La levée des barrières internationales a entraîné une concurrence de classe mondiale dans tous les secteurs d’ activité. La pérennité des entreprises est dès lors adjacente à leur performance. Cette dernière est proportionnelle au bon équilibre du triangle angulaire que forment les coûts, les opportunités et les risques dans l’institution. En d’autres termes, pour être performante, l’entreprise doit saisir les opportunités les plus bénéfiques tout en minimisant les coûts et les risques qu’elles impliquent. La phrase précédente est l’essence même de la Gestion Des Actifs (GDA) (ISO, 2014) qui apparaît donc indispensable à la survie de l’ organisation.
D’autre part, les enjeux commerciaux du moment gangrénés par le dynamisme du marché, la personnalisation de masse, l’émergence de nouvelles technologies et le manque de main-d’œuvre ont conduit à l’avènement de la 4e révolution industrielle dénommée «Industrie 4.0 (14.0) ». Un ensemble de technologies innovantes et de concepts d’organisation de la chaîne de valeur constituerait 1’14.0 (Wang, 2016).
Ces deux paradigmes (GDA et 14.0) bouleversent actuellement le fonctionnement de l’entreprise dans toutes ses sphères. La présente étude se focalisera sur leurs impacts en gestion de cycle de vie des actifs dans le secteur de la Production, Transmission et Distribution d’Énergie Électrique (PTDEE) avec l’essor des réseaux électriques intelligents.
Au meilleur de nos connaissances, il n’y a pas d’études qui traitent simultanément de la 14.0 associée à la GDA en maintenance dans le domaine de la PTDEE. Beaucoup d’auteurs se sont focalisés uniquement soit sur l’ utilisation d’une ou quelques technologies dans le cadre des réseaux électriques intelligents, soit sur la GDA en PTDEE. Ce mémoire permet donc de lier 1’14.0 et la GDA en gestion du cycle de vie de systèmes complexes dans le secteur PTDEE et d’évaluer les bénéfices qu’un tel lien pourrait générer.
La méthodologie consistera, de prime abord, en une revue de littérature sur la GDA en PTDEE, l’Industrie 4.0 et les avancées technologiques en PTDEE afin d’établir le pont entre GDA et 4.0 en gestion du cycle de vie des actifs dans le domaine de la PTDEE. Ensuite, la simulation stochastique sera utilisée pour mesurer l’impact d’un cas d’utilisation de 1’14.0 associée à la GDA en gestion du cycle de vie des actifs dans la PTDEE. L’étude de cas se fera sur le réseau aérien basse tension (BT) d’Hydro-Québec .
La fiabilité est la caractéristique la plus connue dans le domaine de la maintenance. Elle représente l’aptitude d’une entité à accomplir une fonction requise, sujette à des conditions données, dans un intervalle de temps bien déterminé. Un système ou un équipement est considéré comme fiable quand il est capable d’effectuer sa ou ses fonctions essentielles, avec le niveau de qualité défini par la politique de gestion des actifs, c’est-à-dire produire la quantité attendue, de façon rentable, tout en garantissant la qualité voulue, la sécurité des personnes, des marchandises et de l’environnement (Sobral, et al., 2014). Ghiasi et al. (2019) soulignent que l’analyse de fiabilité est pertinente pour tout système d’ingénierie. Ils relèvent également que l’objectif principal, lors de la conception de réseaux d’alimentation en énergie électrique, est de fournir une charge de courant avec une fiabilité maximale et un coût minimal, dans des conditions météorologiques changeantes. La fiabilité est toujours associée à deux autres concepts phares de maintenance que sont la maintenabilité et la disponibilité.
La maintenance est définie selon la norme DIN EN 13306: 2015-09, 2.1 comme étant « la combinaison de toutes les actions techniques, administratives et de gestion effectuées tout au long du cycle de vie d’un actif, dans le but de le conserver ou de le restaurer dans un état dans lequel il peut remplir la fonction requise ». Elle est caractérisée principalement par la disponibilité, la fiabilité, la maintenabilité et les coûts qui lui sont relatifs. La maintenance est l’un des secteurs clefs d’une entreprise en raison de son impact significatif sur la productivité. Dabrowski & Skrzypek (2018) soulignent que selon plusieurs études récentes, 60 % des coûts de production peuvent être influencés positivement par une maintenance efficiente.
