Fractionnement isotopique du zinc à l’équilibre par
calcul ab initio
Le zinc dans l’environnement
Le zinc est un élément qui se retrouve partout dans l’environnement allant des sols aux milieux biologiques. L’utilisation du zinc dans les activités anthropiques est très répandue. Le zinc entre dans la composition des produits `a haute valeur ajoutée comme certains nanomatériaux, mais aussi dans des produits de la vie courante comme les cosmétiques (shampoing, crèmes), les pneumatiques et les toits des maisons. Le zinc utilisé par l’activité anthropique constitue le réservoir anthropique. A la surface de la Terre, ce réservoir est le deuxième plus important après les sols et il comparable en quantité aux océans (Figure 1.1). Les études sur le cycle des métaux estiment que pendant les phases d’extraction et de transformation du zinc, près de la moitié du zinc extrait est perdue et rejetée notamment vers les sols (e.g. Rauch et Pacyna, 2009). D’ailleurs, c’est entre le réservoir anthropique et les sols que les flux les plus importants sont observés après ceux entre les réservoirs miniers et anthropiques (Figure 1.1). Une fois dans les sols, le Zn est mobilisé vers les eaux douces puis les océans. Des estimations de la proportion des flux anthropiques par rapport aux flux naturels (Rauch, 2010; Sen et Peucker-Ehrenbrink, 2012) indiquent que les deux sont presque similaires (Figure 1.2). L’activité anthropique est au coeur du cycle biogéochimique et elle a en conséquence, une influence notable sur le cycle du zinc. La quantité importante de zinc rejetée dans les sols pose `a la fois des questions environnementales et économiques. De plus, le zinc est un nutriment essentiel `a la vie et des questions de santé publique sont soulevées. En effet, depuis la première découverte d’une enzyme ayant comme cofacteur le zinc (l’anhydrase carbonique qui catalyse la transformation du dioxyde de carbone en bicarbonate (Keilin et Mann, 1939)), la découverte des protéines contenant du zinc n’a cessé d’augmenter. Aujourd’hui, certaines études estiment qu’il y aurait plus de 3000 protéines qui ont le zinc comme cofacteur (Maret, 2011, 2013) parmi lesquelles plus de 300 enzymes (Vallee et Auld, 1990; Vallee et Falchuk, 1993). Chez les êtres vivants, le zinc a donc, un rôle catalytique (enzymes) mais également structural 9 Chapitre I : Introduction générale 8 Le cycle du Cu (Fig.I.1) tout comme celui du Zn (Fig.I.2) concentre la majorité de son stock externe dans les sols et les sédiments non consolidés. Néanmoins, il apparaît que les échanges entre la biomasse et les sols sont d’importance mais surtout que les eaux douces, parmi lesquelles les rivières représentent la quasi totalité du stock et surtout des flux, agissent comme de véritables vecteurs transférant les apports provenant des sols (3,330 GgCu an-1 et 6,300 GgZn an-1 reçus) à l’océan (2,000 GgCu an-1 et 4,300 GgCu an-1 exportés). Il apparaît donc primordial de contraindre le comportement du Zn et du Cu au sein de ces systèmes fluviaux (ce à quoi s’attache cette thèse), dont les flux associés peuvent engendrer une réponse rapide à une modification du milieu telle une pollution par exemple. En effet, il apparaît évident que la surimposition d’un second cycle, humain celui-ci, perturbe de façon significative le comportement du Zn et du Cu (export de 5,100 GgCu an-1 et de 5,200 GgZn an-1 vers les sols). L’impact anthropique sur le devenir du Zn et du Cu dans l’environnement n’est pas l’objet de cette thèse mais de nombreuses études4, 5, 6… ont pu mettre en évidence que, de nos jours, les exports de ces métaux dans un contexte anthropisé dépassent fortement les flux naturels. Figure I.2: Cycle terrestre du Zn adapté de Rauch and Pacyna.3 Les réservoirs sont exprimés en GgZn et les flux en GgZn an-1 . Les flèches vertes, rouges et noires représentent les flux d’origine naturelle, anthropique et l’extraction minière, respectivement. Les astérisques symbolisent des réservoirs qui ne sont pas à l’équilibre. Alors que le comportement général du Zn et du Cu au sein de la biomasse, des sols ou bien des rivières est aujourd’hui correctement identifié (cf. partie 1.B), ces travaux de thèse s’intéressent principalement à la compréhension des processus biogéochimiques et notamment à l’impact des interactions eau-roche depuis la zone expéditrice, les sols, jusqu’à la zone réceptrice, les rivières, à l’aide d’une approche isotopique, qui a montré son habileté dans le diagnostic des sources de ces métaux7-9 mais également des processus physico-chimiques se produisant à l’échelle de ces environnements (cf. Chapitre II). 