditionnements ont été abondamment cités dans les ouvrages de psychologie militaire. Ils soulignent l’impératif de réduction de la charge émotionnelle inhérente à l’acte de blesser un soldat ennemi, par différents processus, dont la distanciation morale, physique, culturelle et sociale : « Accroitre la distance entre les [combattants], que ce soit en insistant sur leurs différences, ou en étirant la chaine de responsabilité entre l’agresseur et la victime, permet une majoration du degré d’agression. »  « Pour amener les hommes à penser que les ennemis auxquels ils auront à faire sont des formes inférieures de vie, [on utilise de la documentation] biaisée représentant l’ennemi comme moins qu’humain : leurs coutumes locales sont ridiculisées, et leurs dirigeants sont présentés comme des demi-dieux maléfiques. » La diminution des capacités d’empathie intrinsèques d’un individu le prédispose donc à des comportements violents, que cette diminution soit le fait de caractères héréditaires, ou environnementaux par des phénomènes de conditionnement et d’habituation à la violence, recherchés ou subis. L’évaluation des capacités empathiques d’un individu, qu’elles soient normales ou détériorées de façon innée ou acquise, couplée à l’efficacité des mesures employées afin maintenir le lien empathique, sont des enjeux majeurs, et devraient être au centre des préoccupations de toute stratégie envisagée dans le but de d’évaluer, prévenir ou protéger des actes violents. 

Table des matières

Lexique des abréviations utilisées
INTRODUCTION
I- Justification de l’étude
II- Médecins Généralistes et violence : contexte actuel
1- L’Observatoire de la Sécurité des Médecins (OSM)
2- Tendances actuelles : points de repères
3- Sous-déclaration des incidents violents
4- Effets délétères sur le médecin généraliste et la pratique médicale
5- Situations identifiées à risque de violence en médecine générale
6- Protection des médecins généralistes : recommandations
III- La violence : Considérations fondamentales
1- Difficulté de définition
2- Sens courant de la violence
3- Conception Arendtienne de la Violence
4- Variations culturelles
5- Perspectives historiques
6- Violence socio-affective et violence asocio-prédatrice
7- Motivations de l’acte violent
8- L’empathie, ou la résistance mentale à attaquer autrui .
IV- Apport de la Gestion des risques, ou « Risk management »
1- Définitions
2- Classification du risque
3- Stratégies de réductions des risques
4- Solutions de réduction des risques
5- La gestion de crise
6- Principes de mise en œuvre de mesures de réduction des risques
V- Gestion de crise des phénomènes violents
1- Aspects tactiques et stratégiques
2- Rôle du stress
3- Hiérarchisation des moyens : Pyramide de Wiseman
4- Principes de désescalade verbale
5- Riposte physique
6- Utilisation d’armes ou « equalizers »
MATERIEL ET METHODES
I- Objectif de l’étude
II- Choix de la méthode
III- Choix de la population cible
IV- Etablissement du Guide d’entretien
V- Méthode de recueil des données
VI- Méthode d’analyse
RESULTATS
I- Caractéristiques des médecins interrogés
II- Objectifs principaux : stratégies de prévention et de protection
1- Stratégies d’évitement
2- Stratégies de prévention et de protection
3- Stratégies de gestion de la crise violente
III- Objectifs secondaires
1- Limites à l’adoption de mesures de sécurité
2- Souhaits exprimés pour l’amélioration de la sécurité
DISCUSSION
I- Cas des stratégies d’évitement utilisées
II- Concernant les stratégies de prévention et de protection de la violence
III- Concernant les stratégies de gestion de crise
IV- Limites rencontrées à l’adoption de mesures de sécurité
V- Souhaits exprimés pour l’amélioration de la sécurité
VI- Limites internes de l’étude
VII- Recommandations et utilisations pratiques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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