Depuis l’essor de la machine à vapeur (industrie 1.0) vers 1765, l’industrie ne cesse d’évoluer. Après la machine à vapeur, la découverte de l’énergie électrique et pétrolière a abouti à la Taylorisation (industrie 2.0) vers 1870. Par la suite, elle a fait place, vers 1969, à la production automatisée grâce notamment aux avancés considérables de l’électronique et des technologies informatiques (industrie 3.0). Aujourd’hui, avec l’avènement des systèmes cyber-physiques (Cyber Physical System – CPS) et de l’internet des objets, l’ère de l’industrie interconnectée (I4.0) a sonné (Geandarme, 2018). Chacune de ces phases correspond à une révolution dans le monde de l’ industrie afin de répondre aux enjeux commerciaux du moment. L’I4.0 serait donc initiée pour le maintien de la compétitivité des entreprises, quelle que soit leur taille, dans un climat concurrentiel féroce. Les entreprises doivent s’efforcer de répondre rapidement aux changements du marché et à offrir une production de masse personnalisée tout en accroissant leur efficacité opérationnelle (Al-Najjar, et al., 2018).
La gestion des actifs
Généralités sur la GDA
Les principales normes qui traitent des généralités sur la GDA, de ses terminologies et de son implantation sont la série IS05500X et la PAS55 (Van den Honert, et al., 2013). Van den Honert et al. (2013) comparent ces dernières afin de faire ressortir leurs similarités, leurs différences et manquements. Il apparaît que la série IS05500X, la norme la plus récente, est bien plus détaillée et complète que la PAS55 qui lui sert de base. Van den Honert et al. (2013) résument ces deux normes à travers la roue de Deming (PDCA) et élaborent une corrélation entre ces dernières afin de faciliter la transition du PAS55 vers la série IS05500X. Bien qu’assez détaillée, l’IS05500X donne une vue générale sur ce qu’il faut faire uniquement, mais pas comment le faire. Chaque entreprise doit avoir une stratégie d’implantation de système de GDA conforme à ses objectifs d’affaire et compatible avec ses autres systèmes de gestion.
Khuntia et al. (2016) donnent un aperçu général de la GOA, de son lien avec la gestion des données (data mining), et des différentes techniques et méthodes (TB M, CBM, RCM, LCCA, RBM) qui la composent, spécialement dans le domaine de la PTDEE_ À travers une revue exhaustive de littérature et un ensemble de questionnaires menés dans le cadre du projet paneuropéen sur les systèmes électriques GARPUR, ces auteurs cherchent à déterminer comment optimiser l’utilisation des équipements d’un réseau électrique tout en tenant compte des aspects techniques, socioéconomiques et environnememtaux. Khuntia et al. (2016) subdivisent la GDA suivant les différents horizons de planification et les domaines d’activités . Ils soulignent l’importance de la gestion des risques dans la maintenance des réseaux électriques pour laquelle un outil propre au système de distribution et de transmission d’energie électrique, le Intelligent Grid Management System (combinaison entre la méthode de Monte Carlo et la programmation non linéaire), est proposé par Fumihiro et al. (2008). Le but principal des auteurs est de combiner plusieurs articles sur la GDA et la PTDEE en un seul article, pour servir de base aux études dans le domaine.
German et al. (2014), par le biais d’une revue de littérature exhaustive, cherchent à établir un système propre et efficace de GDA de réseaux électriques, en particulier pour les transformateurs considérés comme l’élément le plus important du réseau. Ils mettent en exergue les différentes méthodologies de GDA d’énergie électrique édictées par l’EPRI, le CIGRE, la norme PAS 55-1 , la série de norme IS05500X . Les auteurs traitent également des différentes politiques de maintenance (maintenance corrective, TBM, CBM, RCM) et des concepts du cycle de vie d’un actif (durée de vie fonctionnelle, économique et durée de vie relative à la fiabilité). German et al. (2014) considèrent aussi bien l’aspect économique que technique pour une GDA efficace.