10, 11 Figure 1.1: Cycle du zinc. Figure reproduite `a partir de Guinoiseau (2016) et adaptée de Rauch et Pacyna (2009). La quantité de Zn contenue dans les réservoirs ainsi que les flux entre les réservoirs (indiqués par des flèches) sont respectivement exprimés en gigagrammes Zn et gigagrammes Zn/année. (organisation des protéines) et de régulation de l’activité enzymatique (Stefanidou et al., 2006). La quantité de zinc dans le corps humain est estimée `a 1.5 – 3 g, ce qui est comparable `a la quantité de fer qui est de 2 – 4 g (Gropper et Smith, 2012). Un déficit, mais également un excès de zinc 1 peuvent entraˆıner des troubles physiologiques comme l’alopecie, l’hypogueusie (diminution de la sensation/perte partielle de goˆut), la dysgueusie (goˆut métallique), une déficience immunitaire et des troubles neurologiques (Gropper et Smith, 2012). La mobilité ainsi que la biodisponibilité du zinc sont donc des facteurs importants qui déterminent la toxicité du zinc. Ces deux facteurs sont davantage contrôlés par la forme chimique (la spéciation) du zinc que par sa concentration. Des travaux ont déterminé la spéciation de Zn dans les sols et sédiments (Manceau et al., 2000; Scheinost et al., 2002; Juillot et al., 2003; Batonneau et al., 2004; Panfili et al., 2005; Voegelin et al., 2005; Batonneau et al., 2006; Jacquat et al., 2008, 2009a,b), l’eau de mer (Long et Angino, 1977; Stanley et Byrne, 1990; Byrne, 2002), les eaux douces (Long et Angino, 1977; Meylan et al., 2004) et la matière en suspension dans les rivières (Lesven et al., 2009; Priadi et al., 2012; Le Pape et al., 2014). Toutefois, l’identification de la provenance des phases retrouvées (origine naturelle ou anthropique) est relativement 1. L’apport journalier recommandé est de 12 mg/jour. L’excès de zinc altère l’absorption du cuivre et du fer ce qui peut entraˆıner des maladies (Plum et al., 2010). Sur le long terme, 40 mg/jour en moyenne définit la limite `a partir de laquelle des effets sur l’absorption du cuivre peuvent se manifester.
Apport des mesures isotopiques du zinc
La composition en isotopes 2 d’une phase n’est pas aléatoire, mais dépend de la nature des phases avec lesquelles elle interagit ; la composition isotopique enregistre certaines transformations que la phase a subies. La mesure de la composition isotopique des phases retrouvées dans l’environnement peut apporter des réponses aux problèmes d’identification de la source et de l’extension spatiale des pollutions. Le zinc possède 30 isotopes connus dont cinq sont stables : 64Zn (abondance 48.6 %), 66Zn (27.9 %), 67Zn (4.1 %), 68Zn (18.8 %) et 70Zn (0.6 %). Depuis les premières mesures de compositions en isotopes stables du zinc par MC-ICP-MS (multi-collection inductively coupled plasma mass spectrometry) réalisées pendant la thèse de Maréchal (1998); Maréchal et al. (1999), un nombre croissant de travaux ont mesuré les compositions isotopiques du zinc. Moynier (2016) avance le chiffre de 1000 études qui seraient associées aux isotopes du zinc. Ces études relèvent de domaines 2. Des atomes qui ne diffèrent que par le nombre de neutrons sont des isotopes. 