À travers une revue de littéretaure et une étude de cas au Royaume-Uni associée à un questionnaire, Shah et al. (2017) relèvent les défis et les perspectives de l’application des principes de la GDA à la gestion de la maintenance des autoroutes appartenant à la classe d’actif d’infrastructure. Les principes de la GDA permettent de faire face aux contraintes engendrées par plusieurs facteurs d’ordre social et financier frappant actuellement cette classe d’actif . Les travaux de Shah et al. (2017) relèvent principalement que la GDA est un mix entre les domaines de l’ingénierie et de la gestion (LCC/LCP) qui doit être basée sur des informations et sources d’informations fiables, pertinentes et à jour tout en tenant compte des objectifs stratégiques d’affaires.
À l’heure actuelle, avec le nouveau paradigme de l’Industrie 4.0, la compétitivité et le dynamisme de l’environnement, De la Fuente et al. (2018) proposent, à travers une revue de littérature, des techniques avancées pour aider à la prise de décision dans le cadre de la maintenance et de la GDA. Ces techniques permettent, entre autres, de définir et d’améliorer les politiques et procédures de travail pour l’opération ainsi que la maintenance des actifs tout au long de leurs cycles de vie. Ils font référence, en plus des méthodes bien connues dans le domaine de la maintenance telles que la modélisation stochastique de la fiabilité, la RCM (Reliability Centred Maintenance), CBM (Condition Based Maintenance), PHM (Prognostic and Health Management), LCCA (Life Cycle Cost Analysis), à de nouvelles méthodes dans ce domaine comme les diagrammes UML (Unified Modeling Language) et BPMN (Business Process Model and Notation), les méthodes graphiques de gestion de la maintenance et l’ANN (Artificial Neural Network) associée aux systèmes SCADA (Supervisory Control And Data Acquisition). Les auteurs soulignent également l’ importance de la collecte et du suivi des données en temps réel pour une gestion optimale des actifs.
Cycle de vie d’un actif
Henderson et al. (2014) décrivent la création d’un partenariat de GDA intégré pour faire face à la complexité et la compétitivité sans cesse croissante de l’environnement actuel et ainsi investir dans la durabilité. Dans leur travail, ces auteurs mettent l’accent sur le passage de la maintenance réactive traditionnelle à la maintenance proactive. En effet, en se basant sur le modèle de l’iceberg, Henderson et al. (2014) démontrent l’inefficacité de l’approche traditionnelle qui ne prend en compte que les coûts directs et sabote ainsi la gestion optimale de la maintenance. Ils ont également mis en emphase l’ alliance entre entreprises et fournisseurs d’équipement global, tout au long du cycle de vie qui, associée à la proactivité, permet d’avoir de meilleurs résultats dans la quête de la gestion optimale de la maintenance.
Le volet financier ne peut être négligé pour une gestion proactive et optimale des actifs. C’est dans cette perspective que Sobral et al. (2014) mettent en relation l’ analyse des coûts du cycle de vie (LCCA) de l’ actif et la GDA. Ils déclarent les décisions financières et les performances des équipements de production interdépendantes, puis soulignent la compatibilité du LCCA avec bon nombre de méthodes de maintenance telles que la RAMS (Reliability Availabilty Maintainability Safety), la RCM (Reliability Centred Maintenance), la TPM (Total Productive Maintenance). Sobral et al. (2014), tout comme Henderson et al. (2014), recourent au modèle de l’ iceberg qui laissent entrevoir que les coûts d’acquisition correspondant au CAPEX (Capital Expenditure) (partie visible de l’iceberg) sont souvent moins importants que les coût relatifs à l’opération, la maintenance, et la décommission d’ un actif correspondant à l’OPEX (Operationnal Expenditure) (partie immergée de l’ iceberg) . En plus du modèle de l’iceberg, ils utilisent pareillement le simple profil de coût de Crespo Marquez et al. (2009) pour expliquer le CAPEX et l’OPEX . Ces auteurs préconisent également l’application du LCCA dès la phase de conception/d’ acquisition des actifs pour une estimation des coûts potentiels engendrés par le cycle de vie global de ces actifs et ainsi, lorsque plusieurs opportunités se présentent, choisir les meilleures alternatives qui correspondent le mieux aux objectifs d’affaire de l’organisation.
INTRODUCTION |