11 variés en sciences allant de la géochimie `a la biologie en passant par la physique. Toutefois, l’essentiel des travaux sur les isotopes stables du zinc provient d’études géochimiques. Parmi ceux-ci, nous pouvons distinguer trois types : ceux qui mesurent les compositions isotopiques dans les échantillons naturels et d’origine anthropique (représentant la grande majorité des travaux), ceux qui `a travers des expériences contrôlées en laboratoire tentent d’obtenir les signatures isotopiques associées `a différents processus physico-chimiques et finalement, les études théoriques qui nous concernent particulièrement et sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Parmi les études qui mesurent les compositions isotopiques, les informations recherchées ne sont pas les mêmes en fonction des échantillons mesurés. Il y a les études qui portent sur la composition isotopique des matériaux géologiques comme les roches terrestres (Toutain et al., 2008; Herzog et al., 2009; Moynier et al., 2009a, 2011b; Pons et al., 2011; Chen et al., 2013b; Mahan et al., 2017), les météorites (Luck et al., 2005; Moynier et al., 2007, 2010, 2011a; Barrat et al., 2012; Chen et al., 2013a; Pringle et al., 2017) et les matériaux lunaires (Moynier et al., 2006; Herzog et al., 2009; Paniello et al., 2012; Kato et al., 2015). Outre, la détermination des compositions isotopiques de tous ces matériaux, l’objectif majeur de ces études est l’obtention d’informations sur des évènements géologiques dont les traces ont été enregistrées par ces matériaux. C’est par exemple, dans ce cadre que s’inscrivent les travaux de Chen et al. (2013b) qui déduisent la composition isotopique de la Terre globale (bulk silicate earth). De plus, la composition isotopique étant sensible aux processus d’évaporation et le Zn ayant une température d’ébullition relativement basse (907 ˝C), les mesures de composition isotopique sont également utilisées pour étudier la déplétion en éléments volatils dans certains matériaux comparés aux matériaux sources `a partir desquels ils ont été formés (e.g. Moynier et al., 2009a). D’autres études mesurent les compositions isotopiques dans les sols (Viers et al., 2007; Mattielli et al., 2009; Juillot et al., 2011; Skierszkan et al., 2016), les sédiments (Maréchal et al., 2000; Little et al., 2014b,a), les eaux (Bermin et al., 2006; Borrok et al., 2008, 2009; Chen et al., 2008, 2009; John et Conway, 2014; Zhao et al., 2014; Vance et al., 2016; John et al., 2017), les matériaux organiques et biologiques (Maréchal et al., 1999; Weiss et al., 2005; Stenberg et al., 2005; Cloquet et al., 2006; Weiss et al., 2007; Viers et al., 2007; Herzog et al., 2009; Jouvin et al., 2009; Moynier et al., 2009b; Aucour et al., 2011) et les biominéraux (Pichat et al., 2003). La recherche est ici, motivée par le cycle biogéochimique du zinc. Les mesures isotopiques permettent de comprendre l’impact des phases présentes dans l’environnement sur la distribution des isotopes de Zn et la mobilité de cet élément. C’est dans ce sens que s’inscrivent par exemple les mesures de compositions isotopiques dans les océans (Bermin et al., 2006; John et Conway, 2014; Zhao et al., 2014; John et al., 2017) qui ont une concentration en Zn en surface très faible (Saager et al., 1992; Ellwood et Van Den Berg, 2000) par rapport aux profondeurs. Les études essayent de relier les variations de composition isotopique aux processus qui en sont responsables : 12 une utilisation biologique du zinc (Little et al., 2013) et/ou un piégeage du zinc par adsorption sur des particules organiques (John et Conway, 2014). L’empreinte anthropique sur le cycle biogéochimique du zinc (Figure 1.1), est également étudiée en utilisant les mesures de composition isotopique. Ces études identifient une (ou plusieurs) source de pollution et mesurent la composition isotopique des échantillons `a cet endroit. La mesure de la composition isotopique en aval de ces sites peut renseigner sur la provenance des échantillons si la même composition isotopique est retrouvée (Borrok et al., 2008; Balistrieri et al., 2008; Mattielli et al., 2009; Juillot et al., 2011). Toutefois, entre l’origine de la pollution et le site d’étude, différents processus peuvent modifier la composition isotopique et altérer partiellement voire totalement, la composition isotopique initiale, rendant les interprétations difficiles.
1 Introduction |